C’est l’une des tables qui nous a redonné foi en une autre cuisine à Paris, une cuisine différente, brute, libre et créative, affranchie et rebelle, qui ne se souciait pas de ce que les gens pouvaient bien dire d’elle. La cuisine de Zac Gannat, génie et surdoué à la fois, récemment nommé parmi les Talents of Tomorrow 2024 de Konbini, était celle qui allait nous enchanter, nous faire vibrer, nous secouer dans tous les sens, le midi ou le soir, toujours au comptoir, devant la cuisine et le four usé qui couinait et sifflait à chaque ouverture, presque comme un signe annonciateur de la fin d’une belle histoire.
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Depuis quelques semaines, nous étions dans la confidence, mais l’on espérait quand même, secrètement, un retournement de situation rocambolesque, qui n’a finalement jamais eu lieu. Alors, voilà, Lolo Bistrot va fermer ses portes, le 1er juin prochain – rassurez-vous, Lolo Cave reste, elle, ouverte. “Il serait trop long de vous expliquer les raisons de notre décision ici. Nous avons passé deux années extraordinaires à vos côtés et nous tenons à vous remercier du fond du cœur pour votre fidélité. Nous ne pouvons pas conclure sans remercier nos équipes qui ont tout donné le long de cette aventure”, ont annoncé les patrons du restaurant, Loïc Minel et Christophe Juville.
Dans un article bien lointain sur le restaurant, je me souviens avoir titré : “Et si Lolo avait tout compris au bistrot de demain ?” À ce moment, j’ignorais que j’allais tomber amoureux, complètement et éperdument, de ce restaurant. J’ignorais que j’y multiplierai des midis en vitesse et des soirs à rallonge. J’ignorais, aussi, que j’y découvrirai l’un des chefs qui me parle et me touche le plus, Zac Gannat, avec une cuisine d’instinct, de tripes et du cœur qui fait, selon moi, toute la force de la cuisine moderne. Une cuisine d’aujourd’hui et surtout de demain, qui sait jouer, comme un funambule ou, mieux, d’un équilibriste, avec les acides, toujours à la parfaite limite du trop, les contrepieds, les associations jamais vues ou jamais imaginées, jusqu’à bousculer les palais et toutes les certitudes.
Ris de veau, anchois, condiment pistache, et plat préféré de mon année 2024. (© Konbini)
Dans cet article, j’écrivais alors : “La révolution des petites assiettes à partager se joue ici, et pas vraiment ailleurs. Ce restaurant a tout compris. Tout compris à une révolution des assiettes qui patine. Une révolution que l’on imaginait mettre en lumière un idéal de partage et de générosité, plutôt que des assiettes un peu trop photocopiées, un peu trop maigres, un peu trop piégées dans leur propre caricature. Une cuisine précise, portée sur les acides et des accords qui bousculent, mais libre, technique mais instinctive.”
Je n’ajouterai rien, pas un mot à tout cela, sinon que ce restaurant qui avait tout compris va nous manquer, cruellement… et que vous pouvez encore en profiter un peu avec les derniers services, d’ici le 1er juin. Comme nous, vous y découvrirez un autre monde, une autre manière de penser la cuisine, fabriquée autant avec des couteaux, des cuillères et des casseroles qu’avec le cœur, les yeux, la tête et l’esprit. Un restaurant comme il n’en existe pas deux, un restaurant où l’on se sent bien et dont on se souviendra toujours, comme un Rino autrefois, un Saturne, un Goguette ou un Procopio Angelo.
Alors, pour garder une trace de cette parenthèse enchantée, en plein cœur de la rue du Faubourg Poissonnière, voici ce que je retiendrai, pour toujours, de ce lieu pas comme les autres :
- le néon rouge au-dessus de la cuisine
- les verres à vin floqués “Lolo”
- les petites tables dans la rue
- le four qui fait un peu trop de bruit
- le air fryer qui remplacera le four qui fait trop de bruit
- les bouillons qui piquent
- le scotch-egg, signature de la maison
- Zac, le chef, et tous ceux qui ont fait la magie de ce lieu
- les quatre couverts au comptoir
- les vins qu’on ne choisit pas et qu’on aime toujours
- le silence et le calme derrière le feu
- le ris de veau/anchois/condiment pistache
- les meilleures associations terre-mer de la capitale
- le sashimi d’agneau et bouillon de crustacés
- Valentin Raffali qui vient y préparer ses épreuves de Top Chef
- la glace au caramel et bleu Stilton
- Loïc Minel, l’âme et le pilier des lieux
- le wellington de langoustine un peu bizarre
- les soirées où l’on boit plus que l’on ne mange
- les soirées où l’on s’accorde un “full carte”
- les fraises/chantilly et poivre
- le porte-manteau qui manque de se casser la figure
- les stores devant les baies vitrées
- les tee-shirts de Zac Gannat
- le choix des playlists qui font du bien à la tête et aux oreilles
- les churros sucrés
- la clope d’après les churros
- le mezcal Vida Del Maguey après la clope et les churros
Ciao, Lolo.
© Konbini