Un art ancestral venu d’Égypte que la famille de Wassim Razzouk pratique en Palestine depuis plus d’un siècle.
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(© Adlan Mansri)
À deux pas de la porte de Jaffa, à l’entrée du quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, se situe le salon de tatouage de Wassim, entre deux murs. Travailleur acharné, il poursuit une tradition familiale vieille de 700 ans. Entre un dessin et un tatouage de l’une de ses journées chargées, il trouve le temps de nous raconter l’histoire de son salon, de ses ancêtres et, en filigrane, celle de la Palestine.
Cet artiste appartient à la vingt-cinquième génération de Palestiniens coptes chrétiens tatoueurs. Le tatouage est une pratique utilisée au sein même de l’Église et sert de preuve aux pèlerins pour distinguer les chrétiens coptes des non-chrétiens : “Nos ancêtres utilisaient le tatouage pour marquer les chrétiens coptes avec une petite croix tatouée à l’intérieur du poignet, ce qui leur permettait d’accéder aux églises. Sans cela, il était difficile pour eux d’entrer dans ces églises”, explique-t-il.
Aujourd’hui encore, Wassim tatoue les chrétiens venus en pèlerinage et les visiteurs de la vieille ville de Jérusalem. Son grand-père, Yacoub Razzouk, aussi connu sous le nom de “Hagpop” (tatoueur en arabe) était le premier tatoueur du pays à utiliser une machine à tatouer électrique, fournie par une batterie de voiture, et également le premier à utiliser de la couleur.
“Beaucoup d’artistes ont appris de lui, et il est également mentionné dans de nombreux livres et magazines consacrés à l’histoire du tatouage, notamment religieux et chrétien”, souligne Wassim.
Parmi ses outils, Wassim compte des tampons gravés dans du bois d’olivier vieux de plusieurs siècles. Le plus ancien, une croix de Jérusalem, date de près de 500 ans et lui provient, comme les autres, de son héritage familial transmis de près en fils. Comme en attestent des archives, ils sont le travail son ancêtre, Jacob Razzouk, fabricant de cercueils et tatoueur arrivé à Jérusalem au XVIIIe siècle. Taillés dans un relief profond, ils ont déposé leur trace encrée sur les peaux d’hommes et de femmes de toutes les fois au fil du temps.
Perpétuer la tradition sous l’occupation
Wassim voit également dans son salon un moyen de combattre l’occupation par le dialogue. “J’attire l’attention de beaucoup d’Israéliens, surtout sur un sujet comme le tatouage”, affirme-t-il. Beaucoup de groupes de touristes israéliens s’arrêtent régulièrement devant le salon. Ils engagent la conversation avec lui et il a alors la possibilité de parler de son histoire familiale, du savoir-faire et de la tradition qu’il s’efforce d’honorer : “Je commence à leur parler de l’histoire de ma famille et de celle de la tradition chrétienne palestinienne… Ils entrent dans le salon et ils voient la clef”, raconte Wassim en désignant la clef suspendue à son plafond.
“Ils savent ce qu’est la clef. Ils sont exposés à la présence palestinienne à Jérusalem, celle-là même dont ils prétendent qu’elle n’a jamais existé”, dit-il.
Cette clef est “la clef du retour”, un symbole fort de l’exil palestinien depuis la Nakba, l’exode palestinien de 1948. Lorsque les réfugiés Palestiniens ont quitté leurs foyers, beaucoup ont pris avec eux leurs clefs, croyant à un retour prochain. Les clefs ont ainsi été transmises de génération en génération, restant dans la mémoire collective comme le symbole du droit au retour.
En partageant son histoire, il souhaite que sa présence, son art et l’histoire de sa famille soient autant d’incarnations et de preuves de la réalité des Palestiniens à Jérusalem et de leur longue histoire. Une réalité qu’il est nécessaire de réaffirmer pour lui :
“Ma présence en Palestine, l’histoire de ma famille, mes mots, ces deux minutes, cette graine que je plante dans leurs têtes, changent leur façon de penser, changent leur vie aussi et l’idée qu’ils ont de nous, Palestiniens.”