Cultivé principalement dans le nord de la Bretagne, l’artichaut n’a plus la cote en France : perçu comme difficile à cuire, boudé par la jeune génération, ses ventes ne cessent de reculer et les producteurs s’inquiètent pour l’avenir de ce légume emblématique de la gastronomie française.
À voir aussi sur Konbini
“2022 a été une année catastrophique et cette année on a encore les conséquences des chaleurs et du temps sec”, explique Christian Bernard, 52 ans, au milieu de son champ d’artichauts à Taulé (Finistère).
“En gros artichauts charnus, on est descendu à 20-25 centimes d’euros la tête payés au producteur. Il faudrait qu’on soit à 55-60…”, peste le maraîcher qui cultive depuis 30 ans cette plante. Signe du mécontentement, le 9 juin des dizaines de tonnes d’invendus ont été distribués par des producteurs à Lannion (Côtes-d’Armor).
En cause dans cette chute des cours, le facteur météo : la production bretonne et celle du Roussillon, 2e région française, se sont chevauchées de manière inhabituelle avec un afflux en juin sur les étals de l’artichaut, dont on dit qu’il aime avoir les pieds dans l’eau et la tête au soleil.
Mais outre cette conjoncture, il y a bien une tendance structurelle à ce déclin, car selon Pierre Gélébart, chef produit artichaut à Prince de Bretagne, marque propriété de plusieurs organisations de producteurs, “on perd 10 000 tonnes de production d’artichauts tous les dix ans”, chiffre qui avoisine désormais les 20 000 tonnes dans la péninsule armoricaine.
Comment expliquer le désintérêt des consommateurs pour ce légume naguère bien présent dans les familles et au menu des cantines ?
À une époque où le temps de préparation des repas se réduit, l’artichaut est perçu comme un légume long à préparer, doublé d’une tendance à vouloir sauter l’entrée. “Le repas français, entrée, plat, dessert, qu’on le veuille ou non, est en perte de vitesse”, regrette M. Gélébart, soulignant qu’on peut le préparer en seulement une dizaine de minutes au micro-ondes.
L’artichaut, concurrencé par des légumes jadis rares dans nos assiettes comme l’avocat, ne séduit guère les jeunes générations. “Près de 70 % des consommateurs ont plus de 60 ans”, relève ainsi M. Gélébart.
“Légume des courageux”
Côté producteurs, les maraîchers s’interrogent sur le devenir de l’artichaut, surnommé le “légume des courageux” en raison du temps de travail nécessaire pour le cultiver, au regard de sa faible rentabilité.
“Ça représente 300 heures de travail par an à l’hectare”, à comparer aux huit heures annuelles pour un champ de céréales, observe Marc Rousseau en surplomb de son champ à Henvic, qui offre une vue magnifique sur la baie de Morlaix.
“Il faut chercher le consommateur et obtenir des prix rémunérateurs, sinon les producteurs vont se lasser et se tourner vers un autre produit. C’est dommage de voir disparaître des cultures qui font partie de la gastronomie française”, ajoute le maraîcher, soulignant qu’en Italie et en Espagne la consommation annuelle de “carciofo” et de “alcachofa” par personne atteignait huit à neuf kilos contre 400 grammes par Français.
Les acteurs du monde de l’artichaut, qui fut introduit pour la première fois en France sur la table de Catherine de Médicis au XVIe et implanté vers 1810 dans les champs bretons, pointent ses qualités nutritives et sa richesse en fibres, ses racines profondes qui permettent de bien drainer les sols ou encore son allure atypique.
“Il y a plein de vertus à manger l’artichaut et pour les enfants il a un aspect ludique, puisqu’on l’effeuille”, appuie Arnaud Lécuyer, vice-président de la région Bretagne en charge de l’agriculture qui a appelé sur les réseaux sociaux à consommer ce vrai plat du pauvre, selon le célèbre mot de Coluche.
Autre espoir de la filière, Prince de Bretagne, qui a réalisé une campagne publicitaire dans le métro parisien, a lancé les démarches auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) en vue d’obtenir une Indication géographique protégée (IGP) artichauts de Bretagne.