Originaire de Gironde, Estelle Jean atterrit à Lesbos en 2017, après un master en sciences politiques et management et une expérience professionnelle de 3 ans à Amsterdam, chez Cartier. En Grèce, le changement de vie est total : elle devient maître-nageur bénévole et apprend la natation aux réfugiés.
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Très vite, elle constate que le sport transcende ceux qu’elle croise, alors un projet voit le jour : la création d’une asso qui regroupe des profs de sport et de yoga, pour aider sur place ceux qui sont dans le besoin, grâce à l’exercice physique et à ses valeurs. Estelle, 28 ans, a accepté de nous raconter l’histoire incroyable de son ONG, Yoga and Sport for Refugees.
Konbini Sports ⎮ Comment t’est venue l’idée de monter ce concept ? Quelle est son histoire ?
Estelle Jean ⎮ J’ai créé Yoga and Sport for Refugees, après avoir rencontré plusieurs réfugiés sportifs, athlètes ou simplement amateurs de sport. Je suis également passionnée de sport (course à pied, natation, boxe…) et quand ils ont commencé à me demander de les aider afin de créer de vraies installations, avec un programme, des cours, etc., j’ai voulu relever le challenge. Une autre bénévole voulait également proposer des cours de yoga et nous avons commencé ensemble, puis elle est repartie en Israël pour le travail.
J’étais depuis longtemps consciente des bienfaits physiques et mentaux du sport pour tous, car c’est ce qui m’a aidée lorsque je souffrais de troubles du comportement alimentaire. Je sais que lorsque l’on déprime ou que l’on perd sa motivation, le sport, ou bouger en général, nous aide à nous faire remonter la pente. C’est une sorte de bonne drogue, un médicament naturel contre le stress, l’anxiété et la dépression. Et c’est ce dont les réfugiés ont besoin ! Ils sont laissés à l’abandon dans un camp-bidonville de plus de 20 000 personnes, femmes, hommes et enfants. Nous avons tous besoin de faire quelque chose de nos journées et c’est ce que nous proposons aux réfugiés. Pour pouvoir traverser tant de difficultés, ils doivent avoir une ténacité et une résistance hors normes. Le sport est là pour les aider à surmonter cela et à devenir plus forts mentalement, plus calmes et reposés.
Peux-tu expliquer en quoi consiste Yoga and Sport for Refugees ?
Yoga and Sport for Refugees est une ONG qui propose aux réfugiés bloqués à Lesbos de pouvoir faire du sport ou des activités sportives. Nous créons une communauté et une équipe. L’une des choses les plus importantes est que tous nos professeurs sont eux-mêmes réfugiés et vivent dans les camps. Nous voulons leur donner des responsabilités, de la motivation et l’espoir d’un futur meilleur. Leur professionnalisation est très importante pour leur parcours et c’est ce sur quoi nous voulons également insister. Aujourd’hui, ils sont bénévoles, mais demain lorsqu’ils arriveront dans un pays qui les accueillera, alors ils pourront commencer une formation qui leur permettra de devenir coach sportif ou professeur de yoga, par exemple.
Combien êtes-vous à travailler dans cette ONG ?
Nous sommes une équipe de six coordinateurs bénévoles. Nous avons une équipe de 15 professeurs réfugiés. Nous accueillons normalement entre 6 et 15 bénévoles internationaux.
Combien de personnes aides-tu chaque jour ? Les gens sont-ils réticents au départ ?
Nous aidons environ 400 personnes par jour venant d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak, de Syrie, du Soudan, du Congo, du Cameroun et d’autres pays. Ils sont souvent très prompts à rejoindre les entraînements que nous proposons, surtout la communauté afghane, qui est la plus représentée ici. Quelques réfugiés africains sont parfois réticents à venir, mais lorsqu’ils commencent, ils deviennent très assidus et nous voyons vraiment un changement sur leur visage : sourires, rires, communication entre différentes communautés, l’envie d’appartenir à un groupe. C’est très important de pouvoir voir l’impact que nous avons sur les migrants lorsqu’ils viennent s’entraîner.
Combien de cours donnez-vous chaque jour, chaque semaine ?
Nous avons plus de 9 cours par jour, d’environ 1 h 30 chacun et nous sommes ouverts du lundi au samedi.
Quels sports pratiquez-vous ?
La boxe thaïlandaise, la danse afro house, la boxe, la lutte gréco-romaine, la course à pied, la natation (l’été), le karaté (enseigné par une femme réfugiée afghane), le kung-fu, le bodybuilding, le Parkour, le football, le volley-ball, le basket-ball, le hip-hop, le yoga, l’acroyoga, le breakdance, l’autodéfense pour les femmes, le fitness pour les femmes, le judo, et la zumba.
© Hilde Honerud
Un des réfugiés qui m’a poussée au départ à créer l’ONG est aujourd’hui en train de créer son propre projet à Athènes : il a monté une salle de sport pour tous et des réfugiés y sont aussi enseignants.
Comment trouves-tu des fonds pour développer cette ONG ?
Nous recevons uniquement des fonds de la part de particuliers. En faisant des campagnes de crowdfunding et en sollicitant les bénévoles qui viennent nous aider également.
Constates-tu les bienfaits de ce concept sur les réfugiés ?
Oui, à 200 % ! Ils s’ouvrent à la discussion, aux échanges, ils deviennent plus sûrs d’eux, ils changent leurs mauvaises habitudes pour certains (ils arrêtent de boire ou de fumer), ils sont moins timides, ils apprennent l’anglais, ils sont plus motivés en général et plus enclins à aider ceux qui les entourent. Ils deviennent moins stressés, plus calmes et réfléchis. Ils dorment mieux. Nous voyons des changements physiques aussi : perte de poids pour certains, développement de la masse musculaire, amélioration de leur endurance et de leur cardio.
© Hilde Honerud
Souhaites-tu décliner ce concept ailleurs qu’en Grèce ?
Oui, je suis vraiment motivée pour implanter mon ONG en France, mais aussi dans d’autres endroits où ce concept pourrait aider les réfugiés ou les personnes qui sont dans une situation difficile. Le sport permet vraiment une amélioration de nos vies quotidiennes : contact avec un groupe, sentiment d’appartenance, simulation d’endorphines, prise de plaisir… Le lancement de ce projet en France, je le voudrais plus inclusif, c’est-à-dire qu’il permettrait vraiment l’intégration et les rencontres entre réfugiés et locaux.