Voilà quelques années que les débats sur la carbonara sont devenus un marronnier gastronomique dont on ne s’étonne même plus. Mais cette fois, les choses semblent avoir pris un tournant encore plus dramatique que d’ordinaire. Depuis plusieurs jours, l’Italie est vent debout contre un article du Financial Times, et plus précisément contre un article d’un historien qui a osé remettre en question des vérités élémentaires sur la gastronomie italienne. Selon l’historien et expert culinaire Alberto Grandi, également professeur d’histoire de l’alimentation à l’université de Parme, les pâtes à la carbonara, l’un des plats les plus emblématiques de la cuisine transalpine, né à Rome, seraient en fait américaines.
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Dans son interview, le professeur explique que le plat serait né “durant la Seconde Guerre mondiale”, “lorsque les soldats américains ont apporté le bacon en Italie et ont eu l’idée de l’associer aux œufs et aux pâtes”. Pour appuyer ses dires, Alberto Grandi explique s’être appuyé sur le travail d’un autre historien, Luca Cesari, auteur du livre La Véritable Histoire des pâtes. Provocation ou réalité historique implacable ? L’historien s’est également attaqué à d’autres symboles de la gastronomie italienne, sans prendre de pincettes. Il affirme notamment que “la plupart des Italiens n’avaient pas entendu parler de pizza avant les années 1950”, mais aussi que “de nombreux ‘classiques’ italiens, du panettone au tiramisu, sont des inventions relativement récentes”.
En Italie, comme d’ordinaire, les réactions ne se sont pas fait attendre. D’abord du côté de la Coldiretti, l’association agricole nationale, qui a dénoncé une “attaque surréaliste”. “On cherche à discréditer notre pays”, a surenchéri le secrétaire d’État à l’Agriculture. Il faut dire que le timing est particulièrement délicat quand on sait que la gastronomie italienne attend patiemment son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Dans un article publié par la BBC, une journaliste italienne résume assez bien l’onde de choc qu’a provoqué cette interview. “Nous n’arrivons plus à parler d’autre chose”, confie Anna Bressanin.
Mais alors, d’où vient réellement cette recette, présentée comme l’un des symboles de la cuisine italienne ? Même après des années de polémique, ce n’est toujours pas clair et personne n’est parvenu à se mettre d’accord. Car si l’hypothèse d’une improvisation par des GI américains reste historiquement plausible, des ouvrages culinaires italiens posaient déjà les bases de cette recette – même si le nom “carbonara” n’est apparu que tardivement, autour des années 1950. Mais au fond, la vérité se cache sûrement ailleurs, dans la nuance de toutes ces affirmations et certitudes, tantôt chauvines, tantôt revanchardes, et le plus souvent entachées de mauvaise foi. Car, comme le dit très bien la journaliste gastronomique italienne Eleonora Cozzella, il s’agirait peut-être tout simplement d’une “combinaison entre le génie italien et les ressources américaines”. Un partout, balle au centre.