“Il faut aller là où on ne nous attend pas” : la cheffe Justine Pruvot sur l’importance de sortir de sa zone de confort

“Il faut aller là où on ne nous attend pas” : la cheffe Justine Pruvot sur l’importance de sortir de sa zone de confort

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© Waylon Bone

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Par Robin Panfili

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Justine Pruvot nous raconte la manière dont les voyages et ses expériences, comme aujourd'hui à Athènes, influencent son travail de cheffe.

Voilà plusieurs années désormais que Justine Pruvot se fraie un chemin dans le paysage culinaire contemporain. Devenue cuisinière après un changement de vie et de carrière, elle œuvre désormais dans les cuisines de France et d’ailleurs, mais notamment à Marseille où elle vit désormais. Après avoir lancé sa marque d’art de la table Touillet et une longue résidence chez Mercato (Marseille), Justine Pruvot a souhaité explorer d’autres horizons culinaires, toujours en lien avec sa philosophie et sa vision très personnelle de la cuisine végétale. Il y a quelques semaines, elle a donc fait ses valises pour la Grèce, et précisément Athènes. Pour Konbini, elle évoque l’importance des défis, des prises de risque, et raconte cette aventure qui l’a changée à bien des égards. 

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Konbini | Comment as-tu atterri en Grèce ? C’était un choix ?

Justine Pruvot | Un peu des deux ! J’ai rencontré l’équipe de l’hôtel Mona Athens et on a imaginé ensemble une résidence culinaire où je proposerais ma cuisine végétale en lien avec les produits grecs. Il y avait aussi une vraie opportunité pour Touillet, puisque mes collections sont mises en avant sur leur e-shop. C’était ma première fois en Grèce et à Athènes, donc je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Je suis arrivée avec beaucoup de curiosité et l’envie de voir comment ma cuisine pouvait s’intégrer dans cet environnement.

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Ce qui m’a plu, c’est que ce n’était pas juste une énième résidence où on te donne les clés de la cuisine et où tu fais ton truc sans interaction. Ici, c’était un projet commun. L’équipe de Mona voulait vraiment comprendre qui j’étais, mes valeurs, ma cuisine, et trouver la meilleure manière de l’exprimer auprès des Athéniens.

Qu’est-ce que tu as découvert en arrivant à Athènes ? 

Athènes est une ville pleine de contrastes, vibrante et intense. Je ne m’attendais pas à un tel mélange entre le passé et le présent. L’architecture est marquée par le temps et la crise économique de 2008, mais il y a une énergie fascinante, une vraie effervescence. Côté food, j’ai été frappée par l’importance des tavernes.

Contrairement à d’autres villes où les restaurants traditionnels deviennent touristiques, ici, ils sont toujours au cœur de la vie locale. Les gens y mangent avec une simplicité désarmante, mais toujours avec générosité et fierté pour leur cuisine. Et puis, la taille des portions… GÉANTES ! On est loin des “tapassiettes” trendy des grandes métropoles françaises (ce mot devrait être banni à tout jamais, d’ailleurs).

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Qu’est-ce que cette ville a de si spécial et unique ?

Elle ne ressemble à aucune autre. Athènes est à la fois bouillonnante et hors du temps. Il y a une ambiance presque cinématographique, un mélange de douceur méditerranéenne et de chaos urbain. Ce qui m’a marquée, c’est la manière dont la ville vit à ciel ouvert : les marchés débordent sur les trottoirs, les cafés sont pleins à toute heure, les repas se prennent dehors et s’étirent en longueur. Un peu comme à Marseille, quand il se met à pleuvoir, la ville s’arrête.

Qu’est-ce que cela implique pour une cheffe de cuisiner dans un lieu inconnu, loin de sa ville ?

Ça oblige à s’adapter très vite : aux produits, au rythme du marché, à la logistique, aux outils qu’on a sous la main. Ça t’apprend à faire avec ce que tu trouves, à sortir de tes automatismes, à aller droit au but. Il faut faire un menu simple, maîtrisé, avec des marqueurs forts qui représentent ta cuisine.

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Et cuisiner en dehors de son propre pays ?

Là, c’est encore plus challengeant. La culture alimentaire est différente, les attentes des gens aussi. En Grèce, la viande et le poisson sont omniprésents. Arriver avec une cuisine végétale, c’était un pari. Mais en discutant avec les producteurs, en observant la manière dont les gens mangent, j’ai pu ajuster mon approche et proposer quelque chose qui fasse sens ici.

La langue est aussi une barrière, mais heureusement, les Grecs parlent tous très bien anglais. Et puis, je passe mon temps sur Duolingo depuis que je suis arrivée ! Ça pousse aussi à créer du lien. Ici, j’ai rencontré les mecs de chez Wine is Fine, Habiba et Jason Ligas. Ils m’ont super bien accueillie et donné tous leurs tips et contacts pour trouver des produits, des lieux, etc.

C’est important pour un cuisinier de se livrer à de telles aventures et sortir de sa zone de confort ?

Oui, sinon on s’enferme. Aller ailleurs, c’est remettre en question sa manière de faire, découvrir d’autres gestes, d’autres saveurs, d’autres manières de penser la cuisine. Ça nourrit énormément.

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Qu’est-ce que cela t’a apporté, à toi ?

Une nouvelle approche des produits, une autre façon de penser la convivialité dans l’assiette. Et surtout, ça m’a confortée dans l’idée que ma cuisine végétale peut exister partout, même là où on ne l’attend pas forcément.

Quels enseignements tu en tires pour le futur ?

Qu’il ne faut pas avoir peur d’aller là où on ne nous attend pas. Et qu’il y a toujours un moyen d’ancrer sa cuisine dans un territoire, tant qu’on prend le temps de comprendre comment les gens mangent et ce qui les relie à leurs produits.

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Comment convaincrais-tu, moi, ou quiconque, de venir visiter Athènes ? Pourquoi ?

Parce que la cuisine ici est sincère et profondément ancrée dans la culture du partage. Il faut venir pour les tavernes, pour voir comment les Athéniens mangent sans prétention mais avec une générosité folle. Pour goûter les légumes marinés, les fromages frais, les grillades au feu de bois, le pain trempé dans l’huile d’olive… Ici, manger, c’est un acte de convivialité qui ne s’est jamais perdu.

Après Athènes, tu as quoi de prévu ?

Je rentre à Marseille, je me pose un peu cette fois. Entre mon voyage au Japon, mon stage chez Datil et mon voyage à Hanoï, ça fait quasi trois mois que je ne suis pas vraiment rentrée… et la mer me manque. Je bosse aussi sur une nouvelle collection pour Touillet avec mon amie designer Marie Jeunet et je prépare une résidence à Tokyo. Un autre univers, un autre challenge… j’ai super super hâte !