Cet été, la rédaction de Konbini révèle au grand jour ses guilty pleasures. Knacks froides, chaîne YouTube obscure ou drôle d’obsession pour des pages Wikipédia sans grand intérêt, préparez-vous à la grande exploration de nos plaisirs inavouables.
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Le 16 juillet dernier, Jane Birkin, l’icône de mon enfance, mon adolescence et plus encore, est morte. Ses obsèques ont eu lieu le 24 juillet à l’église Saint-Roch à Paris, lors d’une cérémonie de trois heures retransmise en direct sur YouTube que j’ai regardée dans son intégralité, totalement hypnotisée. Véritable madeleine de Proust, Jane Birkin était une personnalité pour laquelle je nourrissais une affection toute particulière, et donc par extension, j’avais la même affection envers tout le clan Birkin. Les larmes de ses deux filles, leurs discours pudiques ou inspirés, ses petits-enfants émus, le ballet de câlins de stars et ses chansons qui ont résonné dans l’église Saint-Roch m’ont donc naturellement tiré bien des larmes.
Trois heures plus tard, l’algorithme mortifère de YouTube me conduisit vers les images de l’enterrement de Kate Barry, la fille aînée de Jane Birkin, tragiquement décédée en 2013. Sur mon écran, les mêmes visages endeuillés dix ans auparavant et me voilà repartie dans une nouvelle et lugubre faille spatio-temporelle. Puis soudain, prise de conscience et rapide bilan : combien d’heures avais-je déjà passées (perdues ?) devant des retransmissions d’obsèques d’autres célébrités envers lesquelles je nourrissais pourtant bien moins d’affection ? Spoiler : beaucoup.
“Il faut qu’il bouge son corbillard, on ne voit rien”
Assez peu intéressée par la vie des people en général, il semblerait que leurs morts modifient la matrice. Dès lors, savoir qui s’est rendu ou non à leurs obsèques, qui se risque à un câlin larmoyant ou bien se contente d’une bise polie, devient de première nécessité. Mais ma curiosité morbide me conduit toujours vers les Français : Marion Game (aperçue dans deux épisodes de Scènes de ménage sur lesquels j’avais accidentellement zappé dix ans auparavant) ou Jean-Paul Belmondo (monstre sacré du cinéma pour certains, pas pour la trentenaire que je suis), je n’en ai pas loupé une miette. Objectifs des caméras qui scrutent le moindre pleur et ne lâchent pas leur proie tant qu’elles n’auront pas séché leurs larmes : bienvenue dans le paroxysme du voyeurisme.
Début 2022, la mort accidentelle de Gaspard Ulliel, 37 ans, des suites d’un banal accident de ski, me bouleverse, comme la France entière. Évidemment, je regarde les 45 minutes de live YouTube de ses obsèques, le jeudi 27 janvier à l’église Saint-Eustache à Paris. Sans surprise — et comme tout enterrement — ce ne sera qu’un long défilé d’inconnus, méconnaissables dans leurs habits de deuil noirs, bien planqués derrière leurs lunettes de soleil et même leurs masques chirurgicaux.
Parfois, une tête connue viendra rompre le ballet funèbre pour me sortir de ma torpeur végétative : “Tiens, je ne savais pas qu’ils se connaissaient”. Portrait en noir et blanc de rigueur à l’entrée de l’église, puis cut et départ du corbillard car, par respect pour les défunts, les caméras des journalistes ne sont évidemment pas autorisées à l’intérieur des églises. De mon côté, j’ai perdu 45 minutes et rien d’exceptionnel ne se sera produit sur mon écran. Le destin de Gaspard Ulliel fut tragique, ce que le public pourra voir de ses obsèques conventionnel.
Curiosité morbide ?
Si les funérailles de célébrités ressemblent finalement à n’importe quel autre enterrement — ou presque — jamais je ne m’ennuie devant ces retransmissions, car derrière les caméras, du côté de ceux qui ne sont pas conviés à la fête, un monde parallèle s’affaire. En off, les commentaires parfaitement inappropriés à la situation des JRI postés devant les églises — “Il faut qu’il bouge son corbillard, on ne voit rien”, “Il faudrait qu’elle se retourne pour qu’on la voie mieux” — nous crispent autant qu’ils nous régalent. On compatit avec les envoyés spéciaux qui meublent tant bien que mal leur direct, malgré l’absence totale d’intérêt journalistique de tels événements tandis que l’on redoute la sinistre galerie photo des téléphones des badauds qui filment et photographient l’ensemble.
Mais attention, ma curiosité morbide a ses limites : je n’ai pas regardé les obsèques du siècle, ceux de la reine Elizabeth II, qui ont mobilisé de façon totalement inédite les médias du monde entier. Un peu par méconnaissance et désintérêt envers la monarchie anglaise, beaucoup parce que j’anticipais une longueur et une rigueur protocolaires qui n’auraient pas satisfait mon appétit d’émotions (heureusement, des articles en pagaille ont pu me renseigner sur qui était présent et qui ne l’était pas). Car cette étrange affection pour les vidéos d’enterrement de célébrités n’est pas (seulement) une déviance de ma part, elle existe surtout car j’aime pleurer et ressentir des émotions fabriquées pour l’écran, plus faciles à digérer que les émotions de la vraie vie. Stratégie d’évitement, vous avez dit ?