Tout touriste de passage ou en long pèlerinage au Japon ne le sait que trop bien : il faut visiter, même une seule fois, le quartier de Akihabara à Tokyo. Pour ses nombreuses boutiques électroniques, ses mangas et figurines neuves ou d’occasion qui dégoulinent des rayons. Et… pour certains (dont je ne faisais partie), ses “maid cafés”. Si vous préférez, ces bars ou restaurants où le personnel est entièrement et exclusivement constitué de femmes vêtues d’uniformes de femmes de ménage à la manière d’un très mauvais manga hentai. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces endroits ne semblent pas sujets (qu’)à des kinks obscurs et sont même considérés comme des restaurants à faire entre amis, ouverts aux familles… et de facto aux enfants. Sur TikTok, ma For Your Page me l’affirme. L’ambiance est mignonne, pas malsaine et propice aux bons souvenirs. Un peu (en réalité, très) sceptique quant à ces affirmations, et surtout curieuse, j’y suis donc allée avec un fidèle complice à l’heure du déj, comme si j’allais me prendre un banal sandwich entre deux excursions touristiques – ahem.
À voir aussi sur Konbini
Lunettes de soleil, mains dans les poches, j’attends devant le Maid Café en mode incognito. On a choisi le mieux noté, mais aussi le plus family-friendly. Sur leur page Insta, on a pu y voir des groupes de collègues en team building et des familles au complet, grand sourire. Cringe mais au moins, rien de sulfureux. Et puis, encore une fois, il est midi pile. On ne s’attend pas à un show sexy à une heure pareille, si ? Alors que j’arrive en avance, je vois déjà une “rabatteuse” qui s’anime devant le resto, alpaguant les passants. Je suis déjà un peu mal à l’aise juste en regardant sa tenue de soubrette clairement dessinée par un mâle alpha. Mon +1 arrive et on se cale direct au resto qui est, finalement, quasi vide.
“Meow meow” et “flower garden”
Une “maid” nous place et nous file la carte, ainsi que des oreilles d’animaux à enfiler. Lapin pour moi, ours pour monsieur. Ça commence mal, ou bien, c’est selon. Non pas qu’on soit ici en mode critique culinaire, mais les menus filent le vertige. Mal foutue, ou pensée pour me faire dépenser, la carte me fait d’abord comprendre que je suis obligée de prendre un menu à 3 500 yens (environ 22 euros). À titre de comparaison, pour ce tarif, vous pouvez avoir du bœuf de Kobé dans un restaurant classique. Un peu la flemme de mettre mes ultimes billets dans une omelette avec un chat dessiné au ketchup dessus. On opte juste pour une boisson servie avec un “show”. Les “maids”, elles, ne sont pas très nombreuses : trois en service et une manageuse contre une dizaine en soirée à en croire le fameux compte Insta qu’on nous obligera à suivre (mais j’y reviendrai). Malgré leur tenue qui ne me réjouit guère, la direction artistique se veut “kawai” et absolument pas sexy. Non pas que cela me rassure, mais c’est toujours ça de pris. La carte comprend également une liste de règles à suivre. Par exemple, ici, pour interpeller une “maid”, on ne dit pas “pardon” mais “meow meow ” On ne dit pas non plus “toilettes” mais “flower garden”, pour toujours plus de mignonnerie.
<em>Le menu du maid café, avec les règles à suivre / ©Konbini</em>
Peu à l’aise avec l’anglais, les interactions avec les “maids” seront assez limitées. On nous précise que nous ne pouvons rester qu’une heure sans reprendre de consommation. Il ne nous en faudra guère plus. Les boissons arrivent et le show commence : deux “maids” nous demandent de répéter après elles, en rythme et en criant bien fort, des mots censés servir de formule magique pour rendre notre breuvage meilleur. Je joue le jeu, mais j’ai un balai dans le derrière, je comprends à peine ce qu’on me demande, je commence à rougir comme never. Le bail dure facile 45 secondes, c’est long. Les deux serveuses, elles, donnent tout. Ça n’empêchera pas mon vin blanc d’être très… médiocre.
Cœur contre cœur, doigts contre doigts
Au total, deux clients. Le premier est un Japonais, clairement fan de la première heure du concept. Cet habitué n’est pas là pour acheter à boire ou à manger mais pour… remplir son classeur/pokédex rempli de photos du personnel – encore une option payante, chaque “maid” peut en effet vendre des selfies en Polaroid. Glauque, mais ce n’est que mon avis. L’autre est une touriste australienne qui, comme nous, a été animée par la curiosité. Elle est venue seule, et ne restera guère plus d’une demi-heure, dépassée par la tristesse des lieux. Elle et mon +1 ratent d’ailleurs le début d’un mini-show, où l’une des “maids” chante et danse seule sur scène avec un jeu de lumières très cheap. J’ai mal pour elle, même si elle semble réellement s’amuser.
Entre temps, d’autres habitués nippons sont arrivés. Un homme, la quarantaine, qui tape dans une bière qui fait deux fois ma tête. Et une jeune femme très à l’aise qui semble être comme chez elle. Encore une fois, il est midi, donc l’ambiance festive n’y est pas et ; sans doute, l’expérience aurait été très différente à 20 heures. Il n’empêche que je peine à comprendre la moyenne de 4,9 sur Google… avant que l’une des “maids” n’arrive et nous demande une review en échange d’une “petite surprise“. Elle se plante à nos côtés, et ne semble pas vouloir se déplacer tant que nous n’aurons pas obéi. Mon +1, malin, s’en sort avec un “je n’ai pas de réseau mais je le ferai plus tard “. Moi, je m’exécute. Et obtient le privilège de faire un cœur avec mes doigts qui toucheront alors les siens, figés dans la même position. Je retiens un fou rire – c’est nerveux.
<em>Un souvenir de mon passage au Maid Café / ©Konbini</em>
Un peu plus tôt, une autre “maid” nous demande de suivre leur page Insta, toujours en échange d’une petite douceur. On s’exécute, prévoyant déjà d’unfollow sitôt qu’elle aura le dos tourné. Notre stratégie de chipie fonctionne et on obtient des chips avec du chocolat au-dessus, un mélange qui devrait être formellement interdit. On s’amuse, on s’amuse, mais l’heure tourne et passe. Il est temps pour nous de partir. On nous file un passeport avec nos prénoms épelés à la truelle (faut vraiment que je revois mes bases), histoire de repartir avec un souvenir indélébile. Mais on nous demande aussi si nous recommanderions l’endroit. On s’en sort comme on peut, en baragouinant dans la langue de Shakespeare que c’est à la fois spécial et touristique. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent et se referment sur une “maid” qui nous fait de grands signes de la main, criant presque “see you soon“. Je ne parierais pas trop là-dessus.