À un peu plus de 30 ans, j’appartiens à une génération qui se retrouve souvent le cul entre deux chaises. Une génération sacrifiée, tombée au mauvais moment, qui jongle entre les crises de l’emploi, de l’immobilier et les réformes gouvernementales malvenues… Mais surtout la seule à avoir commencé sa vie sans Internet, avant de tomber dedans la tête la première dedans dès l’adolescence. Celle qui a vécu l’ADSL qui fait beep-boop-woin-woin et, plus tard, la fibre et l’Internet qui va très vite. Une génération que l’on aime décrire, par facilité, comme “connectée”, mais surtout terriblement attachée à un mode de vie régi et orchestré par les outils numériques et/ou électroniques.
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Ces marques et conséquences de l’évolution technologique dans nos vies se retrouvent aujourd’hui dans chaque seconde de notre quotidien, pour commander à manger, trouver son chemin dans la rue ou suivre les aventures de nos proches sur l’une des nombreuses plateformes sociales qui s’offrent à nous. Ces usages se retrouvent également dans des moments plus intimes, ou plus inappropriés, des moments traditionnellement réservés au partage, au dialogue ou aux discussions. Une récente étude est venue souligner, et confirmer, la chute d’un des derniers barrages du quotidien où le téléphone et l’Internet pouvaient être mis de côté – avec la douche, peut-être – : le repas à table.
Et pour cause, la chaîne de restauration Home Run Inn a récemment commandé une enquête statistique qui vient souligner ce constat. Selon les conclusions de l’étude, les gens de ma génération, les millennials, sont près de 60 % à admettre qu’ils regardent leur téléphone en mangeant. Une donnée qui grimpe pour la génération qui succède, la génération Z, qui sont eux 81 % à avouer ne pas pouvoir passer un repas sans jeter un œil à leur téléphone.
En 2020, une étude française confirmait, elle, que l’utilisation du smartphone à table était source de conflit familial pour 68 % des sondés. L’enquête statistique démontrait par ailleurs que plus d’un Français sur deux (55 %) répondait au téléphone et envoyait des SMS à table pour des raisons multiples : par “manque de sujets de conversation intéressants à table” (17 %), pour “le besoin de réactivité des réseaux sociaux” (24 %), mais également, dans le cas des plus jeunes et des enfants, parce que “les adultes ont donné un mauvais exemple en utilisant eux-mêmes leur téléphone à table” (33 %).
C’est une pratique qui met à mal l’idée de commensalité, de plaisir à passer un moment à table avec ses proches, et qui n’a pas d’effets positifs sur la santé. Bien au contraire, même. En 2020, une étude révélait que l’utilisation d’un téléphone en mangeant favorisait la prise de poids et faisait augmenter “le nombre de calories ingérées chez les jeunes personnes”. Et ne me parlez pas du téléphone posé sur la table, mais retourné comme pour assurer qu’on ne le regarderait pas, ce qui est faux comme l’avait parfaitement expliqué mon collègue Benjamin Bruel.
“Un foutu fléau que tout bon amateur de boustifaille et de planches de fromages et charcuterie se doit de combattre. Pourquoi ? Parce que le mobile retourné contre la table est un mensonge. Il cherche à faire croire à son interlocuteur que l’on est là, bien ancré dans la conversation, présent pour écouter l’autre, mais ce n’est pas vrai. Ce désir de jeter un œil à ce qu’il se passe sur notre écran de 6,5 pouces est trop grand et, invariablement, on va tendre la main discretos pour retourner le mobile. Ça va durer quelques secondes, à peine, mais le mal sera fait”, lâchait-il, comme une bombe, dans un édito bien épicé.
Mais ne voyez pas dans cet article une bouffée réactionnaire contre nos cadets, parce qu’ils ne sont pas seuls à se laisser aller à ces pratiques à table. Dans un récent billet du Monde, j’apprenais l’existence d’une étude, encore plus ancienne, datée de 2015, qui révélait que 50 % des parents étaient prêts à reconnaître qu’il leur arrivait de “se laisser distraire par leur portable durant leurs échanges avec leur enfant”, mais surtout que 36 % y jetaient un œil pendant les repas. Mais l’article soulève une problématique encore plus cruciale : et si le comportement des plus jeunes avec leur téléphone était finalement de notre faute à nous autres, leurs aînés ? Et donc, “et si le problème des écrans était dû aux parents ?”.