Être journaliste, surtout de mode, ça fait glamour. Quand on le dit aux gens, il y a souvent cette petite étincelle qui pétille dans leurs yeux et si on a une âme un peu romantique, on peut se dire que c’est presque équivalent à une augmentation. Enfin, pas dans un monde où l’huile d’olive est à 15 euros le litre. Il se trouve que j’adore l’huile d’olive. Oui, c’est vrai, je suis une fille assez vénale surtout quand il s’agit de ma salade tomates cerises/feta.
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Tout ça pour dire qu’être journaliste, c’est très glamour mais ça veut surtout dire qu’on reçoit une tonne de mails, de messages internes, de notifications et de petits trucs qui font tringtilingtintings tout le temps. S’il y a bien un truc que l’une de mes ex-red chefs — qui était une c*******e notoire selon l’avis général et qui s’amusait à semer la terreur dans tout l’open space du magazine — m’a appris, c’est de ne pas répondre à tout. “Si c’est vraiment important, ils enverront un autre message”, me disait-elle entre deux requêtes de lui apporter son eau Hépar ou de l’accompagner dans une galerie d’art dans une rue piétonnière et chic de Paris. Comme même vos pires ennemis peuvent vous apprendre des choses intéressantes et utiles, je n’ai jamais lâché son conseil. Du coup, je survole les milliers de notifications quotidiennes très, très vite, jusqu’à ce qu’un truc un peu sexy me tape dans l’œil.
Là, c’est Flavio qui m’envoie un screenshot où on peut lire qu’on est invités à la soirée de lancement des nouvelles sneakers Puma de Rihanna, en présence de la star, s’il vous plaît. On va se calmer. Vous savez, quand il s’agit de Rihanna, je suis du genre à voir le verre à moitié vide, alors je suis assez sceptique sur la mention “en présence de la star”. Je me dis qu’à tout moment, ils vont faire descendre un hologramme d’elle qui sourit en agitant la main à la Hunger Games ou projeter une vidéo où elle nous remercie sans grande conviction comme quand Aya Nakamura avait demandé à Nikos Aliagas de lui ramener son trophée plus tard.
Je me dis que ça ne mange pas de pain. Au mieux, on voit Rihanna et au pire, on repart le ventre plein de petits fours saupoudrés d’energy drinks et un petit sac de goodies. Si je dis bien boisson énergisante à la place de champagne, c’est pour lancer un coup de gueule que je garde pour moi depuis trop longtemps ! La mode est un monde de soiffards qui s’en contrefichent de leurs confrères qui ne boivent pas d’alcool (et ça vaut pour les soirées pro en général). À chaque événement où j’ai mis les pieds, en mes 13 ans de carrière, le scénario était presque toujours le même : il y a une ribambelle de cocktails plus sexy et exotiques les uns que les autres et nous autres, pauvres manants, on se retrouve avec trois choix de softs : eau, jus d’orange et coca. “Cool, merci, beeen, je prendrai une eau plate alors. Est-ce que je peux quand même avoir une paille ? Ahhh, c’est réservé aux cocktails ? OK, pas grave, hein.”
Du coup, je dis à Flavio que s’il est chaud, je suis chaud et là, il me renvoie un screenshot où la RP nous demande nos passeports. Red flag de ouf. Parce qu’il faut savoir que je n’envoie que rarement ce genre de document, tout simplement parce que je suis toujours horrible dessus (et je ne fais pas ma mid girl). Je suis juste pas photogénique et j’ai l’air surprise sur chaque photo. Je ne sais pas comment les autres font mais je n’ai jamais été belle sur un document officiel. Je me suis promis que la prochaine fois (en 2029), je regarderai les tutos qui pullulent sur TikTok et qui nous apprennent à être passport ready :
@georgia.barratt Reply to @petassnym yes I’ve got as it was on repeat the whole way through #xyzbca #beauty #makeup original sound - georgia barratt
Je demande à Flavio pourquoi elle a besoin de nos passeports (parce que même si c’est Rih, il ne faut pas abuser) et là, il répond que c’est pour l’Eurostar et que la soirée est à Londres. Il fallait commencer par ça, ma chérie. Là, la proposition devient plus intéressante encore : Rihanna, Creepers, le pays de Jude Bellingham… Je ne vais pas me mentir, je m’y vois bien. Alors, let’s go, my dear friend.
Au final, Flavio ne vient pas et je passe tout le trajet à côté d’un homme aigri qui essaie tant bien que mal d’abaisser l’accoudoir entre nous mais je suis beaucoup trop thick, comme dirait Ice Spice, et ça bloque sur ma hanche. Je me dis que ça me fait un petit massage anticellulite, du style madérothérapie, alors, je ne me plains pas.
J’arrive à l’hôtel et je me souviens que les Anglais font tout différemment. Ils roulent de l’autre côté, ils mangent des haricots à la sauce rouge au petit-déjeuner et surtout, ils n’ont pas les mêmes prises que nous (retenez bien ce détail). J’essaie de repousser mon côté chauviniste et de profiter un peu du grand lit immaculé quand une notification du groupe WhatsApp “@pumafrance x Fenty Creeper PHATTY party” nous annonce qu’il faut qu’on soit prêts dans le hall dans 55 minutes. Whaaaaaat?! C’est le temps qu’il me faut pour estomper mon teint, normalement ! Je voulais avoir un maquillage flawless pour que Rihanna repère mon concealer et mon highlighter ultra-lumineux et me demande d’être la nouvelle égérie de Fenty Beauty. Spoiler alert : ça ne se fera sans doute pas, mais c’est la faute de mon téléphone (vous saurez plus tard pourquoi) parce que je n’ai pas spécialement envie de me jeter des fleurs, mais j’ai fait un travail remarquable en 55 minutes. Dedans, il faut compter la douche, le séchage de faux-cils et la longue skincare.
