C’est une petite révolution, à la fois culturelle et sanitaire, qui se prépare pour les prochains mois sur les parquets de NBA. Alors que la saison touche à sa fin, la Ligue américaine de basket et le syndicat des joueurs ont trouvé début avril un accord sur la signature d’une nouvelle convention collective pour les sept prochaines années. Un accord au sein duquel figure une évolution détonante, puisque d’après plusieurs médias américains bien renseignés (The Athletic et ESPN notamment), la marijuana sortirait du programme antidrogue de la NBA et donc des substances interdites recherchées lors des contrôles en compétition.
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Pourquoi le cannabis est-il considéré comme dopant ?
Au sens médical, les cannabinoïdes se divisent actuellement en trois sous-catégories : le cannabis naturel (haschich, marijuana), les cannabinoïdes de synthèse et le cannabidiol. Au sens réglementaire, le cannabidiol (ou CBD) est déjà exclu de la liste des produits interdits, puisque son taux de THC est théoriquement trop faible pour que cela fasse dépasser au consommateur le seuil urinaire autorisé lors des contrôles (150 ng/mL). Légalement, les sportifs sont donc déjà autorisés à consommer du CBD… à condition que le taux de THC du produit consommé ne dépasse pas le taux légal de 0,3 %. De nombreux cyclistes ou triathlètes cherchant à optimiser la récupération se sont déjà convertis à son usage, que ce soit sous forme d’huile ou de crème.
Ceci étant dit, peut-on vraiment considérer que la consommation de cannabis permette un gain substantiel dans la performance, ce qui a pendant longtemps justifié cette réglementation stricte ? Il faut distinguer ce qui relèverait, d’un côté, de l’habitude sociale et d’une consommation récréative, et de l’autre, une consommation motivée par la recherche d’effets décontractants (relâchement musculaire, gestion de l’anxiété, bénéfices sur le sommeil) et qui, donc, s’apparenterait à un avantage réel sur la performance du sportif. “Le cannabis est un désinhibant et un euphorisant”, rappelle le docteur Jean-Pierre De Mondenard, médecin du sport spécialisé sur la question du dopage et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. “À partir du moment où un produit agit sur le système nerveux central, il est de facto un dopant, puisqu’il modifie votre comportement face aux événements. Il n’est pas question de courir plus vite ou plus longtemps, mais de pouvoir affronter la compétition, l’événement, la foule“. Cet avantage pose des questions en termes d’équité sportive, en plus des considérations purement sanitaires.
Des règles qui s’assouplissent
Face à un lobby de plus en plus fort, qui émane des pratiquants eux-mêmes ou de l’industrie du cannabis, en plein essor aux États-Unis, les instances antidopage marchent sur des œufs. En effet, le cannabis est considéré comme un produit dopant par le Cio depuis avril 1998 avant que l’Ama (Agence mondiale antidopage) ne le place à son tour sur la liste des produits interdits quelques années plus tard. Mais aujourd’hui, la tendance semble désormais à l’assouplissement. En 2013, le seuil urinaire de THC autorisé lors des tests a été multiplié par 10. Cinq ans plus tard, le CBD était retiré de la liste des produits interdits. Enfin, en 2021, les sanctions aux contrevenants ont été diminuées, passant, par exemple, de trois à un mois de suspension pour un contrôle positif hors compétition.
Durant cette même année 2021, l’Ama est interpellée par plusieurs organisations nationales antidopage ainsi que certaines fédérations. Ces dernières invitent le gendarme mondial du dopage à revoir, ou du moins ajuster sa position sur l’interdiction du cannabis. Moins de deux ans plus tard, sur les bases d’un rapport rendu par un groupe consultatif d’experts, l’Ama donnait ses conclusions et maintenait le cannabis parmi les substances interdites, estimant que :
- des preuves médicales attestaient que le THC présentait un risque pour la santé,
- le potentiel d’amélioration des performances suite à la consommation du produit ne pouvait être exclu,
- en termes de valeurs et de respect de la concurrence, l’usage de THC demeurait contraire à l’esprit sportif.
“L’Ama est consciente de la diversité des opinions et des perceptions liées à cette substance dans le monde, et même dans certains pays. L’Ama est également consciente que les quelques demandes de retrait du THC de la liste des interdictions ne sont pas soutenues par l’examen approfondi des experts. Nous sommes également conscients que les lois de nombreux pays – ainsi que les lois et politiques réglementaires internationales générales – appuient le maintien du cannabis sur la liste à l’heure actuelle”, s’est alors justifiée l’instance sur son site officiel.
Une question d’image, d’abord
Mais alors pourquoi avoir assoupli à ce point les règles si l’Ama considère que le cannabis demeure antisportif ? “Pour des questions d’image”, nous répond Jean-Pierre de Mondenard. “Comme on trouvait énormément de positifs au cannabis dans les bilans, ce qui n’est pas du meilleur effet, l’Ama a décidé en 2013 de multiplier ce seuil par 10. Ce qui a eu pour effet de faire disparaître énormément de cas positifs”, nous détaille-t-il en soulignant bien qu’il était aussi question de crédibilité pour l’Ama. “Il n’est pas sérieux pour une telle instance d’attraper uniquement des athlètes positifs au cannabis, par rapport à ce qu’on peut considérer ailleurs comme du dopage lourd”, complète le docteur De Mondenard, qui résume l’approche de l’AMA par une formulation éloquente : “On veut montrer qu’on lutte contre le dopage, mais sans attraper personne”.
Avec les glucocorticoïdes, les agents anabolisants, les stimulants ou encore les diurétiques, les cannabinoïdes figurent effectivement parmi les substances les plus souvent détectées lors des contrôles. Et ce sont parfois des figures célèbres du sport qui se sont fait prendre. En 2021, la sprinteuse américaine Sha’Carri Richardson avait dû faire une croix sur les JO de Tokyo en raison d’un contrôle positif au cannabis. Durant les années 1990, des footballeurs réputés comme Bernard Lama et Fabien Barthez avaient eux aussi été pris par la patrouille. Le meilleur nageur de l’Histoire, Michael Phelps, avait quant à lui fait les gros titres après la diffusion d’une photo le montrant fumer avec une pipe à eau, peu après les JO de Pékin en 2008. Mais pour beaucoup d’entre eux, les conséquences ont finalement été plus préjudiciables en termes d’image que de performance. Cette époque pourrait bientôt être révolue.