Pour rire, réfléchir et même parfois se sentir gentiment mal à l’aise, voici cinq spectacles qui ont su nous séduire.
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King Kong Théorie : un texte brûlant d’actualité, incarné avec justesse et force
(© Stanley Woodward)
Le texte de Virginie Despentes est sorti il y a plus de 10 ans mais les maux de cette époque restent encore bien présents. Avec une verve constante, elle y déconstruit tous les stéréotypes liés aux genres et détricote les bêtises qu’on met dans le crâne des femmes pour mieux les dominer. L’autrice ne faisait pas consensus à l’époque, notamment lorsqu’elle parlait de prostitution. Une pluie de critiques s’était alors abattue sur son ouvrage. Mais ce texte, toujours très fort aujourd’hui, est peu à peu devenu un classique du féminisme, un livre à avoir lu, une référence en somme.
Vanessa Larré met en scène, avec habileté et sobriété, Anne Azoulay, Marie Denarnaud et Valérie de Dietrich. Lecture de passages du texte et mise en actes des situations décrites par Despentes alternent et parfois même se mêlent. La violence est omniprésente et les mots claquent. Trois femmes puissantes racontent sur scène des traumatismes, des épreuves et la force nécessaire pour continuer à avancer grâce à une hargne, à une volonté farouche de vivre une vie sans injonctions, en dehors d’une société patriarcale écrasante. Ce trio d’actrices époustouflant est au service d’un texte bouleversant.
King Kong Théorie, du mardi au samedi à 21h au Théâtre de l’Atelier, jusqu’au 31 décembre.
Monsieur Fraize : génie de la gêne
(© Sébastien Maréchal)
L’humoriste avait été découvert chez Laurent Ruquier mais il a surtout été très remarqué avec son dernier spectacle, grâce à un humour très atypique, à rebrousse-poil de la jeune génération de stand-uppers. Récemment, il est pas mal apparu sur grand écran, notamment dans la peau d’un zadiste dans Problemos d’Éric Judor ou en policier dans Au Poste ! de Quentin Dupieux. Il aura l’occasion de jouer d’autres seconds rôles prochainement : avec Fabrice Luchini dans Le Mystère Henri Pick (adaptation du roman de David Foenkinos), aux côtés de Vincent Lacoste et Emmanuelle Devos dans L’Enfant roi ou encore avec Manu Payet dans Smiley.
Pour l’heure, Monsieur Fraize et son humour si singulier sont sur scène pour notre plus grand bonheur, dans un nouveau spectacle avec les mêmes ingrédients : des silences, du malaise, des mimiques, des onomatopées mais surtout beaucoup de rires dans le public. Cet acteur virtuose, maître dans l’art du mime, travaille ce personnage depuis 17 ans. Il est tout à la fois un petit garçon qui raconte des histoires sans queue ni tête, un fou qui déraille ou un vieil homme qui n’a pas toute sa tête et qui débloque. Son spectacle est encore perfectible et on préfère quand son personnage agit comme un enfant naïf plutôt que lorsqu’il devient mauvais, en se moquant du Noir du supermarché ou en interpellant une “grosse dame”. L’humour de Monsieur Fraize est tout de même arrivé à maturité et cela donne un savant mélange d’absurde, de malaise et de dénonciation subtile d’une société où posséder des “produits” semble être l’idéal à atteindre.
Monsieur Fraize ne sillonne plus les routes de Bourgogne où il avait créé un “café-théâtre ambulant” mais il a défoncé le game du stand-up parisien, avec son humour décalé et bienveillant.
Monsieur Fraize, tous les mardis et mercredis à 21h30 à L’Européen. Jusqu’à fin décembre.
Bonne nuit Blanche : un spectacle cru et caustique
(© Arno Lam)
Sa performance est un peu plus politique que ses précédents shows, bien qu’elle affirme au début du spectacle que, contrairement à beaucoup de ses collègues humoristes, elle n’a strictement rien à défendre et donc rien à dire. Avec beaucoup d’ironie, de sa voix fluette, elle annonce qu’elle voulait d’ailleurs arrêter de se produire sur scène, mais que sa mère lui a dit de continuer à faire des spectacles, faute de faire des enfants.
