Longtemps, le métier de boulanger-pâtissier a souffert d’une image peu reluisante. Celle d’un métier difficile, éreintant, réservé à ceux qui ne trouveraient pas leur voie dans leur parcours scolaire traditionnel. Mais ce constat est progressivement, bien que lentement, en train de s’inverser. La prise de conscience autour du pain bien fait, l’attention pour des farines artisanales plus vertueuses et les confinements successifs ont changé la donne, redorant le blason d’une profession malmenée.
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Pour discuter de ce virage important dans le monde de l’artisanat culinaire, nous sommes allés discuter avec la jeune garde du fournil de la boulangerie Liberté à Paris : Rami Nassim, un jeune cuisinier libanais débarqué en France pour parfaire son savoir-faire, et Garance Briant, apprentie-tourière et reconvertie dans la boulangerie après un job dans la publicité – que vous pourrez également retrouver à la Konbini Bakery de la fête du Pain, le 6 juin prochain.
Comment êtes-vous entrés dans le monde de la boulangerie-pâtisserie ?
Garance Briant | “Vocation” c’est un peu fort, mais je me suis reconvertie parce que j’ai toujours aimé l’univers de la gastronomie, l’art culinaire, et plus particulièrement la pâtisserie. Mais je ne me pensais pas prête à en faire un métier. Ça peut être délicat de transformer une passion ou un hobby en voie professionnelle et rémunératrice, on peut faire face à des désillusions, ne pas retrouver autant de plaisir dans ce qu’on fait… Donc j’ai choisi la voie des études supérieures “classiques”. Je ne regrette pas, mais avec du recul, j’ai perdu un peu de temps.
Rami Nassim | Moi, c’est un peu différent. Les restaurants étaient moins actifs en ce moment, du fait du confinement et de la crise sanitaire, donc j’en ai profité pour travailler dans une boulangerie.
© Boulangerie Liberté
Depuis quelques années, on observe une grande prise de conscience autour du pain et un retour à des méthodes ancestrales plus vertueuses. Comment le percevez-vous ?
Garance Briant | J’ai l’impression que ça fait partie d’une prise de conscience générale plus globale sur le “bien manger” et “bien vivre”, sur ce que l’on met dans son assiette et comment ça a été fabriqué. C’est en lien avec une prise de conscience écologique aussi, les produits sourcés, biologiques, locaux…
Rami Nassim | Il y a une prise de conscience sur le potentiel artisanal et qualitatif des produits vendus, du coup c’est la demande qui devient de plus en plus exigeante, et je trouve que c’est très bien puisqu’on voit une progression dans le milieu.
Garance Briant | C’est très intéressant que l’on retrouve ça en boulangerie-pâtisserie parce que ce sont des produits courants, que l’on mange tous et qui font partie d’un patrimoine gastronomique national, donc il faut que le secteur s’empare aussi de ces évolutions et sache y répondre avec pertinence pour avancer au même rythme que les consommateurs.
“Beaucoup de jeunes ne trouvent plus de sens dans des métiers ‘intellectuels’ et souhaitent revenir à quelque chose de plus concret, de palpable”
Le monde de la boulangerie-pâtisserie a longtemps été vu comme une voie de garage, que l’on emprunterait par dépit. C’est un préjugé qui a changé ?
Garance Briant | Oui ! Les métiers de l’artisanat comme ceux-là bénéficient depuis quelques années d’une nouvelle image d’excellence grâce notamment aux médias, à la télévision et aux réseaux sociaux, qui mettent en avant ces disciplines et le talent des chef.fe.s. Mais aussi parce que beaucoup de jeunes ne trouvent plus de sens dans des métiers “intellectuels” et souhaitent revenir à quelque chose de plus concret, de palpable. C’est un phénomène que j’observe beaucoup autour de moi chez les 25-30 ans par exemple.
Ça fait quoi d’être jeune aujourd’hui, en 2021, dans ce milieu ?
Garance Briant | C’est un secteur en pleine expansion, qui bouge énormément et très rapidement. C’est stimulant ! J’ai l’impression que les nouvelles générations ont plein d’idées et d’envies nouvelles pour faire évoluer le milieu et c’est génial que des opportunités se créent pour le leur permettre.
Rami Nassim | On a accès au travail de beaucoup de gens sur les réseaux sociaux. C’est une arme à double tranchant, il faut savoir s’inspirer pour se distinguer mais ne pas se fondre dans le courant pour autant.
