Depuis quelques années, à chaque fin de mois de décembre, j’ai un petit rituel qui ne me quitte plus. Je prends le temps de faire le bilan de mon année culinaire à table, de manière minutieuse et très studieuse. C’est un moment important pour moi et mon métier de journaliste-qui-va-souvent-au-restaurant afin de garder une trace des plats, des recettes et des créations qui m’ont le plus marqué au cours de l’année passée. Important, aussi, parce que ce bilan m’offre une photographie de ce qu’a été la gastronomie – du moins, celle qui m’a touché – à un instant t. Cela me demande un petit tri, des choix, et surtout un sacré effort pour relire les notes chaotiques griffonnées dans mes carnets durant mes repas. Mais à la fin, j’en ressors toujours avec plein de jolis souvenirs, et notamment un top 10 des plats les plus chelous que j’aie dégustés au restaurant. Ici, ce sera uniquement ceux qui m’ont marqué, même si certains, vous le verrez, sont forcément parfois un peu bizarres.
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L’assiette du jardin de l’Auberge Sauvage
© Robin Panfili
L’Auberge Sauvage est un lieu magique que j’ai toujours beaucoup de mal à décrire. Près du Mont-Saint-Michel, mais si loin de son tumulte et de son agitation, ce lieu est un ovni et la promesse d’une parenthèse hors du temps incomparable. Un temple de déconnexion, de silence et de poésie, où l’on vient dormir, se faire cajoler ; mais aussi manger, à la table du chef Thomas Benady, artisan d’une cuisine onirique et songeuse, aussi brute que sophistiquée, quelque part entre une peinture de Camille Pissarro et une envolée de Miles Davis. Ici, une assiette qui introduit son menu dégustation, et une porte d’entrée vers son univers unique au monde.
Le ris de veau de Zac Gannat
© Robin Panfili
Il y a trois choses qui ont rythmé mon année 2024 : prendre la pluie sur mon vélo dans les rues de Paris, manger des abats et découvrir la cuisine de jeunes cuisiniers pleins de promesses. De nombreuses fois cette année, ces trois éléments se sont savamment emmêlés : je quittais le bureau, j’enfourchais mon vélo pour finir trempé au comptoir de Déviant pour déguster une assiette de ris de veau cuisinée par le chef qui m’a le plus marqué ces derniers mois, Zac Gannat. Mon obsession pour les ris de veau a atteint un seuil critique, presque clinique, mais a priori, ce n’est pas très grave. Et après tout, qu’est-ce que j’y peux ? Zac Gannat change régulièrement la composition et les condiments de ce plat – anchois, sardines, pistache… –, il faut bien que j’en goûte toutes les nuances. Non ?
La caille “terre-mer” du Clarence
© Robin Panfili
Je rêvais depuis des années de venir m’attabler au Clarence, ce restaurant doublement étoilé où le chef Christophe Pelé, niché dans un hôtel particulier du XIXe siècle, déroule ses fulgurances à travers une cuisine du cœur, d’esprit et de tripes. Un lieu magique, que j’ai longtemps imaginé comme intouchable, mais qui a fini par me révéler toute sa magie lors d’un déjeuner de trois heures. Je vous en reparle longuement, promis, mais pour la mise en bouche : voici sa caille, surmontée d’une sardine et de sésame. Une merveille à laquelle je (re)pense au moins une fois par semaine, minimum.
Le cœur de canard de Dandelion
© Robin Panfili
“Dis, Robin, c’est quoi ton resto préféré à Paris ?” Je ne sais jamais vraiment quoi répondre, mais pour l’année 2024, j’ai un préféré, et personne n’est parvenu à le détrôner : Dandelion. Pensé, dorloté et cajolé par le duo le plus attachant d’au moins toute la rive droite, Antoine Villard (en cuisine) et Morgane Souris (en salle), ce restaurant est la table qu’il manquait à Paris. Une cuisine délicate, précise, technique, poétique, soignée et sensible, des tabliers blancs impeccables aux sublimes assiettes, à l’image de ce plat dont je garde un souvenir ému. Ici : un cœur de canard grillé et laqué au barbecue avec des œufs de brochet fumés et fleurs de fenouil sur le dessus.
