Raconter des histoires, dans l’assiette, à très haut niveau, n’est pas donné à tous les chefs, même étoilés et reconnus. Mais parfois, les étoiles s’alignent, sous la forme d’un étonnant bingo : un bâtiment incroyable, un service moderne et audacieux, et une cuisine toute en maîtrise et en saison. Toutes les cases sont cochées ? Vous êtes chez Bibendum, la table deux étoiles de Claude Bosi, à Londres. On a eu la chance d’y dîner, pendant trois heures où aucune seconde n’a paru s’éterniser.
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Des fleurs et des vitraux
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On tourne au coin d’une rue dans South Kensington, et il est là, le drôle de bâtiment Michelin, ancien QG de la marque en Angleterre, avec ses vitraux et son bâti art déco. Les lumières qui brillent sous la pluie – forcément, on est à Londres en novembre – se reflètent sur les gouttes et sur les grands Bibendums vitrés, ici la mascotte aurait quelque peu remplacé les figures pieuses si on prenait le lieu pour une église. Pas de culte pour autant, derrière les hommages, c’est tout en modernité que Claude Bosi a pris possession des lieux, avec son bar à huîtres cossu au rez-de-chaussée, à l’entrée garnie de fleurs comme dans une comédie romantique, et Bibendum, sa table doublement étoilée au premier étage. Ce soir, on a la chance d’y dîner, en 7 services, pour la full experience comme on dit ici.
Le meilleur des services
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Deux étoiles, ça ne rigole pas, et on sait que le service qui va avec non plus. Mais de la précision et de l’expertise, l’équipe en salle de Claude Bosi a aussi fait le parti pris de bons mots et de la belle attention. On sent en quelques minutes que le service s’adapte à la table, au rythme des clients, à qui on va raconter une anecdote supplémentaire sur un vin. C’est millimétré sans être intrusif, c’est méticuleux sans remettre la serviette sur les genoux entre deux assiettes. En confiance avant même les premières bouchées, on sait qu’on va prendre du plaisir, sans se poser la question de l’étiquette, évitant le piège parfois intimidant pour ceux qui ne maîtriseraient pas les codes.
Mamie, version haute gastronomie
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Mises en bouches, premières entrées, et on se prend déjà la première claque, une assiette de tomates piennolo venues tout droit du mont Vésuve. Si l’assiette a sa touche de caviar infusé au kombu et un bouillon corsé au jambon cru qui la rende riche, c’est son second service, où le jus est délayé d’un extrait de burrata à gorger dans un petit pain brioché encore bouillant, qui allume les lumières de nos souvenirs, sans aucun doute commun avec ceux du chef. Ceux de la salade de tomate un peu trop assaisonnée de nos mamies, où l’eau des précieux fruits d’été a allongé la vinaigrette dans un mariage encore meilleur que le plat lui-même. On sauce tout jusqu’à la dernière goutte, l’occasion aussi de donner quelques coups de dent dans le pain au levain à tartiner d’un beurre salé de haute volée niché, évidemment, dans un beurrier en forme de Bibendum.
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Agnolotti aux escargots
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Les assiettes continuent de nous faire voyager dans l’univers du chef, avec en second point d’orgue une assiette de trois agnolotti avec une farce au foie gras, accompagnés d’escargots nageant dans un jus à la richesse contrebalancée par des herbes fraîches. La course est encore longue et il faut éviter la crevaison, mais dans un autre cadre, on aurait pu manger 1 000 de ces joyeux bonbons. En parallèle des assiettes, le pairing de vin est l’un des plus réussis qu’on ait pu croiser cette année, pas forcément par la noblesse des bouteilles – toutes très bien choisies entendons-nous –, mais par le tour de force de prendre la mission d’accord au pied de la lettre. Le choix des vins est pensé comme un exhausteur pour chaque assiette, et, une fois de plus, on boit les paroles du sommelier du jour, sans mauvais jeu de mots, avec un immense plaisir.
Et par-dessus, un peu de chocolat
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Quelque trois heures sont passées depuis notre première bouchée, et c’est le ventre heureux qu’on arrive au dessert, un soufflé double chocolat tout droit sorti d’un fantasme enfantin, avec un Bibendum à qui on ouvre – littéralement – le bidon pour y verser encore plus de chocolat. Riche, profond, avec des notes fumées et une texture légères qui comble chaque paroi de la bouche d’une sensation différente, ce dessert est le réconfort ultime, comme une protection supplémentaire pour se recharger avant de ré-affronter la pluie londonienne. Et quitte à repartir à pied, c’est ce coup-ci un clin d’œil à papi que Claude Bosi nous sort pour notre plus grand plaisir, une poire maison, comme celle de notre année de naissance, élixir très français, qui n’a pas besoin d’étiquette. C’est d’ailleurs le papa du chef qui le fournit, ce soir dans une simple bouteille de Whisky bon marché vidée de son premier poison. On vient de vivre un grand repas, et on retombe presque sur nos roues comme à la maison. C’est beau, c’est français, mais ça se passe chez nos amis de l’autre côté de la Manche.
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Claude Bosi at Bibendum
Michelin House, 81 Fulham Rd., SW3 6RD Londres
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
Article rédigé dans le cadre d’une invitation.