L’Arabie saoudite en route pour devenir un acteur clé du sport mondial ? L’hypothèse semble devoir être prise en compte de plus en plus sérieusement. Depuis plusieurs mois, sous l’impulsion du PIF (le fonds public d’investissement saoudien), le royaume dirigé par le prince héritier Mohamed Ben Salmane investit massivement dans le domaine sportif, que ce soit dans les clubs, les entreprises ou les événements à résonance internationale. La diversification des investissements du royaume, sport compris, s’inscrit dans une stratégie bien plus globale.
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Le PIF comme moteur
Pour comprendre cette stratégie, sur le sport mais aussi dans son ensemble, il faut d’abord comprendre la vocation du PIF. Le fonds d’investissement public du pays, véritable fer de lance de l’économie saoudienne, est fondé en 1971 avec pour ambition de développer et consolider l’économie du pays.
En 2017, alors que le prince héritier Mohamed Ben Salmane accède au pouvoir, il opère un virage stratégique : d’un fonds rentier construit principalement sur l’économie pétrolière au niveau national, le PIF s’internationalise et surtout, il décide de diversifier ses investissements afin d’anticiper l’après-pétrole. L’objectif est annoncé : développer des partenariats stratégiques, obtenir des rendements durables, accroître ses actifs ainsi que les sources de revenus du royaume, conformément à la vision saoudienne à l’horizon 2030. Les domaines et entreprises à fort potentiel de rentabilité sont ciblés : finance, télécommunications, culture, immobilier, tourisme… et sport. D’un point de vue comptable, les résultats sont parlants. En octobre 2022, d’après la direction générale du Trésor français, le PIF comptait 620 milliards de dollars d’actifs sous gestion, avec l’objectif d’atteindre les 1 100 milliards d’ici 2025.
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Le sport comme facteur de normalisation
Mais alors, en quoi le sport est-il devenu si central dans cette stratégie d’ensemble ? “La politique de l’Arabie saoudite vis-à-vis du sport est multivectorielle, elle est à la fois externe et interne”, détaille pour nous Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste des questions sportives. “D’un côté, elle investit à l’étranger, comme avec Newcastle en Premier League, avec pour but de faire des affaires avec l’Occident, qui demeure l’un des pôles économiques les plus importants du monde. De l’autre côté, il y a l’idée pour l’Arabie saoudite de faire exister le sport à l’intérieur du pays pour doper sa propre attractivité.”, d’où la volonté d’élever son championnat à grand renfort de noms ronflants, après avoir déjà réussi à attirer la F1 à Djeddah.
Sorte de clé de voûte entre l’économique, le politique et l’image, le sport s’avère être un facilitateur dans bien des domaines. “En matière de softpower, il améliore le rayonnement positif de l’État, ce qui a une conséquence directe sur les aspects économiques et diplomatiques”, poursuit Lukas Aubin. “Et d’un point de vue diplomatique, le sport participe à vous crédibiliser.” Or, si l’Arabie saoudite ambitionne de multiplier (voire créer) des liens avec d’autres pays qui, pour certains, la percevaient (ou la perçoivent encore) comme un partenaire infréquentable pour tout ce qui touche notamment aux droits humains (peine de mort, lois anti-LGBTQIA+, droits des femmes…), le sport va contribuer à normaliser son image, ce qui s’avère être un terreau fertile à la mise en place de ces relations économiques et géostratégiques. C’est le fameux “sportwashing”.
L’entrisme au cœur de la stratégie
Normaliser son image, faciliter les affaires, mais pas seulement. “Le sport va aussi favoriser le phénomène d’entrisme au sein des pays dans lesquels l’Arabie saoudite investit”, souligne Lukas Aubin. “Si vous regardez par exemple ce qu’est aujourd’hui l’empire économique qatarien en France, vous verrez qu’il y a un lien de cause à effet entre les investissements dans le sport et l’entrisme dans le monde du luxe”. Ces investissements massifs permettent donc plus ou moins directement à l’Arabie saoudite de s’ouvrir (voire forcer) les portes des cercles de décision qui lui ont si souvent été fermées au nez.
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Entré au capital d’Uber en 2017, le PIF a pu y placer Yasir Al-Rumayyan au conseil d’administration. Ce Saoudien de 53 ans, par ailleurs gouverneur du PIF, est également devenu président (non exécutif) de Newcastle suite au rachat du club par le fonds saoudien en 2021. Al-Rumayyan devrait aussi bientôt présider le conseil d’administration de la future société commerciale née de la fusion entre le PGA, circuit historique du golf, et le LIV, un tour monté par l’Arabie saoudite il y a deux ans pour le concurrencer. Alors que le LIV commençait à siphonner les golfeurs du PGA à coups de cachets monstrueux, et que le PGA répondait par des exclusions et des amendes, les deux entités se sont finalement rapprochées après plusieurs mois d’une intense bataille. Al-Rumayyan est également présent à la direction de Saudi Aramco, l’un des groupes pétroliers les plus puissants au monde, aujourd’hui sponsor majeur de la F1 et détenteur de 17 % de l’écurie Aston Martin. “Quand on fait de l’entrisme d’un point de vue économique, ce qui suit généralement, c’est aussi la perspective d’influer sur de grandes décisions politiques et géopolitiques”, prévient Lukas Aubin. “Là où on investit, on fait de la politique et on cherche, par ricochet, à peser sur les enjeux internationaux”.
Foot et jeux vidéo
Par souci de cohérence avec cette image qu’elle souhaite faire évoluer à l’extérieur, et parce que les projecteurs occidentaux demeurent également braqués sur ce qui se passe à l’intérieur des frontières saoudiennes, le royaume veut donner, du moins en apparence, la sensation que les choses y évoluent positivement. Droit de conduire accordé aux femmes (depuis 2018), accélération d’une politique autour de la culture… dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 34 ans, l’Arabie saoudite veut mettre en avant ses efforts de modernité.
En plus d’investir de façon importante dans un secteur comme les jeux vidéo (38 millions d’euros d’investissements dans le gaming attendus d’ici 2030, annonçait Bloomberg en 2022), dont MBS est un grand fan, le PIF ambitionne donc de faire de la Ligue de foot saoudienne une compétition de premier plan. “Pas à pas, je pense que ce championnat fera partie des cinq meilleurs du monde, mais il a besoin de temps, de joueurs et d’infrastructures”, estimait Cristiano Ronaldo, quelques semaines après sa signature à Al-Nassr, l’un des quatre clubs saoudiens désormais détenus majoritairement par le PIF (avec Al-Ahli, Al-Ittihad et Al-Hilal).
La route est évidemment longue pour y parvenir, malgré quelques arrivées déjà notables (Benzema, Kanté, Brozovic, Ruben Neves). “Il y a la volonté chez les dirigeants saoudiens, MBS en tête, de rendre le pays footballistiquement compétitif pour déplacer le pôle géopolitique du football”, analyse de son côté Lukas Aubin. C’est une approche finalement en phase avec ce qu’est son aspiration au global, celle de s’imposer comme un acteur de premier plan.
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