Depuis la rue et à travers la devanture vitrée du restaurant, impossible de le manquer. Il s’agite, fait de grands signes des bras, décroche un large sourire et nous invite à rentrer au chaud. Chris Zucchero est énergique, bavard, mais surtout le propriétaire charismatique de Mr Beef, le petit joint à italian beef sandwich, typique de Chicago, qui a largement inspiré l’intrigue et le décor de The Bear. Alors, de passage dans la ville, j’étais dans l’obligation d’aller lui rendre visite, pour discuter un peu et lever le mystère sur l’histoire de ce restaurant historique de Chicago. À quelques blocks des gratte-ciels, dans le quartier de River North, bouleversé par une récente mais imposante gentrification, Mr Beef trône fièrement avec son immense pancarte, son mur en brique rouges et son parking réservé aux clients — le même que l’on retrouve, d’ailleurs, dans l’arrière-cour de The Original Beef de The Bear.
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Mais ne vous y trompez pas : Mr Beef n’a pas attendu l’engouement autour de The Bear et du beef sandwich, pour se faire une place dans le cœur des locaux et des Chicagoans. Depuis de longues années, le lieu s’est construit une clientèle fidèle, grâce aux efforts et à la magie humaine du défunt père de Chris Zucchero, Joe, décédé peu de temps après la sortie de la première saison de la série. Grâce à la bonhomie du monsieur, mais aussi à la philosophie de l’endroit qui, malgré la gentrification et la hausse du prix du mètre carré, n’a jamais voulu en profiter pour augmenter ses prix. En dépit des coûts croissants des matières premières et du bœuf, et tout en se tenant à l’écart des guéguerres d’ego et de territoire dans lesquelles se livrent différents spots à italian beef sandwich — qui, rappelons-le, n’a pas grand-chose de véritablement italien — de la ville.
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Une hype délicate à gérer ?
Mais nier l’impact de la série The Bear sur l’affluence et le taux de fréquentation du lieu serait un petit mensonge dans lequel Chris Zucchero se refuse de tomber. S’il n’aime pas s’épancher dessus, il aime répéter qu’il n’a toujours pas vu la série en entier. Comme pour rappeler qu’il a toujours la tête sur les épaules. “Il faut bien que quelqu’un se lève le matin et vienne préparer notre bœuf”, sourit-il, rappelant qu’il ne lit que rarement les articles de presse ou les reportages télévisés tournés chez lui. Après la diffusion de la série, il a bien accepté de coller un poster de l’affiche sur l’un des murs du restaurant, “pour que les gens le voient et fassent le rapprochement”, mais rien de plus. Les cartons entiers d’affiches et de matériel promotionnel, envoyés par la chaîne de télévision et la production, eux, prennent la poussière quelque part dans l’arrière-boutique.
Voilà le rapport ambivalent que Chris Zucchero entretient avec la série. C’est une reconnaissance teintée d’inconfort, parce que le lieu n’a jamais eu besoin de la lumière des projecteurs pour attirer les clients, et parce qu’il n’aurait jamais pensé, imaginé, ou même souhaité, que Mr Beef deviennent un jour aussi hype et coté. Mais il y a dans le lien qu’entretiennent Mr Beef et The Bear quelque chose qui résiste aux modes et aux tendances. Plus qu’une opportunité de décor, l’histoire du restaurant résonne parfaitement dans le récit et l’ambition de la série. Mr Beef, comme le (fictif) Original Beef, sont tous les deux des affaires familiales, gérées dans un quartier de Chicago aux prises avec mutations démographiques et économiques, dans lesquelles les liens de parenté s’imbriquent plus ou moins adroitement dans le quotidien d’un commerce de bouche bancal.
La destinée de Mr Beef… et The Bear
Voilà plusieurs années que le projet The Bear est dans les cartons, mais il n’a jamais puisé son inspiration ailleurs que chez Mr Beef. La raison est simple et n’appartient ni au hasard ni à la coïncidence, puisque le créateur de la série, Christopher Storer, et Chris Zucchero, sont amis depuis la tendre enfance. Les deux ont fréquenté la même école élémentaire, à Chicago, et sont restés proches amis depuis. Alors quand le premier a soufflé son idée de série au second, il était évident que le pilote prendrait racine… chez Mr Beef. “Il m’a dit, il y a des années : ‘Je vais écrire un truc sur Mr Beef. Je te le garantis’. Et je lui ai répondu : ‘Ne me fais du blabla de Hollywood. On se connaît depuis trop longtemps, me raconte pas de conneries'”, racontait-il dans une interview accordée à Variety. Ce jour est finalement bien arrivé. Un matin, des camions ont débarqué par dizaines pour venir installer les équipes de tournage dans le restaurant, que l’on aperçoit en long, en large et en travers dans le premier épisode, et pilote, de la série. Chris Zucchero y fait même une apparition rapide en incarnant le “dealer” de viande qui vient dépanner Carmy sur un parking.
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La magie des lieux de tournage
Il y a toujours quelque chose de fascinant et de perturbant lorsqu’on visite un lieu qui a servi de décor de tournage. C’est un mélange d’excitation, de fascination et de frustration. Chez Mr Beef, c’est simple, rien n’a été changé pour l’enregistrement du pilote, sinon la pancarte sur la devanture et quelques bibelots ajoutés à la hâte. Le pot à pourboire est là, le frigo rempli de stickers aussi. Le comptoir est le même, les pailles en libre-service aussi. La devanture vitrée est identique, tout comme le grincement de la porte d’entrée qui a été précieusement conservé dans la série. À notre arrivée, Chris Zucchero est en train de papoter avec une équipe de télévision. “C’est CBS, j’arrive juste après, prenez à manger !”, lance-t-il.
C’est Jason, son bras droit de toujours, sourire aux lèvres et mitraillette à plaisanteries, qui s’occupe de nous faire les présentations et les blagues de bienvenue. Pour la commande, rien de plus simple : un italian beef sandwich, avec la “giardinera” de la maison — une garniture aromatique de céleri, oignons et carottes. Et pour le reste ? Un bœuf cuit à basse température pendant des heures au four, découpé en fines lamelles, trempé dans une sauce gravy, avant d’être logé dans le sandwich… qui sera lui aussi trempé entièrement immergé dans ladite sauce gravy.
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Verdict ? Un sandwich dégoulinant, régressif, réconfortant et généreux, qui laisse des traces, notamment de graisse sur les doigts et sur les T-shirts des plus maladroits (oups, le mien). C’est un sandwich peu onéreux — vendu huit dollars, pas un de plus — pour la ville qu’est Chicago et le quartier dans lequel le restaurant luttait pour sa survie il y a quelques années en arrière seulement. Lors de notre venue, les cuisiniers et les serveurs, d’un accueil et d’une bienveillance enveloppants, ont vu défiler de tout : des locaux, des jeunes étudiants, des touristes influencés par un nouveau mode de tourisme centré autour des décors de films et de séries, des curieux… Tous venus avec une raison et une motivation différente, mais avec le même objectif en tête : engloutir le meilleur italian beef sandwich de la ville, et peut-être du monde entier.
Comme un symbole, avant de partir, je suis tombé nez-à-nez avec une boîte de conserve de sauce tomate. Oui, vous avez bien saisi la référence qui, ici, semblait simplement fortuite. Mais c’est aussi cela, découvrir un lieu de tournage qui nous a marqués : trouver, ou forcer, les coïncidences, même les plus triviales et involontaires.
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Mr Beef
666 N Orleans St.
Chicago
Article rédigé dans le cadre d’un voyage de presse organisé par Expedia.