Le croque-monsieur du TGV
© Robin Panfili
J’en ai fait mon combat, et je serai toujours prêt à débattre à n’importe quelle heure du jour et de la nuit pour défendre mon point de vue : le croque-monsieur est un monument de la nourriture nomade que l’on doit respecter. Si la bouffe de la SNCF nous a fait longtemps souffrir, c’est un temps révolu, et il est injuste de faire porter tout ce morose héritage à deux tranches de pain recouvertes d’emmental râpé. Il est là pour nous soutenir pendant les longs voyages, il est chaud, souvent bien cuit, et, bien que maladroit, serviable et d’une bienveillance inégalable dans l’univers culinaire aseptisé des moyens de transport.
La “scarpetta” de Gianmarco Gorni
© Robin Panfili
Ahhhh, que le chef Gianmarco Gorni, celui des belles années de Goguette, nous avait manqué. Après avoir fait briller une cuisine italo-américaine, ludique et quelque peu insolente, dans les cuisines de Vecchio, le chef italien vient désormais de poser ses casseroles, aussi, chez Piccolo, sur le même palier que son grand frère, au Perchoir Ménilmontant. On y retrouve toute l’âme et tout l’esprit de la cuisine un peu folle, un peu zinzin, mais toujours créative et technique, de Gianmarco Gorni. Le plat que l’on retiendra de chez Piccolo ? La “scarpetta”, qui nous invite à plonger un croissant chaud dans une bisque de crabe vert, tartare d’agneau et coques. Une folie, tout simplement, et une ode au fait de saucer les assiettes – c’est d’ailleurs littéralement la traduction du mot italien “scarpetta”.
Les radis punk de Mon Lapin
© Robin Panfili
Cette année, je suis reparti à Montréal, six années après ma première fois en terres québécoises. J’avais plein de choses à régler avec cette ville et plein de choses à rattraper. Des choses à voir, explorer et goûter, que je n’avais pas pu vivre par manque de temps. Parmi elles : goûter à la cuisine de Marc-Olivier Frappier et Jessica Noël à Vin Mon Lapin, le restaurant dont tout le monde parle à Montréal. Je salivais depuis des mois à l’idée de m’y attabler, et je n’ai pas été déçu. Ce que je retiens ? Plein de choses, dont je vous parlerai prochainement, mais surtout des radis complètement punk, à “dipper” dans du foie de volaille et accompagnés de sot-l’y-laisse frits. Une cuisine libre, affranchie et technique qui m’a emballé, plus que tout, en 2024.
Un mystère signé Adrien Cachot
© Robin Panfili
Je ne vous dirai pas de quoi il s’agit car le menu dégustation d’Adrien Cachot, chez Vaisseau, repose sur une science absolue du mystère. Ce serait cruel de vous gâcher la surprise, et cela m’arrange bien car je ne saurais pas vous décrire avec précision les différents éléments de ce plat littéralement extraordinaire. Ce que je peux vous dire, néanmoins, c’est qu’il m’a laissé un souvenir ému, iodé, et glacé. Une ode à la mer, aux embruns et aux goûts qui vous laissent songeur, le regard figé sur votre fourchette pendant cinq minutes pour tenter de déchiffrer ce à quoi vous venez de vous frotter.
Un faux canard laqué chez Faubourg Daimant
© Robin Panfili
La meilleure table végane de la capitale, Faubourg Daimant, continue de faire des miracles. Avec Alice Tuyet en tête, et Erwan Crier en cuisine, on vous a déjà vanté les “croquettes cochonnes” servies avec leur imbattable sauce ravigote, mais voici le plat qu’on retiendra de cette année : un faux canard laqué, servi à la pékinoise, pensé en collaboration avec la jeune créatrice de contenu Cheynese Khachame. Une petite merveille qui nous fait oublier, encore une fois, qu’on pourrait bien se passer de protéines animales… sans même s’en rendre compte.
