Les fringues, ça sert à s’habiller pour ne pas avoir froid, point. Telle est ma philosophie relative aux vêtements et ce depuis ma tendre enfance quand, déjà, ma mère m’habillait avec les sapes de mon cousin ou du catalogue La Redoute — fils de prof, la ringardise vestimentaire est inscrite dans mes gênes.
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Avec le temps, j’ai pris le contrôle de mon destin, mais pas de mon style, qui est resté aussi indéfini et sans saveur qu’un sablé apéritif d’une marque premier prix. La dernière fois que j’ai fait du shopping, c’était il y a trois ans, et j’ai speedrunné la chose au grand dam de mes amies qui m’accompagnaient.
Dorénavant, mes magasins de sapes préférés sont les boutiques de déstockage. Sur Vinted, je trie par prix et je prends ce qui me choque le moins. Je n’en ai rien à foutre globalement et maintenant, je peux même justifier mon absence de style d’un point de vue écologique — je suis un décroissant du textile opportuniste.
Mon invention stylistique la plus osée : le “pantada”, immonde hybride entre un bermuda trop long et un pantacourt trop court.
Alors, forcément, quand on me parle de la Fashion Week de Paris (ou d’ailleurs), c’est comme si vous parliez à un végétarien de la Foire à l’andouille de Vire. Je suis normalement le journaliste geek de service : le salon où je vais le plus, c’est la Paris Games Week et je suis plus à l’aise dans une Lan avec 100 joueurs suant devant leurs PC.
C’est sur ce constat, que la rédac m’a unanimement désigné (à raison) comme l’individu le plus diamétralement opposé à l’univers de la mode, de la haute couture et du prêt-à-porter.
“Tu vas voir, ici, ça parle anglais.”
Qu’est-ce que je connaissais de la Fashion Week ? Pas grand-chose, je vais être honnête. Déjà, comme beaucoup, j’ai cette impression que toutes les semaines de l’année sont des Fashion Weeks. Je remercie d’ailleurs à ce propos l’article de ma consœur qui a répondu à cette question.
Je connais seulement les grands créateurs français d’un point de vue purement historique : Dior, Chanel, Yves Saint-Laurent, etc. Ces derniers m’inspirant principalement un monde de gens déconnectés qui peuvent se permettre de mettre le prix d’une maison dans une robe. Je sais que Balenciaga, c’est genre les fringues bizarres et chères et sinon, il y a Léna Situations qui est souvent invitée aux défilés. Mes connaissances s’arrêtent là.
Quand on m’explique que la “mousseline” n’est pas qu’une marque de purée.
Je suis donc parti en direction du défilé Sacai. “Tu dois connaître”, me souffle en amont ma consœur journaliste mode. “Ils ont fait une collab avec Nike récemment.” Bien sûr que non, je ne connais pas cette marque japonaise, je ne suis même pas sûr de faire la différence entre des Geox et des New Balance. En tout cas, RDV 15 h 30 non loin de la Tour Eiffel.
“T’inquiète, ça commence toujours en retard”, me glisse ma collègue Cheynnes bien plus habituée à ces expériences — et que je remercie infiniment pour sa patience et sa pédagogie. Mes premières impressions sont sonores, je n’entends que de l’anglais autour de moi — et un peu de japonais, du fait de la nationalité de la marque. Les quelques échanges en français sont marqués par un accent soit international soit très pédant parisien.
Pendant que nous patientons, je laisse traîner mes oreilles tout en observant une conversation “discrète” entre des gens que j’identifie comme “du milieu”. Une femme montre des vêtements sur son téléphone “We can maybe try to put it…” en faisant des gestes pour dire “passer en scred”. Suis-je en train d’assister à des deals de vêtements de luxe ?
Ça caille à Sacai
Évidemment, à la Fashion Week, il n’y a pas que les looks des modèles qui défilent que l’on va voir, cela se passe aussi en dehors du podium. Dès le début, je commence à voir quelques étranges tenues débarquer, des chapeaux cornus à paillettes, des semi-écharpes vert fluo sur la tête.
“En fait, on peut venir habillé n’importe comment, mais si on dit que c’est ironique, c’est du génie, c’est ça ?”
Ma question est volontairement provocatrice, mais Cheynnes acquiesce tout de même. J’évoque l’idée de venir avec un bob Ricard et un bermuda Decathlon et ma collègue valide presque l’idée : “Franchement, ça se fait, ici. Bon, pas chez Dior, je pense”.
À ce stade, vous vous demandez peut-être dans quels habits l’auteur de ces lignes s’est présenté. Assez simplement, évidemment. Je n’allais pas me trahir. Celio, Jules, Monoprix : voilà les marques de mon quotidien. Mais pour l’occasion, j’ai quand même sorti mes Palladium édition limitée — que j’ai uniquement parce que c’est une collab avec le jeu vidéo Destiny 2.
De toute façon, pas de stress, puisque je n’ai pas ouvert mon long manteau noir durant toute la durée de cette expérience. La raison ? Il faisait plutôt froid et c’est notamment dû au lieu original qu’a choisi Sacai pour son défilé : le parking d’un concessionnaire Renault.
D’habitude quand on me donne RDV dans un parking, ce n’est pas ce public que je retrouve.
