J’ai 31 ans, et pour la première fois depuis le collège et les vieilles courses d’endurance que le programme scolaire adorait nous faire subir en hiver, au stade Jean Bouin de Choisy-le-Roi, j’ai fait… un jogging – pour des raisons toujours intestinales, vous suivez ? Cela faisait plus de 15 ans que je n’avais pas couru quand, sur les conseils de ma collègue préférée, j’ai décidé de taper en plein mois d’août un 8 kilomètres dans le parc à côté de chez moi – et on parle d’un vrai parc, pas les “trucs” que vous avez à Paris.
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Un beau jour de rentrée, ma cheffe envoie un message à la rédaction : il s’agissait de taper le 10 km Paris Centre, accompagnée par le Circle Run Club. Mon petit ami m’y pousse et sur un coup de tête, je m’y inscris alors que je n’avais couru qu’une fois depuis 15 ans, en jogging d’une sous-marque Leclerc (oui, ça existe) et en baskets Kalenji (mes vies). Au lieu de raconter davantage ma vie, j’adresse donc cet article aux gens qui, comme moi, n’ont plus jamais couru depuis leur préadolescence, et aimeraient s’y remettre. Voici quelques leçons que j’ai apprises et conseils que j’applique, spécial course à pied.
On commence mollo et on se fixe de petits objectifs
On ne tape pas un 8 kilomètres, dès le début, d’un coup sec, comme j’ai pu l’apprendre à mes dépens. C’était une terrible erreur : ne faites jamais ça si vous ne courez jamais. J’ai eu des courbatures pendant deux semaines, ça m’a donc privée d’évoluer pendant un long temps, et j’ai failli crever, tout simplement. On commence par du 2, puis 3, puis 4 kilomètres, tranquillement.
On se donne des objectifs géographiques (comme “je veux faire le tour de ce lac de banlieue”, puis “je veux faire un tour et demi, ou deux tours de ce lac de banlieue”). Puis, on finit par regarder les kilomètres qu’on fait : on passe de 3 à 4, puis 5, puis 5,5 puis on pousse. Et enfin, on jette un coup d’œil à la montre : “Je peux tenter de finir mon tour en 1 h 02 au lieu d’1 h 05”. Progressivement, on y arrivera. Le mieux est de s’aider de l’application Running d’Adidas pour tout visualiser et comptabiliser.
On mange bien
Vous allez avoir la dalle et il faudra vraiment combler cette dalle. On oublie les portions d’oiseau, au risque de plonger dans une fatigue physique intense. Les légumes, c’est chouette, c’est plein de vitamines, mais il faut des protéines et beaucoup de féculents. Votre transit va se modifier, et ça sera pour le mieux, croyez-moi. Shake that tube digestif.
9 810, un nombre porte-bonheur.
On intègre un club de running pour la motivation et la prépa
J’étais super réticente à l’idée de rejoindre un club. Déjà, parce que courir après une journée de travail, ça ne m’arrangeait pas et aussi, parce que je ne comprenais pas l’intérêt de courir dans Paris, en pleine pollution, dans un milieu hostilement urbain – et je ne comprends toujours pas. Pourtant, ça a relancé mes journées et mes soirées de faire ces entraînements, et ça m’a appris tout un tas de trucs comme le fractionné, les bosses, les côtes, les 10 minutes de navettes, les sprints. J’ai eu des discussions douloureuses en courant, j’ai dû répondre à des “Tu fais quoi dans la vie ?” tout en essayant de garder mon souffle et mon cardio à flot. J’ai même rencontré une artiste qui peignait les malles Louis Vuitton, et j’ai trouvé son métier passionnant.
Au début, j’étais complètement larguée, la moins sportive du groupe, et on m’a perdue quelques fois – mais en même temps, j’étais trèèèèès lente, il faut les comprendre. Je me suis dépassée avec ce groupe, chose que je n’aurais jamais faite seule. Des fois, j’avais envie de crever, je respirais avec un souffle aigu à l’œsophage, avec cette pression constante de les rattraper. Mais, entre deux “ça va ?” et “tu peux répondre avec le pouce et ne pas parler pour me répondre”, les équipes de Circle me rappelaient d’adopter mon rythme, de faire ma course. Je suis obligée de remercier ici César, qui m’escortait alors que j’avais un kilomètre de retard par rapport au groupe, Lizzy qui m’a appris à respirer, et Chloé qui me cherchait du regard constamment, comme une maman qui a perdu son enfant en plein Lidl, le samedi après-midi.
On n’hésite pas à faire du cardio à côté
C’est là que l’abonnement duo de votre partenaire va vous être précieux. Adieu le yoga et le Pilates comme pratique principale, il faut que votre cœur fasse zumba cafew cafew carnaval. Voyez le yoga et le Pilates comme des pratiques supplémentaires, notamment pour compléter les étirements, durant cette période de préparation. Entre deux courses à pied, un petit tour à la salle pour bien suer sur les tapis de course, la machine à escaliers, le rameur, l’elliptique ou le vélo à grande vitesse. Vos fesses vont changer, je vous l’assure.
