Comme dans tous les domaines, le monde de la cuisine a ses modes. Dans un quotidien rythmé par les tendances et les gens prêts à les suivre, la “food” n’échappe pas à la starification éphémère et aux trends sans lendemain. Le quart d’heure warholien de l’assiette. Du smash burger au bubble tea en passant par les dérivés au CBD, la “food” navigue ainsi de “place to be” en “must eat” à la gloire parfois aussi soudaine que passagère. Pourtant, parmi ces tendances, certaines prennent une véritable ampleur modifiant radicalement le paysage gastronomique. C’est incontestablement le cas de la pizza napolitaine.
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Longtemps reléguée à l’indispensable accessoire d’une soirée foot entre potes ou au plat de la dépanne pour les soirs de flemme, la pizz a acquis, depuis quelques années, un statut bien plus flatteur, mais pas grâce à n’importe quelle pizza, non. Grâce à la napolitaine. La vraie. Celle de la ville où tout a commencé avec l’invention de la margherita – aux couleurs de l’Italie, le rouge de la tomate, le blanc de la mozzarella et le vert du basilic – par Raffaele Esposito, à la fin du XIXe siècle. Plat populaire s’il en est, la pizza napolitaine a déferlé sur la capitale française depuis quelques années, reléguant le burger qui se dorait tranquillement le bun sur son trône, dans les oubliettes du cool. Aujourd’hui, la queen, c’est la napo !
Bien évidemment, les pizzerias ont toujours été présentes dans la capitale sous des formes plus ou moins qualitatives, mais force est de constater que la pizza véritable, venue de Naples, a entraîné une véritable révolution de la scène pizzaïolesque parisienne. C’est également le cas à l’échelle nationale, où chaque ville voit fleurir sa pizzeria napolitaine. À l’image de la révolution Escoffier dans le milieu de la restauration “traditionnelle”, impossible de nier que la mode de la pizza napolitaine aura permis au rond de pâte de s’embourgeoiser (trop ?) en accueillant des produits au sourcing impeccable, bien loin des jambons sous vide et des fromages premier prix. De même, le pizzaïolo, à lui seul, s’est mué en rock star et s’affiche désormais sur les réseaux sociaux et les plateaux télé, à l’égal d’un chef étoilé.
Une hype en déclin ?
S’il fallait mettre une date sur le véritable début du raz-de-marée de la pizza napolitaine dans les rues parisiennes, ça serait probablement l’ouverture de la pizzeria Popolare du groupe Big Mamma, en 2017. Le produit phare, une margherita à cinq euros tout pile, pour laquelle le Tout-Paris fera la queue sur le trottoir, sur parfois plus de 50 mètres. Aux fourneaux – ou plutôt au four à pizza –, Peppe Cutraro devenu champion du monde de pizza et, depuis, lui-même à la tête de plusieurs pizzerias à son nom dans Paris.
Malheureusement, cette tendance a aujourd’hui pris tellement d’ampleur qu’elle en devient pour la plupart du temps lassante et sans surprise. Difficile de sortir du diktat de la pizza napolitaine alors que les posts Instagram regorgent de photos de pizzas aux cornicione (ou, dans la langue de Molière, le “trottoir”, terme employé pour désigner les rebords de la pâte à pizza), tous plus boursouflés les uns que les autres dans un concours puéril de celui qui aura la plus grosse… pâte, bien évidemment. Impossible aujourd’hui de faire 500 mètres dans la capitale sans croiser une enseigne italienne sans imagination, dotée d’un four mosaïque, balançant des disques de pâte tomatée (et de la San Marzano, s’il vous plaît) garnis de mozzarella DOP et aux prix régulièrement prohibitifs. Après tout, c’est la tendance du moment.
“Pas forcément besoin d’aller chercher très loin pour dénicher ses potentielles rivales. Car dans l’arbre généalogique de la dynastie pizza, nombreuses sont les cousines aux charmes indéniables qui pourraient recevoir les faveurs de la cour.”
Pourtant, comme le disait Youssoupha il y a plus de 10 ans : “Suce la tendance jusqu’à la mort, t’es dans de beaux draps, moi j’m’en fous de la mode, par définition elle se démodera”. La napolitaine devrait donc finir par rentrer dans le rang de la hype, probablement délogée de son trône par la nouvelle graille en vogue. Et, à vrai dire, pas forcément besoin d’aller chercher très loin pour dénicher ses potentielles rivales. Car dans l’arbre généalogique de la dynastie pizza, nombreuses sont les cousines aux charmes indéniables qui pourraient recevoir les faveurs de la cour. À commencer par la pizza romaine.
À vrai dire, elles sont même deux à venir de la capitale italienne. Si tous les chemins mènent à Rome, celui de la pizza également. La première, la pizza romaine ronde se distingue par sa pâte avant tout. À l’inverse de sa version napolitaine, la romaine a une pâte fine et croustillante ainsi que des cornicione étroits. Dans l’esprit, elle s’approche de la pizza “classique” que l’on pouvait précédemment trouver un peu partout en France. La deuxième pizza, issue de la ville de Francesco Totti, est celle dite al taglio (à la coupe). Cuite dans un moule, on la sert à la découpe sous forme de part rectangulaire que l’on paye généralement au poids. Elle présente l’avantage de souvent offrir des garnitures plus originales que les pizzas rondes et de posséder une pâte très croustillante.
Les multiples ramifications pizzaïolesques
Mais les ramifications pizzaïolesques ne s’arrêtent pas aux frontières de la botte. La culture de la pizza, à travers les migrations des populations du sud de l’Italie à la fin du XIXe siècle, s’est exportée aussi bien du côté de Marseille que de l’autre côté de l’Atlantique, notamment à Buenos Aires et à New York. Dans ses nouveaux ports d’attache, la pizza napolitaine va se réinventer en s’adaptant aux habitudes et aux produits locaux. En débarquant sous l’œil bienveillant de la Bonne Mère, la Napolitaine devient la “moitié-moitié” avec sa moitié d’anchois et son autre moitié d’emmental. Elle donne même lieu à la création d’un lifestyle typiquement marseillais avec l’invention du camion à pizza, par Jean Méritan, en 1962.
Du côté de la grande pomme, elle se voit en version XXL, dopée au pepperoni et dealée à la slice. Alors qu’en Argentine, qui est à l’époque une puissance agricole qui fait rêver un bon paquet d’Européens, la pizza incarne le reflet de cette opulence. Complètement sous perfusion de fromage, elle abandonne dans sa version fugazzeta toute trace de tomate pour laisser la place à un tapis d’oignons reposant sur une pâte fourrée aux anabolisants lactiques. D’autres pays encore comme la Turquie ou la Géorgie accueillent des cousines éloignées de notre chère pizza. Le pide ou le khachapuri font ainsi partie de cette vaste famille de pâtes plus ou moins rondes, plus ou moins cuites et plus ou moins garnies.
Cette grande famille qui tape à la porte du succès et d’une tendance future et qui, slice par slice, trouve sa place dans le pizza game parisien et français. Cette famille aussi large qu’accueillante qui ne réclame qu’un peu d’attention et quelques stories pour transformer la hyp’olitaine en un lointain souvenir dans votre cœur de pizzaiophile.