Honnêtement, j’aime bien. C’est original et même assez amusant de voir quelques affiches pour la dernière Dacia juste avant d’assister à un défilé où des robes coûtent un demi-Smic. Même si j’entends déjà d’ici le pitch d’un communicant qui aurait vendu le lieu comme un “environnement disruptif aux nuances brutes et aux influences aussi industrielles que modernes”.
“Elle n’est pas là, Léna ?”
“On vient aussi pour se faire voir”, me confirme Cheynnes, notamment lorsque je remarque les quelques tenues extravagantes présentes. Évidemment, je ne reconnais quasiment personne. “Elle, c’est Suzy Menkes, une grande journaliste mode britannique”, me chuchote ma collègue en désignant une dame, tout de rose vêtue, qui semble imposer un certain respect à la plèbe environnante — moi inclus.
La seule tête qui m’est familière, c’est celle du rappeur Tyga. “Ah, il n’est pas avec Avril Lavigne ?” gossipe ma consœur. Devant un essaim de photographes et d’amateurs armés d’iPhone, il salue la chanteuse américaine Ciara. Je suis d’ailleurs impressionné par leur capacité à échanger en alternant quelques phrases brèves et des poses divinement photogéniques — moi, si je parle pendant une photo, je ressemble à Gollum.
Il n’y a pas que des stars ou des gens du milieu à la Fashion Week. Certains sont comme moi : de simples badauds émerveillés par cet univers — debout ou sur les sièges de derrière.
“Pourquoi il n’y en a pas deux-trois qui prennent les photos et ils se font un Drive commun ?”
Je remarque tout de même un jeune garçon de dix ans maximum, accompagné par sa sœur un peu plus âgée et sa mère. “Eux, ils doivent être importants pour prendre deux places en ‘front-row’ [premières places devant le défilé, ndlr.] pour leurs enfants”, commente Cheynnes. Je m’imagine au même âge que ce garçon, j’aurais sûrement été dégoûté de ne pas pouvoir passer mon après-midi à jouer à Minecraft.
“Franchement, c’est joli, hein.”
Passons enfin au cœur de ce pour quoi nous sommes venus nous entasser par centaines dans un parking de concessionnaire Renault éclairé de mille feux : le défilé.
Si la musique qui alternait entre des moments de piano très yann-tiersenesques et des phases de rave parties des années 2000 (sans drop) ne m’a pas convaincu, tout le reste, oui.
Sacai est une marque “classique” – à mon sens d’extrême néophyte bien sûr. Les robes sont très belles, très élégantes, très classes, mais “portables”. Je ne vois pas des diamants incrustés, des extravagances qui en feraient presque des déguisements d’un soir et j’imagine très bien des amies les porter pour une soirée un peu guindée, un mariage, etc.
Les modèles sont impressionnantes. Leur démarche est à la fois artificielle et naturelle, un oxymore que je qualifierais de “robotisme élégant” — retrouvez-moi bientôt dans les colonnes de Vogue. Je suis d’autant plus impressionné quand j’apprends que ces mannequins enchaînent les défilés et repartent, valise en main, au prochain RDV aussitôt leur sublime performance achevée — mais nous y reviendrons.
Il y a une poésie indéniable dans ce défilé, et je me surprends à scruter les quelques détails ici et là sur les tenues. “On appelle ça de la mousseline”, m’apprend Cheynnes pour parler de cette texture voilée d’une légèreté rare. Je lui demande d’ailleurs son retour d’experte :
“Pour moi, ça raconte une histoire, celle d’une femme vraiment moderne. Il y a beaucoup de légèreté dans les vêtements et dans le même temps, ça reste sobre. Il y a une alliance entre la féminité et toutes les responsabilités qu’une femme en 2023 endosse.”
“C’est déjà fini ?“
Seuls les derniers vêtements présentés me font légèrement tiquer : des robes conceptuelles où ont été laissés volontairement les fils blancs de fabrication. “C’est un style ‘work in progress’“, m’explique Cheynnes qui n’arrivera cependant pas à convaincre ma seule moue dédaigneuse du défilé.
Un détail vite oublié puisque déjà c’est le final (tous les modèles repassent rapidement) et enfin la créatrice Chitose Abe saluée par des applaudissements chaleureux quoique très procéduriers. Et là, c’est le choc.
Tout le monde se lève à la vitesse de l’éclair dans un brouhaha assourdissant. On croirait que la sonnette du collège vient de sonner la fin des cours, les gens se précipitent vers la sortie. “Attends, ça y est, c’est fini ?”, je demande, interloqué, à ma collègue. “Ah oui, là ils partent tous à d’autres défilés.”
C’était sûrement l’élément que j’avais le moins saisi. Une Fashion Week, ce sont des défilés qui s’enchaînent. Pour celle-ci (une des plus longues), ce sont 106 défilés répartis sur toute la capitale en seulement huit jours. “En fait, la ‘fast fashion’, c’est le fait que tout le monde fonce à ses taxis pour le prochain défilé”, je glisse avant de me diriger fissa vers la ligne 6, encore sonné de cette fin abrupte.
Les gens ne sont pas là pour boire des cocktails (il y a bien des “aftershows”, mais c’est autre chose) ou encore discuter de tout et rien. La Fashion Week, c’est avant tout du business : on bosse, on achète, on commande, on négocie. Finalement, la Foire à l’andouille de Vire n’est peut-être pas si éloignée que je le pensais…