On apprend à respirer correctement
On ne s’oblige pas à atteindre les 10 kilomètres lors de ses entraînements, mais on essaie de s’en rapprocher au maximum. Et le contrôle de la respiration est super important. Lizzy, du Circle Club, m’a appris qu’il fallait inspirer le plus longtemps possible, et expirer longtemps, alors que je faisais tout l’inverse. J’essaie en général de m’approcher des quatre secondes à l’intérieur, quatre secondes à l’extérieur pour bien baisser mon rythme cardiaque. Et c’est magique, votre cœur se calmera quasi instantanément.
Lors de mes premiers entraînements dans le groupe, je ne comprenais pas comment respirer. Je ne cours pas assez en groupe pour savoir si je suis aujourd’hui capable de discuter en courant, mais maintenant je peux chantonner. C’est une compétence à acquérir, qui prouve qu’on a progressé. Toute la difficulté de l’exercice réside donc dans la respiration : si ton cœur va bien, c’est déjà 80 % de l’exercice réussi. Le reste ne sera que des douleurs physiques qui seront facilement réparables grâce aux fameux étirements, et qui t’obligeront à t’arrêter, dans tous les cas. Ne force jamais.
Un petit selfie pendant la course.
On s’étire après, et c’est impératif
Un passage chez votre chiropracteur ou chez votre ostéopathe (si vous faites partie de l’autre école) est conseillé pour vérifier que “la cartographie de votre corps” est bien en ordre, comme dit mon thérapeute. C’est évidemment mieux si votre mutuelle rembourse quelques séances par an. Mais surtout, et ça, ça ne coûte rien, on s’étire après. Ça fait toute la différence si on compte courir trois fois par semaine (ou plus). Les étirements vous éviteront bien des tensions et douleurs musculaires, et les adopter, c’est ne plus connaître le sens du mot “courbatures” (cour… quoi ?).
J’ai remarqué, au fil de mes entraînements, que mes muscles étaient plus réceptifs aux étirements quatre heures (minimum) après l’entraînement, quand ils ont bien refroidi, plutôt que tout de suite après. Si vous courez entre midi et deux, des étirements le soir (soit plus de quatre heures après) avant de vous coucher peuvent être très bénéfiques. J’alternais : parfois, je m’étirais avant de dormir, parfois, quelques heures après ma course.
Côté étirements, je vous donne les conseils de mon chiropracteur : des fentes bien profondes, des étirements et rotations des chevilles, des massages dans les zones en tension (comme les genoux ou les cuisses), des montées et descentes de talons en équilibre sur une marche, et quelques poses de yoga comme la posture de l’enfant, du chat, du lézard, du 4, du cobra, du bébé heureux, du pigeon, et de toute la basse-cour. Tous ces efforts limiteront les déchirures, les tendinites et autres inflammations possibles.
On s’équipe
En hiver, je préfère les bons vieux joggings en coton. En été, les leggings et shorts plus légers. Mais c’est comme vous préférez. Il vous faudra une bonne brassière qui maintient bien, des T-shirts adaptés pour ne pas suer comme un bœuf, des chaussettes de sport pour éviter l’humidité.
Comme je me suis entraînée avec le Circle Club, j’ai pu être équipée pour l’occasion de vêtements ultra-respirants (et écoresponsables !) qui forment comme une deuxième peau. Mais pour des budgets plus modestes, le rayon running de Decathlon fera le job. Si vous ne voulez pas lâcher 150 euros dans des Brooks et si vous ne tapez pas des semi-marathons, les baskets Kalenji à 25 euros sont largement suffisantes.
On apprend à tomber et à se relever
En une vingtaine de courses, je suis tombée une fois sur le bitume : outre l’humiliation, c’était juste très douloureux mais ce n’est pas grave, on se relève. Ça nous fait prendre conscience qu’on n’est pas faits en sucre, qu’on peut se battre, qu’on peut y arriver, qu’il n’y a pas d’échec, mais que des avancées. Comme l’escalade qui possède une forte motivation symbolique dans le fait de gravir, de monter, de s’élever, la course à pied nous amène symboliquement à avancer, à tomber, à nous relever, à rester en mouvement, à aller quelque part avec détermination.
Plus on court, moins on se sent vulnérables dans ce monde hostile, et ça change vraiment tout quand on est une femme. Vous n’imaginez pas le sentiment de victoire qui nous prend quand on se force à courir une fois la nuit, dans une ville, toute seule, juste pour reprendre ses droits dans l’espace public dominé par les hommes. Hormis mes muscles de fer (c’est faux), je me sens plus forte dans l’espace public, face aux agressions, face aux maladies, face au temps qui passe. Ça peut même aider à reprendre le contrôle sur son corps et à atténuer ses angoisses de la Mort.
Une petite photo tremblante prise sur le chemin.