Les pyramidions de Jade Genin
© Robin Panfili
Vous allez dire que je me répète, mais je m’en fiche. Cette année, côté sucré, je n’ai pas vécu beaucoup d’épiphanies – bon, si, allez, les biscuits de la Manufacture Alain Ducasse –, sinon, encore une fois, les pyramidions au chocolat de Jade Genin, et notamment ceux au praliné noisette et romarin auxquels on a même dédié une vidéo tellement on les a aimés. Des pépites qu’on avale au compte-goutte, si possible, mais qui font toujours leur effet.
La pizza de Rori
© Robin Panfili
Les pizzas, c’est bien. Les pizzas qui changent, c’est encore mieux. Après avoir soupé des pizzas napolitaines depuis des années, on avait besoin d’une révolution. C’est là que Rori est venu nous sauver, avec des slices qui puisent leur inspiration dans les pizzas de New York et les parts romaines. Des recettes techniques, méticuleuses et imbattables : notre coup de cœur – mais on ne vous dira pas quelle est notre slice préférée, car on change d’avis tous les quatre matins.
Le haddock de Matthias Marc
© Ilya Kagan
On suit le chef Matthias Marc depuis un bail, avant même son parcours remarqué dans Top Chef, et on suit toujours de très près ses aventures chez Substance, son restaurant étoilé. On y a pris des claques, on y a redécouvert les gnocchis par les mains d’un Franc-Comtois (qui l’eût cru ?), mais on a surtout trouvé, lors de notre déjeuner de rentrée de septembre là-bas, notre nouveau plat préféré : un haddock, épaulé de raisins, de beurre de raifort et dopé au verjus. Je ne sais pas comment vous expliquer. C’était… fou ?
Les cacio-zaatar de Fellows
© Fellows
Il n’y avait pas de pasta dans ce bilan, et c’est un problème. J’en ai encore mangé de superbes, toute l’année, mais voici celles qui sont sorties du lot. D’abord parce qu’elles proposaient une association que je n’avais encore jamais expérimentée jusque-là – du fromage, façon cacio e pepe, et du zaatar –, ensuite parce qu’elles ont été pensées par un restaurant qui a eu l’ambition de faire les choses bien : une carte végétarienne, que des pâtes fraîches, mais surtout pas chères.
Le sandwich de Wilensky
© Robin Panfili
De passage à Montréal, on a mangé tout ce qu’il fallait manger d’évident : des bagels, des poutines, du maïs sucré, des burgers chez A&W et un poulet chez Romados. Mais on a aussi pris le temps de faire un pèlerinage obligatoire, dans le Mile End, du côté de Wilensky. Je vous épargne l’histoire séculaire de ce lieu iconique, mais je vais vous parler du sandwich qui a traversé les années pour rester, encore aujourd’hui, le “special” de la maison : le Wilensky Special, un sandwich à la mortadelle grillée d’une sobriété absolue – à déguster avec une boisson sortie de l’une des toutes dernières soda fountains de la ville et du monde.
L’onglet de bœuf et sauce au poivre de Braise (et celui du Paul Bert)
© Robin Panfili
C’est un sujet épineux, et on ne va pas s’amuser à mettre de l’huile sur le feu à quelques heures des fêtes de fin d’année. Alors, voilà, on n’a pas un mais deux plats de bœuf/sauce au poivre préférés dans la capitale. Le premier est à déguster chez Braise, la table enflammée de Sylvain Courivaud, et s’approche de l’excellence ultime. Le deuxième est dans une institution de la capitale, le Bistrot Paul Bert, où il est cuisiné avec un poivre de Sarawak. Je ne dirai pas lequel est le meilleur, car les deux sont fantastiques et excellents dans leur domaine : ex æquo, donc.