À Osaka, c’est bien simple, tout le monde connaît le “ceylon curry” : un plat composé d’une assiette de riz blanc, mélangé à une sauce aux cinq variétés de curry, surmonté de poulet ou de porc pané et d’un jaune d’œuf cru. Un katsu curry, servi depuis des années dans un petit restaurant discret et foutraque d’Osaka, où les connaisseurs, locaux et curieux, défilent chaque jour en vue de se remplir l’estomac pour cinq euros seulement. Ce plat, devenu une petite légende culinaire d’Osaka, est aujourd’hui également connu un peu partout au Japon, notamment par les plus informés et les plus passionnés des amateurs de gastronomie. Mais sa réputation a depuis dépassé les frontières de l’archipel.
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À Paris, ce même plat est aujourd’hui servi, depuis tout juste un an, dans une cantine asiatique, Goku, où la réputation de la cuisine et l’expertise dans l’exécution des recettes ne sont plus à faire. Ici, on sert plusieurs spécialités venues des quatre coins de l’Asie, dans une carte courte et ramassée, mais toujours avec des préparations authentiques et rigoureusement fidèles aux recettes traditionnelles. “J’ai vécu au Japon, j’ai visité des dizaines de fois l’Asie, je tiens des restaurants d’inspiration asiatique depuis 13 ans. Voilà, en gros, je ne suis pas le mec qui est parti une fois en Thaïlande et qui ouvre un restaurant de sushis à son retour”, sourit Vincent Boccara, le cofondateur de Goku.
Un jour, alors qu’il est en déplacement à Osaka, dans l’archipel japonais, Vincent Boccara retrouve un ami à lui, et pas n’importe lequel : Koji, le directeur créatif de la célèbre marque Atmos. Ce dernier est accompagné d’un rappeur et tous les trois décident de partir déjeuner ensemble. En local de l’étape, c’est Koji qui choisit l’adresse, le New Light, et vu de l’extérieur, celle-ci “ne payait pas de mine”, se souvient le fondateur de Goku.
“La devanture était bizarre, obstruée par plein de papiers qui recouvraient les vitres. On aurait dit un restaurant un peu claqué, sans intérêt, mais Koji a insisté”. Une fois à l’intérieur, il réalise que le restaurant, qui semblait être resté dans son jus depuis des décennies, est en réalité l’une des adresses incontournables de la ville. Les mots sur les murs, eux, n’étaient pas de simples affichettes, mais des centaines de mots de célébrités et de gens connus qui avaient laissé un mot pour féliciter le chef et la cuisine du lieu, comme le veut la tradition dans les restaurants japonais les plus anciens.
Une fois attablés, tous prennent la même chose : un riz au curry, spécialité de la maison, servi avec du porc ou du poulet pané et un jaune d’œuf cru. “Je suis resté bouche bée. Je lui ai dit que c’était de la folie et probablement l’un des meilleurs currys que j’aie jamais mangés de ma vie”. Le temps de digérer l’expérience, Vincent Boccara reprend ses esprits et demande à Koji un service : trouver la recette de ce curry si spécial. “Une semaine après, Koji m’envoyait le détail de la recette et me confirmait que le chef était d’accord pour que je la propose dans mon resto à Paris”.
Outre la particularité de ce plat, qui est effectivement l’un des meilleurs currys que j’aie pu manger dans ma vie tout entière, ce dernier permettait à Goku de proposer une autre version du curry traditionnel. “Je ne voulais pas faire comme tout le monde, servir un curry en sauce, avec deux patates et trois carottes et du riz blanc”. Sa version sera donc en hommage à celle du New Light, avec du poulet pané, un jaune d’œuf cru pour le condiment, du furikake, de la sauce Bulldog et un curry aux cinq épices dont il garde précieusement le secret.
“Parmi les cinq variétés de curry, il y a un curry noir que j’ai galéré à trouver. C’est des épices torréfiées assez difficiles à trouver en France. J’ai saoulé mon épicier pour qu’il m’en commande, et ça a marché”. Aujourd’hui, le plat est l’un des best-sellers chez Goku. À tel point qu’il a fallu racheter des assiettes en métal – fini les assiettes blanches qui sont trop vite tachées par le curry – pour les servir aux clients, trop nombreux à en commander.
De mon côté, ce plat est devenu l’un de mes plats préférés à Paris, que je m’autorise au minimum une fois par semaine depuis un moment déjà. Il est le plat qui me vient en aide quand j’ai trop faim, quand j’ai envie d’impressionner quelqu’un, quand j’ai le moral qui flanche, ou tout simplement quand j’ai besoin d’aller m’attabler à un comptoir, tout seul, pour retrouver un peu de tranquillité. Et gare à ceux qui suivraient mon chemin : il m’aura suffi d’une seule bouchée pour tomber dedans définitivement. Un peu comme Obélix avec la potion magique.