On accepte de devenir une trentenaire agaçante
Vous en avez déjà eu un aperçu dans le précédent point. On change, quand on se met à pratiquer la course à pied. On modifie notre manière de penser, notre rapport à notre corps. C’est indéniable et inévitable. Ça fait partie du processus et il faut juste l’accepter. C’est aussi vieillir immédiatement, commencer à aimer la marque Salomon, vouloir se lever tôt, devenir productive.
C’est agaçant chez les autres, et ça sera agaçant sur vous aussi. Certains jours, vos collègues vous diront : “Mais tu es devenue une droguée du sport.” Ou : “T’es sur une pente glissante, ça va bientôt s’habiller en vêtements ‘pratiques'”. Vous nierez. Mais ils ont raison. Je suis devenue une vraie connasse, le genre qui te dit en soirée que “la course a changé [s]a vie, [qui] te conseille d’en faire”.
On met de la musique dans ses oreilles
Tout passe plus vite avec de la musique dans les oreilles, comme pour le chemin de notre vie, on subira moins le trajet. Je détestais écouter des podcasts : ça rend la course moins légère. J’écoutais beaucoup Suki Waterhouse et Lorde durant cette période d’entraînement. C’est aussi pour ça que je n’aime pas trop courir en groupe : ça nous empêche d’écouter de la musique, on est moins dans sa bulle, dans ses pensées et on ne peut pas se couper du monde. C’est pour ça et uniquement pour ça que je cours : me couper du monde.
Ambiance rock des années 2010 pour le 10 km.
On court, tout simplement
J’étais super stressée avant le 10 kilomètres, car j’avais peut-être fait deux fois des 9 kilomètres durant mes entraînements mais j’avais l’impression de ne pas être prête, comme s’il pouvait m’arriver un milliard d’accidents sur le chemin. Je m’étais entraînée une dernière fois deux jours avant, profitant du beau temps et une dernière fois du lac à côté de chez moi avec l’objectif 10 kilomètres en tête. Maintenant, je vais pouvoir retrouver ce lac sans objectif, simplement pour le plaisir de le revoir.
Je me rappelais des mots de mon chiropracteur, de collègues et de mon petit ami : “Toute personne en bonne santé peut faire un 10 kilomètres sans souci”, “tu vas y arriver, c’est simple et tu t’es entraînée”. Le matin de la course, buvez et mangez un peu, pas beaucoup pour ne pas vous alourdir. Je n’avais jamais couru le matin, dès 10 heures, et quand j’arrive “au village” (une appellation bien médiévale qui m’a fait sourire quand je l’ai apprise), je vois une mer de monde. Moi qui déteste les grands regroupements, je commence à hyperventiler. Malgré le chaos, tout est très bien organisé.
1 h 02 et 21 secondes.
Au moment du départ, je ne me retrouve pas dans ces gens qui m’entourent. Le chauffeur de coureur·se·s nous invite à bouger, à sauter, à se secouer sur de la musique des années 2000 avant de démarrer mais j’ai la fâcheuse impression d’être dans le pire club Fram de Turquie. Globalement, je n’aime pas trop l’ambiance. Le départ est encombrant, surtout quand on se lance dans le dernier créneau : il y a beaucoup de gens dans nos pattes, on double, on se fait doubler dans tous les sens par des gens qui n’ont pas notre temps, clairement.
Plus on avance, plus la course devient facile, et même agréable : tout s’espace, on parvient à se couper du monde, on retrouve des gens sur la route. Et quelle sensation de visiter des rues parisiennes privatisées rien que pour vous et votre course. J’ai pu prendre des photos tremblantes de monuments, que je vois habituellement bondés, comme la Madeleine, les Galeries Lafayette ou l’Opéra. J’ai vu défiler sous mes jambes les boulevards haussmanniens et ses pavés parsemés de crachats d’essoufflé·e·s. Sur le parcours, des pancartes, de la musique, des soutiens. Sur les T-shirts, des marques, des combats, des hommages. Et puis, je me suis mise à penser à la Palestine.
Soudain, c’est ce qu’on appelle le high, qui frappe : on se rend compte de tout ce qu’on a parcouru, au sens propre comme au figuré, on sourit, on chantonne dans sa tête la playlist rock des années 2010 qu’on se passe, on tape une batterie imaginaire avec ses mains. On se dit qu’on est une battante, maintenant. Je contrôle ma respiration.
Mon parcours, je l’ai fait en 1 h 02 et 21 secondes. Mon but était de réussir à le faire en une heure, et non pas en 1 h 10 estimée lors de mes entraînements. C’est donc une victoire pour moi. J’envoie des textos à mes ami·e·s pour leur dire où se placer pour me voir franchir la ligne d’arrivée. Oui, oui en courant, j’envoie des textos. J’arrive, j’aurais pu continuer, c’est passé si vite. Je brandis ma médaille, je prends ma banane et ma barre énergétique. Je sue à peine. Dans ma tête, je dédie ma médaille à la Palestine et à l’Algérie. Et je suis fière.
Ramener la coupe à la maison.