Au Jeu de Paume, une rétrospective ramène le travail de l’artiste américano-cubaine sous le feu des projecteurs.
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Le 28 septembre dernier, une plainte était déposée devant la cour fédérale de Seattle contre Amazon Studios. Le Suspiria réalisé par Luca Guadagnino – remake du film d’horreur éponyme de 1977 de Dario Argento – produit par la société de production d’Amazon, aurait emprunté à l’œuvre d’Ana Mendieta sans autorisation. La succession d’Ana Mendieta a relevé des similitudes entre des images de la bande-annonce et des œuvres de l’artiste, à savoir Rape Scene (scène de viol) datant de 1973 et une performance de la série Siluetas qui fut présentée à Mexico en 1978.
Ana Mendieta naît à La Havane en 1948 au sein d’une famille de la haute bourgeoisie cubaine. D’abord partisans de la révolution, ses parents décident finalement d’envoyer la jeune Ana, 12 ans, et sa sœur Raquelin, de deux ans son aînée, aux États-Unis. Comme des milliers d’enfants cubains ayant participé au programme “Pedro Pan”, les deux sœurs enchaînent les foyers et familles d’accueil de l’Iowa jusqu’à ce qu’elles entrent à l’université.
Dans les années 1970, l’étudiante en art entame une série de travaux subversifs qui présagent une œuvre riche et radicale. Au cours de sa carrière, Ana Mendieta a principalement fait des photos, notamment celles qui documentent ses performances, ainsi que des sculptures. Récemment, l’étude des archives a révélé de nouvelles vidéos, dont celles exposées au Jeu de Paume, qui présentent l’artiste sous un jour nouveau.
Si l’œuvre d’Ana Mendieta a longtemps été oubliée, elle revient doucement sous le feu des projecteurs. À Paris, une rétrospective lui étant dédiée ouvrait ses portes au Jeu de Paume le 16 octobre. L’occasion de redécouvrir son parcours.
Une pionnière de l’art dans la nature
Un esprit de révolte anime la jeune génération d’artistes qui évoluent dans les années 1960. Mendieta est souvent associée au “Land Art”, un mouvement qui exploite les possibilités de l’art en dehors des murs d’une galerie.
Le paysage et l’œuvre d’art sont alors inextricablement liés comme en témoigne la série Silueta (“Silhouette”) dans laquelle l’artiste combine l’environnement naturel avec la sculpture et la performance. Motivée par un profond désir de fusionner avec la nature, elle se met elle-même en scène en recouvrant son corps de cailloux, de fleurs, d’herbe, de plumes ou même de sang.
L’utilisation de ces matières reflète aussi la passion de Mendienta pour les rituels ancestraux. Elle s’inspirait notamment de la religion afro-cubaine connue sous le nom de Santería.
Renverser le genre
En 1978, Mendieta s’installe à New York et rejoint l’A.I.R. Gallery, un influent collectif féministe et une organisation non-lucrative dirigée par et pour des femmes artistes. “Nous n’avions pas un programme ou une façon de penser unifiée, expliquait en 2013 Dottie Attie, l’une des fondatrices de la galerie, on voulait juste tout ce que les hommes avaient dans le monde de l’art. Pour la plupart d’entre nous, ça voulait dire de la reconnaissance.”
L’intérêt de Mendieta pour les questions de genre remonte à ses débuts, aux temps où elle étudie l’art à l’université d’Iowa. En réponse au viol et meurtre d’une camarade nommée Sara Ann Otten en 1973, l’artiste recrée la scène du crime à partir des détails rapportés dans les journaux. Avec cette performance, Mendieta espérait sensibiliser et mobiliser les visiteurs à agir contre la violence faite aux femmes.
Mendieta est aussi associée au mouvement féministe pour son travail sur la fluidité du genre. Dans “Untitled (Facial Hair Transplants)” elle colle sur son visage des poils de moustache, brouillant ainsi les frontières entre le masculin et le féminin.
Une fin tragique
L’artiste cubaine meurt prématurément à l’âge de 37 ans. Suite à une dispute avec son mari, le sculpteur Carl Andre, elle tombe du 32e étage de leur appartement new-yorkais. Son mari l’a-t-il poussée ? Accusé de meurtre, la justice l’a relaxé par manque de preuves.
Depuis, l’histoire d’Ana Mendieta a souvent été résumée à sa mort, l’érigeant en symbole de la violence machiste. “Je suis mal à l’aise avec ce qu’il s’est passé depuis sa mort” confiait l’artiste cubaine Coco Fusco dans une interview avec Artsy en 2016. “Quand Ana était en vie, elle était pauvre et galérait. Beaucoup la considéraient comme une personnalité très difficile. La façon dont elle a été présentée après sa mort n’a rien à voir avec sa façon de vivre ni avec la façon dont elle était traitée durant sa vie. Une grande partie de ce que nous regardons maintenant est des œuvres qu’elle n’a jamais exposées.”
“Ana Mendieta, Le temps et l’histoire me recouvrent” au Musée du Jeu de paume jusqu’au 27 janvier 2019.