“Ce n’est pas une fatalité, je pense qu’il y a une réelle prise de conscience des enjeux du bien-être au travail et les nouvelles générations y participent beaucoup”
© Boulangerie Liberté
On a beaucoup parlé des violences en cuisine et dans le monde de la gastronomie et d’un milieu très difficile… Cela a changé ou il reste encore du boulot ?
Garance Briant | J’ai l’impression que ça avance, grâce notamment au travail d’associations et aux nombreuses voix qui s’élèvent dans le milieu, mais clairement il reste du boulot. Mais, justement, ce n’est pas une fatalité, je pense qu’il y a une réelle prise de conscience des enjeux du bien-être au travail et les nouvelles générations y participent beaucoup.
Rami Nassim | Il n’est pas surprenant sachant qu’un cuisinier typique travaille en moyenne douze heures par jour dans un milieu intense et compétitif. Il n’a pas de vie sociale et à peine l’énergie d’avoir une vie personnelle. C’est une bonne recette pour des comportements imprévisibles. Mais ce n’est pas grave, il faut faire avec, c’est un métier de passion. Toutefois, je trouve que tout cela change assez superficiellement et qu’on “force” une attitude plus civique.
© Boulangerie Liberté
Êtes-vous fiers d’évoluer dans ce métier ? Pourquoi ?
Garance Briant | Oui ! Parce que c’est chouette de faire des gâteaux, de créer de jolies choses avec ses mains, de faire plaisir aux gens, d’apprendre continuellement. C’est très gratifiant. Et puis c’est aussi vecteur de conversation avec n’importe qui, tout le monde peut donner son avis, échanger autour de ce métier, qu’on y travaille ou pas, les gens sont toujours curieux et c’est hyper appréciable.
Rami Nassim | C’est bien de dire qu’on est cuisinier, donc oui, mais la fierté s’arrête ici.
Qu’est-ce que t’apporte une boulangerie comme Liberté ?
Garance Briant | Des connaissances théoriques et pratiques en permanence. C’est une petite équipe où j’ai pu toucher à un peu de tout, qui a envie de partager ses savoirs. C’est un environnement de travail agréable, une bonne ambiance et aussi l’opportunité de travailler sur plein de produits variés.
Rami Nassim | Un savoir-faire de qualité.
“Le kouign-amann, c’est de l’abus et c’est très bien”
© Boulangerie Liberté
Comment tu te vois dans 5, 10 ou 20 ans ?
Garance Briant | J’aimerais déjà continuer à apprendre le métier auprès de pros pour avoir vraiment une base solide, puis tester d’autres environnements comme la restauration et l’hôtellerie. À long terme, je pense que j’aimerais bien développer des ateliers pour enseigner, ou ouvrir une boutique-atelier…
Rami Nassim | Dans cinq ans, dans ma pizzeria à Beyrouth. Dans dix ans en train d’ouvrir mon deuxième restaurant. Dans vingt ans, mon troisième restaurant, tous au Liban. Mais, ce n’est pas une bonne idée d’avoir un plan aussi ambitieux.
Qu’est-ce qui fait un grand boulanger ou pâtissier aujourd’hui ?
Garance Briant | L’audace, parce qu’il y a une telle offre aujourd’hui qu’il faut savoir se renouveler, le sens du détail et bien sûr une bonne équipe.
Rami Nassim | Ne pas avoir la flemme, être attentif.
Qu’est-ce que tu dirais à un jeune qui hésite à se lancer dans une formation pour devenir boulanger ou pâtissier ?
Garance Briant | Il faut bien avoir conscience que c’est un milieu difficile, où l’on peut être peu considéré, surtout si l’on débute, mais que ça en vaut la peine !
Rami Nassim | Si l’on sent que c’est le bon choix, il ne faut pas hésiter.
C’est quoi le vrai secret d’un pain réussi ?
Rami Nassim | L’attention du boulanger, je pense qu’il faut vraiment laisser travailler nos sens.
© Boulangerie Liberté
C’est quoi la meilleure pâtisserie de tous les temps selon toi ?
Garance Briant | Le Paris-Brest, indétrônable. Praliné, pistache, sésame noir… tous.
Rami Nassim | Une bonne tarte au citron.
Et la meilleure viennoiserie ?
Garance Briant | Le chausson aux pommes !
Rami Nassim | Le kouign-amann, c’est de l’abus et c’est très bien.
Rami Nassim et Garance Briant seront présents à la Konbini Bakery de la Fête du Pain, le 6 juin prochain. Plus d’infos ici.