Pourquoi la nourriture anglaise ne mérite pas notre mépris

Pourquoi la nourriture anglaise ne mérite pas notre mépris

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© Adrian Newell/Unsplash

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Par Robin Panfili

Publié le , modifié le

Longtemps méprisée ou moquée, un livre vient décortiquer les stéréotypes et mettre en valeur les richesses de la cuisine britannique.

Depuis des années, des décennies même, les Français ont développé un savoir-faire dans le mépris et la moquerie envers la cuisine anglaise, présentée et décrite comme austère et peu ragoûtante. Durant des années, la gastronomie de nos voisins britanniques a dû affronter les brimades et les idées reçues, parfois à raison, mais toujours — disons-le — avec une pointe de mauvaise foi.

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Mais qu’en est-il vraiment ? La cuisine anglaise mérite-t-elle autant de mépris ? C’est ce que l’on a essayé de comprendre et de vérifier avec Sarah Lachhab et Aurélie Bellacicco, autrices du livre Angleterre, à paraître le 1er mars prochain. “En 2022, nous avons eu la chance de cosigner un livre dédié à la gastronomie écossaise, mais nous n’allions pas nous arrêter en si bon chemin ! On a poursuivi nos recherches et nos lectures de l’autre côté de la frontière pour commencer à collecter des recettes et des histoires autour de la gastronomie anglaise”, expliquent-elles. Entretien.

Konbini | Comment pourriez-vous décrire la cuisine anglaise en trois mots ?

Sarah Lachhab et Aurélie Bellacicco | Paysanne, pratique, créative. Paysanne car bon nombre des recettes que nous avons sélectionnées sont faites à partir de produits locaux anglais et sont le reflet des cultures régionales très variées en Angleterre. Pratique, car l’économie et l’efficacité sont souvent au cœur des recettes, surtout au XIXe siècle. Et créative, car la cuisine anglaise ne cache pas ses influences du monde, ses expériences qui peuvent parfois être vues comme loufoques et sa personnalité.

C’est bien connu, la cuisine anglaise pâtit d’une très mauvaise réputation en France. Comment l’expliquez-vous ?

On a largement exploré cette question, qui nous passionne. On a tous en mémoire la tête de Louis de Funès dans le film Les Grandes Vacances, quand il est invité chez un ami anglais. On trouve même que les Français s’autorisent encore plus de moqueries envers la gastronomie anglaise qu’écossaise. Ces clichés ont plusieurs racines : d’abord, la guéguerre politique entre la France et l’Angleterre qui remonte à la nuit des temps. Ensuite, en Angleterre, une honte du plaisir que certains chercheurs attribuent à la religion protestante. La révolution industrielle a aussi eu pour effet de déplacer une grande partie de la population vers les villes, où les produits de la ferme ont progressivement été remplacés par des aliments manufacturés à bas prix.

Enfin, beaucoup de Français ont gardé en mémoire leurs séjours chez l’habitant en Angleterre durant leur scolarité : les familles accueillantes sont en général des familles à bas revenus, qui avaient besoin de la maigre rémunération reçue en échange de l’accueil d’un enfant, et bien souvent ces enfants n’étaient pas très bien nourris. Mais ce n’est pas un reflet réaliste de la société. Ces clichés ont donc des racines des deux côtés de la Manche. Dans le livre, on se concentre sur ce qu’il se passe aujourd’hui : la gastronomie prend une place de plus en plus importante, les gastropubs fleurissent partout, on ne peut plus se permettre de négliger ce que l’on met dans les assiettes au restaurant. Dans les ménages, les choses bougent aussi, même si la crise du pouvoir d’achat rend les choses difficiles.

À vos yeux, cette mauvaise réputation est-elle méritée ?

Non, pas du tout. On pense que cette mauvaise réputation est dépassée, plus justifiée du tout aujourd’hui. Nous avons goûté des produits excellents et parlé avec des gens vraiment passionnés par la qualité de leurs produits. C’est un univers infini et questionner les habitudes alimentaires pose plein de questions intéressantes. Nous voyons avec intérêt les produits locaux de mieux en mieux mis en valeur et nous espérons que ce livre en français permettra de faire changer les a priori des francophones !

© Stefan Johnson/St John

Paradoxalement, il y a toute une jeune génération de chefs français, de Valentin Raffali (Livingston) à Zac Gannat (Lolo Bistrot) qui s’inspirent très largement de la liberté de chefs londoniens et de la cuisine brute et très assumée que l’on retrouve sur cette même scène gastronomique. Comment l’expliquez-vous ?

Justement, ce n’est pas paradoxal : la cuisine anglaise plaît car elle ne s’enferme pas dans des carcans. Elle a bénéficié d’influences venues du monde entier à travers les siècles et s’est enrichie de communautés qui apportent leur grain de sel… et elle en est fière ! Cela nous semble parfaitement normal que les jeunes chefs français trouvent cela inspirant. Londres, c’est vraiment un monde à part : on y développe des concepts fous et on sait y marier des habitudes très britanniques avec d’autres cultures du monde sans en faire tout un foin. C’est normal !

Quelles sont les forces et les faiblesses de la gastronomie anglaise ?

La cuisine anglaise est liée à l’empire britannique et à la colonisation. On retrouve beaucoup d’influences indiennes dans les condiments tels que les chutneys, le piccalilli et différentes sauces servies avec des rôtis. On a aussi une grande influence créole et jamaïcaine, que l’on a retranscrite dans le livre avec les chaussons à la viande, le curry, les beignets épicés. La force de la gastronomie anglaise réside donc dans son adaptabilité, sa capacité à incorporer des saveurs venues d’ailleurs sans se cacher.

Au fait, la gelée (ou jelly), c’est vraiment un truc en Angleterre, ou simplement un mythe ?

Alors oui, c’est vraiment un truc, et dans l’histoire, c’était même un truc de dingue : seuls les plus grands chefs maîtrisaient les techniques pour fabriquer de la gelée à partir d’os notamment. C’était un mets très raffiné ! Aujourd’hui, cependant, c’est assez dur de trouver un restaurant où goûter de la gelée, mais on trouve. On peut aussi acheter toutes sortes de gelées fabriquées industriellement dans les supermarchés.

Pour vous qui connaissez et maîtrisez désormais le pays et ses réalités gastronomiques, j’ai une question : quelle est la région d’Angleterre où l’on mange le mieux ?

On n’oserait pas trancher mais on peut vous dire qu’on a été très, très bien nourries dans les Cornouailles, une région dont l’économie repose surtout sur l’agriculture et le tourisme. Le Lake District est aussi une région qui regorge de plats délicieux comme les saucisses de Cumbria, des fromages (principalement du cheddar) et les biscuits au gingembre de Grasmere. Avec la mer omniprésente, on est toujours assuré de se régaler.

Quel est le plat qui représente le mieux, selon vous, la cuisine anglaise ?

C’est tellement difficile de choisir… En dessert, nous pensons au crumble, cette recette rapide faite avec des fruits de saison, qui se compose d’ingrédients simples et que l’on peut facilement adapter à ce que l’on a dans ses placards. Le concept de “rôti du dimanche” représente le terroir britannique et son côté pratique : le Sunday Roast est composé d’une viande rôtie au choix et de légumes. C’est aussi l’occasion de manger le fantastique Yorkshire pudding, si simple à réaliser. Les restes de ce repas sont réutilisés ensuite dans des soupes, des sandwiches ou d’autres plats !

Angleterre
Éditions de la Martinière
À paraître le 1er mars