Voilà plusieurs années que la réputation, la qualité et le génie du restaurant Noma et de son chef René Redzepi, ne souffrent d’aucune contestation possible. Les récompenses, les compliments et les louanges parlent d’eux-mêmes. Mais, l’appel de la créativité et la quête d’imagination se heurtent parfois à la sensibilité de certains clients.
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En janvier dernier, Pietro Leemann, chef de l’unique restaurant végétarien (doublement) étoilé en Italie, avait ainsi vivement interpellé son homologue danois, René Redzepi, l’accusant d’être allé “trop loin”. En cause ? Un plat de canard, servi au menu “forêt et gibier” du Noma l’an dernier, dans lequel était proposée une tête de colvert sauvage encore entourée de ses plumes, farcie de son cerveau frit, accompagnée de son bec et d’une cuillère fabriquée à partir de la langue séchée de l’animal.
© René Redzepi/Instagram
Dans un long message posté sur Facebook, puis dans un long courrier, le chef milanais lui a alors reproché d’avoir “franchi les limites du respect des autres êtres vivants qui partagent la planète avec nous” et d’avoir servi un “plat trash à là Tarantino – à la différence de Quentin, qui utilise la sauce tomate pour peindre la mort violente de ses acteurs, vous avez utilisé un vrai animal”, rappelle le site Fine Dining Lovers.
“La question que je me pose est : pourquoi vouloir étonner à tout prix ? Quelles sont les limites de la créativité ? Dans ce présent où la majorité recherche une proximité avec la nature et ses habitants, quel message monsieur Redzepi veut-il porter ?”
© René Redzepi/Instagram
Du côté du Noma, les réponses n’ont pas tardé à arriver, d’abord par l’intermédiaire d’Arve Podsada Krognes, le directeur de la communication du restaurant : “Nous comprenons et apprécions que certains de nos menus ou plats spécifiques puissent sembler provocateurs et parfois entraîner des controverses”. Mais c’est surtout une réponse du sous-chef du Noma, Riccardo Canella, qui permet de mieux comprendre la démarche, l’idée et la volonté du chef derrière ce plat surprenant.
“Quand on mange de la viande – on en utilise très peu chez Noma –, il y a toujours une mort au milieu, qu’on soit obligé de la voir ou pas, pour fêter cette mort, on a décidé de respecter l’animal en utilisant tout, de la tête aux jambes pour ne rien gaspiller, quelle que soit la provocation que cela peut être aux yeux de beaucoup.”
© René Redzepi/Instagram
Dans son long message, le jeune chef prend aussi le temps de détailler l’origine des animaux et la manière dont ils sont préparés et cuisinés.“Toutes les têtes sont bouillies puis désinfectées à l’éthanol (même les plumes) et recouvertes de cire d’abeille à l’intérieur pour éliminer tout type de charge bactérienne”, dit-il.
“Le cerveau est frit dans une tempura légère, puis mariné avec du genièvre et du thym arctique, tandis que le bec ‘coupé’ contient un tartare du cœur du canard, légèrement fumé, assaisonné d’une émulsion de beurre de noisette… Délicieux, car l’esthétique et la créativité ne doivent pas mettre de côté le goût.”
La cuisine se trouve ainsi désormais à un carrefour crucial et hautement symbolique. Car si la créativité culinaire et la recherche gastronomique constituent pour certains un sacerdoce à défendre coûte que coûte, celle-ci doit aujourd’hui cohabiter avec des considérations éthiques, morales, politiques et philosophiques, qui ne sauraient tolérer de telles prises de position.