J’arrive à la soirée accompagnée d’influenceurs jeunes, frais et qui maîtrisent le franglais (presque) mieux que moi. On se pose tous la seule question importante aujourd’hui : est-ce que Rihanna sera là ? Parce qu’à tout moment, RZA a attrapé un rhume ou ses mummy duties la retiennent à LA. Qui va dire quoi à Rihanna ? Et surtout à une jeune mère dont l’enfant est malade ? Du coup, on espère que Rihanna sera là mais on ne le dit pas trop fort pour ne pas se porter la poisse. Dans l’immense salle, il y a de la verdure, des branches, des pousses, des tiges, des paires de Creeper Phatty et des gens beaux posant devant la fausse jungle partout.
© Konbini
Je passe la première heure de ma soirée à m’enfiler des petits fish and chips dans des cornets Fenty trop mignons et à jouer au basket. À la deuxième heure, la casanière en moi — qui a vieilli et qui ne rêve que d’un verre de tonic (j’ai vieilli, je vous dis) devant la saison 2 Bridgerton — commence à taper du pied et à se demander si j’ai vraiment envie de voir Rihanna : “En plus, tu n’as pas tes lunettes, ma chérie. Tu la verras mieux sur les réseaux et dans ton lit bien au chaud que dans cette foule déchaînée, qui danse mieux que toi sur de l’amapiano”.
Elle a raison. Mais je me dis qu’à tout moment, Rihanna arrive avec ses deux gosses et interprète trois chansons inédites de son nouvel album rien que pour nous et que je rate tout ça. Le lendemain matin, je me réveille sur une blinde de messages de Lucie et de Méline qui me demandent si je n’ai pas des images cool de la soirée dont tout le monde parle. Ben non, parce que j’ai préféré rentrer pour boire un tonic. La sororité me pousse donc à prendre mon mal en patience et je refais un tour dans la salle. Je souris, je lance un ballon, je reprends un bâtonnet de poisson, je souris, je danse un peu, je lance un ballon, bâtonnet de poisson, sourire, ballon… et enfin, je me plains dans le groupe :
© Konbini
Puis, comme dans une épopée remplie de hobbits et autres êtres de la forêt, des rumeurs commencent à nous parvenir au compte-goutte : la star serait en chemin et arriverait d’ici 20 minutes. Je remarque qu’on ne peut plus sortir prendre l’air, alors, mon côté Colombo décide que c’est plausible. Allez, c’est presque fini et les Creeper Phatty sont vraiment confortables donc ça aurait pu être pire.
Tout à coup, un Français (toujours les plus dramatiques, si vous voulez mon avis) crie : “Elle est lààà” et une vague d’excitation traverse la salle et s’arrête juste devant mes pieds. J’aurais aimé avoir une autre réaction mais je n’arrête pas de penser au verre de tonic qui m’attend dans le minibar. J’ai l’impression que cette soirée a duré plus longtemps que tous les films de James Cameron réunis. C’est vraiment trop pour la personne partiellement sociable que je suis, mais j’essaie de me réjouir et scrute la pièce à la recherche d’une silhouette blonde.
© Konbini
Elle passe une bonne heure à répondre aux questions des médias anglophones et je note quelques-unes de ses anecdotes : elle a déjà quelques hits de prêts dans son nouvel album (qui va vraiment, vraiment sortir), elle a bossé dessus avec son mec Rocky, comme elle l’appelle et ses enfants vivent la vie de rêve. On imagine facilement.
Arrive enfin le moment où elle se mêle à la foule et je me place stratégiquement (grâce à mes années d’expérience en Fashion Week) pour avoir la meilleure vidéo de sa majesté. Elle passe devant moi, on se fait la moitié d’un eye contact, je la filme et là, un message apparaît sur mon écran “espace de stockage saturé”. Horrible. Tuez-moi. Je me suis enfilé tous ces bâtonnets de poisson pour ça ? C’est vrai que j’aurais pu m’apitoyer sur mon sort et la regarder passer, remplie de défaite mais ce contretemps technique m’a montré que j’avais une vitesse de réflexion impressionnante. J’avais deux options : supprimer à la va-vite quelques vidéos (chose qu’on regrette toujours) mais j’allais la louper et tenter le tout pour le tout et faire une capture d’écran vidéo qui ne s’enregistrerait peut-être jamais. Voici le résultat :
© Konbini
J’ai déjà vu Rihanna de plus près, je l’ai déjà mieux filmée et même mieux reniflée (eh oui, comme la légende le dit, elle sent très bon) mais cette vidéo-là représente une avancée personnelle, mentale et émotionnelle : “Ne t’inquiète pas, Coumbis ! Même si c’est la merde, tu trouveras une solution. Et au pire, tu en feras un article”.