Son humour est irrévérencieux et son spectacle politiquement incorrect. Elle explique pourquoi des hommes en mal de puissance exhibent leur sexe en érection (doit-on y voir une référence à Louis C.K. ?). Dans le mouvement #MeToo, elle ne se reconnaît pas totalement. Elle tente par exemple de se mettre dans la peau de harceleurs de rue, qui interpellent des filles qu’ils voient comme “bien décorées”. L’humoriste déploie une sorte de “néo-féminisme”, dont le discours peut être à double tranchant. On pense notamment à ses remerciements lors des Molières où elle se positionnait contre la discrimination positive.
Ce qui est le plus drôle, c’est lorsqu’elle parle d’elle. Son personnage sur scène ne se voit pas altruiste, ni même bienveillant mais plutôt méchant et dingue. Elle est totalement sans filtre et fait preuve d’une autodérision folle. En exacerbant toutes ses névroses, sa peur de vieillir ou encore les travers d’une société dans laquelle tout le monde donne en permanence son avis sur tout, Blanche Gardin est plus mordante que jamais et provoque des fous rires en continu dans une salle bourrée à craquer.
Bonne nuit Blanche, spectacle complet à L’Européen et à La Cigale. En tournée en France.
Anne-Sophie Girard, la meilleure amie qui nous connaît bien
(© Thomas Braut)
Ceux qui avaient déjà souri en lisant le best-seller La femme parfaite est une connasse écrit par Anne-Sophie et Marie-Aldine Girard vont mourir de rire en assistant au spectacle éponyme. Anne-Sophie Girard incarne à la perfection la trentenaire névrosée de notre époque. Disant tout fort ce qu’on pense en secret, elle raconte ses crises d’angoisse et ses ego trips à coups de punchlines aiguisées : on ne peut que s’identifier et se sentir rassurés par l’universalité de nos honteuses pensées. Le spectacle est fluide et naturel, si bien qu’on en oublie presque être venus au théâtre : on a plutôt l’impression d’être à table avec une bonne copine.
Anne-Sophie Girard nous raconte sa déception d’avoir vécu une prise d’otage dans un supermarché Franprix alors qu’elle aurait préféré une histoire plus sexy, digne d’un blockbuster. Elle dépeint aussi des personnages à la perfection (comme sa cousine snob et la grand-mère du Sud de la France). On les visualise tout de suite et même, on a l’impression de les connaître. L’heure de spectacle passe à toute vitesse, on en sort le sourire aux lèvres.
Marina Rollman, une main de fer dans un gant de velours
(© Charlotte Abramow)
Derrière son air candide, sa voix fluette et ses punchlines affutées, Marina Rollman nous parle de sujets de société majeurs. Pas très étonnant pour “l’artiste-bobo-gaucho-qui-bosse-sur-France-Inter” qu’elle se revendique être avec autodérision dès les premières minutes du spectacle. Avec clarté et naturel, elle nous parle de sexualité féminine, un sujet pourtant encore tabou. Ses propos sur la méconnaissance du plaisir féminin nous rappellent l’arrivée récente du compte Instagram T’as Joui et résonnent avec l’actualité.
Sans jamais être culpabilisante, elle parle aussi d’écologie et de véganisme, rationalise les discours qui condamnent les végans et nous rappelle avec justesse qu’on détruit une partie de nos ressources naturelles “parce que c’est bon”. Elle aborde aussi d’autres thématiques difficiles comme la dépression, le sexisme et parvient à rendre ces sujets hilarants, ce qui représente un véritable tour de force.
Sa nationalité suisse lui permet de pointer tous les comportements français les plus insupportables, des remarques qui blessent notre chauvinisme mais qui sont criantes de vérité. Bref, avec cette heure d’un spectacle drôle et intelligent, elle mérite d’être encore plus connue.