Un restaurateur de kebab berlinois dans l’avion présidentiel : le chef de l’État allemand Frank-Walter Steinmeier entame une visite peu ordinaire en Turquie où les contacts avec son homologue Recep Tayyip Erdogan seront réduits au strict minimum. Les deux hommes, qui se connaissent depuis 20 ans, entretiennent une relation compliquée, comme l’illustre le fait que le social-démocrate ait attendu sept ans après son entrée en fonction avant d’effectuer un déplacement en Turquie.
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L’Allemagne critique régulièrement la politique jugée autoritaire mise en place par le président turc depuis le putsch manqué de 2016. Le soutien d’Ankara au Hamas dans la guerre avec Israël a encore creusé le fossé. “C’est un signe que ce voyage ne commence pas à Ankara”, dit-on à la présidence fédérale. Au lieu de cela, M. Steinmeier se rendra à Istanbul pour rencontrer des personnes ayant un passé migratoire et des représentants de la société civile.
Il s’entretiendra avec le maire Ekrem Imamoglu, le responsable le plus populaire de l’opposition turque, perçu par certains comme un possible futur président. Le dirigeant allemand, dont les fonctions sont largement protocolaires, rendra visite aux survivants du tremblement de terre à Gaziantep, à la frontière syrienne, avant de s’entretenir mercredi à Ankara avec M. Erdogan.
Son voyage vise avant tout à rendre hommage aux liens étroits qui unissent les populations des deux États, et notamment à la contribution de tous les Turcs qui sont venus travailler en Allemagne depuis les années 1960. Parmi eux figurait le grand-père d’Arif Keles, dont la famille est propriétaire depuis trois générations d’un snack à kebab dans la capitale allemande.
M. Keles doit servir son kebab lors de la réception officielle en soirée sur les rives du Bosphore, à Istanbul. “La broche [de viande à kebab] voyage avec nous dans l’avion”, a-t-il raconté. Cette spécialité de sandwich de pain pita farci de fines tranches de viande, sauce blanche et salade a été introduite en Allemagne par des immigrés turcs. “Le kebab est devenu depuis une sorte de plat national allemand”, a souligné un conseiller du président.
Avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 7 milliards d’euros, le secteur allemand du kebab symbolise un succès de l’intégration turque. “Je considère que c’est une grande marque d’estime que de pouvoir faire partie du voyage”, déclare le restaurateur. Son grand-père a travaillé pendant des années dans une usine de fonte avant d’ouvrir son snack en 1986, raconte-t-il, “et maintenant, le président m’emmène en tant que petit-fils dans la patrie de mes ancêtres”. Le dernier tête-à-tête entre MM. Steinmeier et Erdogan remonte à novembre, lors d’une visite controversée du président turc à Berlin.
Si le conflit au Moyen-Orient devrait être abordé, M. Steinmeier veut avant tout “montrer que les histoires personnelles et les performances de quatre générations d’immigrés turcs font partie de notre République fédérale”, explique-t-on à la présidence. Il aura toutefois fallu attendre 2023 pour que l’Allemagne assouplisse les règles en matière de citoyenneté et accorde également aux Turcs vivant dans le pays depuis des décennies le droit à une double nationalité.