C’est grâce à son aura romantique, populaire et libertine concentrée dans sa grande invention, le restaurant, que Paris a su s’imposer dès le XVIIIe siècle comme la capitale de la gastronomie mondiale, toujours convoitée et racontée dans l’exposition “Paris, capitale de la gastronomie du Moyen Âge à nos jours”. Du banquet royal du XIVe siècle au déjeuner ayant réuni 157 chefs d’État pour la COP 21 à Paris en 2015, des menus grivois des “cabinets particuliers” au marché des Halles, “ventre de Paris” immortalisé par Émile Zola et de grands photographes avant d’être démoli : sous les voûtes gothiques de la Conciergerie, ancienne demeure royale de l’île de la Cité, on embarque pour un voyage culinaire immersif du Moyen Âge à nos jours.
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“Paris n’a pas le monopole de la gastronomie mondiale. Une compétition se joue depuis quelques décennies à couteaux tirés avec d’autres capitales, New York, Londres et Tokyo, qui a plus d’étoiles Michelin”, remarque le journaliste gastronomique François-Régis Gaudry, commissaire de l’exposition qui ouvre jeudi jusqu’au 16 juillet. Toutefois, comme le montre “Paris, capitale de la gastronomie du Moyen Âge à nos jours”, la capitale française a un “statut unique, étant à la fois un conservatoire du patrimoine gastronomique mondial mais également un laboratoire”, avec les meilleures écoles de cuisine qui attirent les jeunes talents du monde entier. “Ils viennent apprendre le solfège culinaire, quitte à rentrer ensuite dans leur pays pour jouer leur propre musique”, ajoute-t-il.
Le restaurant “enfonce le clou”
Menu élaboré, art de la table sophistiqué : l’exposition apporte des témoignages de savoir-faire français datant d’il y a plus de six siècles. “Ce banquet de Charles V en 1378, qui a été orchestré par le grand cuisinier Taillevent, montre qu’il existait au Moyen Âge une gastronomie très raffinée, pas seulement une cuisine roborative avec des épices qui servaient à cacher le goût des viandes avariées”, commente François-Régis Gaudry. Pourtant, la suprématie française dans la gastronomie est relativement récente, fruit d’un “imaginaire” qui entoure la capitale mais aussi d’une promotion intelligente, résume à l’AFP Loïc Bienassis, historien de l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation à Tours.
C’est seulement à partir du XVIIIe siècle que Paris commence à occuper un statut à part : tout nouveau livre de cuisine y est publié, des “totems” y sont inventés, tels que la baguette, le croissant… mais aussi le bœuf bourguignon ou la sauce béarnaise, contrairement à ce que leur appellation laisse croire. Pourquoi Paris se démarque-t-elle des autres capitales européennes ? “Dans les pays protestants, le fait de mettre en avant la bonne chère aurait tout un tas de freins culturels et psychologiques, ce qui aurait empêché des villes comme Londres et Amsterdam d’affirmer ce statut”, explique l’historien.
La gastronomie anglaise n’était toutefois “pas méprisée, loin de là” : la cuisine du bœuf était particulièrement appréciée à Paris pour son côté viril au XIXe siècle. Première nation industrielle, la Grande-Bretagne est entrée “très rapidement dans la modernité alimentaire” en oubliant ses terroirs, poursuit-il. Face à l’Espagne et l’Italie, c’est “le centralisme français” qui a profité au rayonnement de la cuisine française, estime l’historien. Mais c’est l’apparition du restaurant, inventé à Paris avec ses codes modernes (tables individuelles, carte, addition), “où tout visiteur étranger peut déguster la cuisine parisienne, qui enfonce le clou”.
Lieu de débats et d’ébats
Haut lieu de la vie politique et intellectuelle, le restaurant est indissociable jusqu’au début du XXe siècle des “cabinets particuliers”, reconstitués dans le cadre de l’exposition et représentés à travers des peintures ou leurs menus avec des dessins grivois. On s’y isole avec une prostituée, on y amène une maîtresse, on y boit du champagne avec des huîtres, une association résolument “érotique”.
“L’aura gastronomique de Paris profite de tous les imaginaires et l’aura libertine en est un. C’est un imaginaire construit dans la littérature omniprésent” au XIXe siècle, souligne Loïc Bienassis. Les auteurs de l’exposition jouent sur ce registre en présentant une gigantesque asperge d’Argenteuil d’aspect phallique conservée dans du formol… pour rendre hommage à ce produit oublié de la région parisienne.