Ce témoignage a été écrit dans le cadre d’ateliers menés par les journalistes de la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média qui accompagne des jeunes à l’écriture pour qu’ils et elles racontent leurs réalités quotidiennes.
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Parfois, je suis posé chez moi et je tombe par hasard sur des albums photo de mon père ou de mes oncles. Ils se sapaient à base d’Air Max TN, vestes en cuir influencées par la Mafia K’1 Fry, survêt Lacoste ou encore gros jogging. C’est la culture des 90’s/2000’s, le streetwear.
Je retrouve souvent des anciennes sapes de ma famille chez ma grand-mère. Il ne me reste plus qu’à les nettoyer quand ça me plaît, et c’est plié. Il y a même une sorte d’héritage. Je récupère des vêtements déjà portés, c’est de la mode durable. Ma mère est la fille aînée d’une famille nombreuse immigrée. Quand son père achetait des survêts Lacoste, des TN ou même des Air Max 95, elle avait aussi le droit à sa paire. On va dire que les sneakers sont un peu ancrées dans ma famille.
Ma mère a dû subvenir aux besoins de ses frères, elle a fait de longues études. Elle a été la première à introduire le luxe dans sa famille. Si je devais la comparer à quelqu’un, ce serait Kanye West. Elle vient de Chanteloup-les-Vignes, le “Chicago-en-Yvelines”. Kanye, lui, vient de Chicago, le vrai. Tous les deux s’en sont sortis et ont plus ou moins influencé leur entourage.
La fusion du streetwear et du luxe
Après, il n’y a pas que ma famille qui m’a initié. J’écoute beaucoup de musique, surtout du rap. Même des rappeurs à l’ancienne : leurs vêtements un peu oversize me plaisent. Pareil pour leur style de vie : on voit qu’ils ont été influents. Par exemple, Pharrell Williams a été nommé directeur artistique chez Louis Vuitton.
Il y a plus ou moins une connexion entre le streetwear et le luxe. Ça va au-delà des frontières sociales qui subsistent entre les deux et j’aime ça. Ça reste quand même coûteux certaines fois et les prix sont excessifs. Ça pousse les gens à acheter du faux, de la contrefaçon. C’est vraiment quelque chose qu’on n’accepte pas chez moi et que je ne cautionne pas du tout. Quand j’aurai plus de sous, j’aimerais acheter du luxe. Même pas pour me la péter ou quoi, mais juste parce que certaines pièces me plaisent. Lacoste, par exemple, occupe une grande place dans ma famille.
Je dois quand même faire des choix. Cet été, j’ai bossé un mois. Je me suis fait un bon salaire et j’avais déjà des plans en tête (une paire, une montre, des écouteurs), mais je me suis dit qu’il y avait peut-être plus important. Bien sûr, j’ai acheté un peu de sapes histoire d’être tranquille, mais j’ai surtout coffré pour mon permis.
Ma mère trouve que j’abuse certaines fois et elle a raison. En fait, ça en devient limite addictif. “Le problème de l’argent c’est plus t’en as, plus t’en veux, c’est un cercle vicieux mon frère”, Alpha Wann, “Langage Crypté”, UMLA.
Il y a quand même une part de négatif avec tout ça. À force de kiffer et de rêver du même mode de vie que les rappeurs, on risque de se perdre et d’oublier qui on est. Mais, en se rendant compte qu’on n’a pas la même vie qu’eux, on relativise et on garde les pieds sur terre, ça nous aide à être humble.
Ali, 17 ans, lycéen, Chanteloup-les-Vignes