Célébrer l’anniversaire d’un album, c’est reconnaître de facto que ce dernier a marqué l’histoire de la musique. The Slim Shady LP est l’un de ces albums. Sorti dans les bacs le 23 février 1999, ce disque intemporel a permis au monde de découvrir celui qui allait devenir très vite l’icône de toute une génération : Eminem. Lui, et son alter ego The Slim Shady, bien sûr.
À voir aussi sur Konbini
Ce premier album studio plonge ses racines dans les années sombres de la vie du rappeur, profondément marquée par une enfance chaotique. Au début de sa carrière, le natif de Détroit a du mal à s’imposer en tant que rappeur blanc sur la scène du rap US.
Pourtant, même si Eminem a beau se définir comme un “white trash”, ce dernier a grandi en écoutant LL Cool J, Mobb Deep ou encore Public Enemy, et s’est très vite approprié les codes de la culture hip-hop. Mais lorsqu’il débarque en 1996 avec son premier projet Infinite, il ne parvient pas à trouver sa place dans le game, en dépit de sa plume tranchante et de ses talents au micro. L’échec commercial d’Infinite est cuisant.
Au même moment, le rappeur a du mal à faire face au quotidien, entre les disputes incessantes avec sa femme Kim et la précarité qui l’empêche de subvenir correctement aux besoins de sa fille. Il touche le fond et tente même de se suicider. Il finit cependant par relever la tête et trouve une nouvelle inspiration, celle qui lui apportera enfin le succès.
Hi ! My name is Slim Shady
Le squatteur de canapé qu’il était sur Infinite se glisse dans la peau d’un personnage plus sombre, le sulfureux Slim Shady. À travers lui, il clame sa colère et ses frustrations, et assume son esprit revanchard.
Pour présenter au monde son double artistique, il enregistre en 1997 une cassette baptisée The Slim Shady EP, prémices de l’album éponyme. C’est l’acte fondateur de sa carrière, qui lui permet enfin de capter l’attention de la scène rap de Détroit. Le rappeur blanc aux cheveux peroxydés vient de High Jump Kicker en beauté le monde du hip-hop.
La légende raconte même qu’après les Rap Olympics, un prestigieux concours de battles où Eminem termine second, un DJ aurait donné la cassette du rappeur à l’un des cadors du label Interscope, et que cette même cassette aurait fini par atterrir sur le bureau de Dr. Dre. La claque aurait été si forte que le légendaire producteur de Compton aurait immédiatement décidé de prendre le petit blanc chétif sous son aile, au risque d’entacher sa crédibilité.
La suite, on la connaît : des talents de MC d’Eminem couplés à la science du son du parrain de la West Coast naît une alchimie hors du commun. Une formule qui donne naissance au premier album du rappeur signé avec une major, The Slim Shady LP, porté par le single “My Name Is”.
Alors que le rappeur s’est déjà taillé une belle réputation dans le cercle des battles, ce dernier part à la conquête du monde avec “My Name Is”, sorte de carte de visite de son double artistique, estampillée “Dr. Dre”. Validation du Doc oblige, le buzz est immédiat.
Sur un sample du titre “I Got The…” de Labi Siffre, Eminem, à travers son alter ego démoniaque, s’amuse à détourner les clichés du rap. Oscillant entre le comique et le cynique, il se présente comme un odieux gamin élevé à la drogue et aux médicaments par une mère toxicomane. Dans une culture hip-hop où la figure maternelle est habituellement mise sur un piédestal, ce n’est pas peu dire que son positionnement fait jaser.
C’est là la force du Slim Shady : être capable de raconter sa vie sans artifices, mais en la mêlant à des éléments de fiction scandaleux. On se souvient par exemple de “’97 Bonnie & Clyde”, extrait de l’album, dans lequel il raconte à sa fille de quatre ans comment et pourquoi il a tué sa mère, avant de jeter son corps à l’eau sous ses yeux.
Le ton enfantin des paroles vient évidemment contraster avec la violence de la scène, ce qui rend le tout brillant mais déroutant. Cette histoire sert d’ailleurs d’illustration pour la pochette de l’album.
“Nous allons l’attacher à son petit pied et la faire rouler vers le quai. On y va à trois… 1… 2… 3 weee ! Ça y est, maman a fait splash dans l’eau […] Fais-lui un bisou d’au revoir et dis-lui que tu l’aimes.”
Plus incisif et vindicatif au micro qu’Eminem, le Slim Shady permet à Marshall Mathers d’exorciser ses démons. Sur The Slim Shady LP, il utilise ce personnage pour expulser toute la rage accumulée depuis son enfance. Une sauce ultra-piquante avec laquelle il se plaît à asperger ceux qui l’ont tyrannisé, ceux qui disaient qu’il ne valait rien.
Mais avec ces paroles parfois limites, bien que poétiques, le rappeur a très vite fait l’objet de nombreuses polémiques. Des controverses qui n’ont toutefois pas empêché l’album d’être largement reconnu comme un classique. Le premier d’une longue liste.
Un monument de la musique
Avec des titres monumentaux comme “My Name Is”, “Role Model”, “Just Don’t Give A Fuck”, Guilty Conscience”, “’97 Bonnie And Clyde” ou encore “Rock Bottom”, Eminem pose les fondations d’une identité artistique solide : celle d’un artiste au talent incontestable, authentique mais irrévérencieux.
En bouleversant les codes du genre, The Slim Shady LP fait beaucoup de bruit à sa sortie et permet à une certaine jeunesse désabusée des années 2000 de s’identifier à l’alter ego de MM. En termes de chiffres, l’album entre directement à la troisième place des ventes, avec plus d’un million de copies écoulées durant sa première année d’exploitation. Le disque est même certifié platine grâce à des ventes estimées à plus de 10 millions d’exemplaires.
Longtemps laissé au second plan à cause de sa couleur de peau, Eminem parvient avec cet album à obtenir la reconnaissance de ses pairs et de toute l’industrie musicale. Le rappeur de Détroit remporte ainsi en 2000 son premier Grammy Awards dans la catégorie meilleur album rap, et en 2001 le single “My Name Is” est distingué dans la catégorie “meilleure performance rap en solo”.
Outre ces prix, le Slim Shady reçoit une flopée de récompenses symboliques au fil des années. En 2003, par exemple, le magazine Rolling Stone classe l’album à la 275e place de son classement des 500 plus grands albums de tous les temps et en 33e position des 100 meilleurs albums des années 1990. Ce qui prouve bien qu’Eminem, avec cet album et les suivants, a réussi à sortir le rap du cadre social dans lequel il était confiné.
Tous ces éléments nous amènent donc à affirmer haut et fort que The Slim Shady LP est bel et bien un classique du hip-hop. Et quand bien même certains ne seraient pas d’accord, “we just don’t give a fuck” !
It’s Eminem : notre interview inédite
Pour terminer, petit fact : saviez-vous que “My Name Is” passé à l’envers donne “It’s Eminem” ? Voilà, on vous laisse avec ça, l’occasion de remonter le temps dans cette première partie de l’interview que le GOAT nous accordait :