Quand j’ai Barbara Humbert pour la première fois au téléphone, elle m’assure que son quotidien est tout à fait normal. À 83 ans, elle jardine, randonne et – ah, oui – elle court “45 à 50 kilomètres par semaine, parfois un peu plus”. Quand il fait beau, elle “ajoute du vélo ou de la natation” parce qu’elle a “fait un petit triathlon à Chantilly l’année dernière” et a décidé d’apprendre le crawl il y a quelques années. Ce dimanche 5 mars, elle a couru son 23e semi-marathon, en 2 heures, 59 minutes et 29 secondes. “L’année dernière, j’ai fait 2 heures 49 ; autrefois, c’était 1 heure 45”, note Barbara Humbert qui m’écrit par courriel, quelques heures après avoir franchi la ligne d’arrivée : “J’ai fait de mon mieux, mais c’était plus dur que l’année dernière. L’âge ?”
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La semaine précédant la course, elle m’expliquait s’entraîner “moins vite qu’en compétition” : “Je me réserve pour exploser, à ma petite échelle, pendant la course. C’est pour ça que cette semaine, je me repose.” Au fil de ses participations à des semis, marathons et triathlons, Barbara Humbert a pu ajuster ses programmes d’entraînement, affirmant même qu’“en prenant de l’âge, on peut parfois faire un meilleur temps qu’avant parce qu’on a fait un meilleur entraînement”. Venant de la part d’une championne du monde de course de fond (dans sa catégorie des 80-84 ans : elle a parcouru l’année dernière plus de 125 kilomètres en 24 heures, non-stop, à l’occasion des 24 heures de Brive-la-Gaillarde), on a envie d’y croire.
Barbara Humbert
Barbara Humbert a commencé la course à 43 ans, inspirée par sa fille qui rentrait enthousiaste d’une séance d’endurance au lycée. Très vite après avoir enfilé pour la première fois ses baskets de course, l’ancienne mère au foyer augmente ses distances et s’imagine courir son premier marathon, “surtout après avoir lu l’article d’un journaliste qui s’entraînait pour le marathon de New York”. À 60 ans, 11 ans après son premier marathon, elle courra le célèbre marathon de la Grosse Pomme – son 55e – et terminera 10e de sa catégorie d’âge. “Je l’ai couru en 4 heures 25 mais j’aurais pu faire plus court, on n’avait pas de montre, ni rien à l’époque”. Parmi les évolutions notables connues dans sa carrière de coureuse, elle se souvient également des inégalités de genre :
“Quand j’ai commencé, c’était les débuts des femmes qui couraient. C’est en 1978 qu’une femme [Kathrine Switzer, ndlr] a couru son premier marathon. Elle a été agressée par les organisateurs, ils ne voulaient pas qu’elle coure. On ne voulait pas l’accepter parce que c’était une femme. On ne se rend pas compte des difficultés. Elle a dû se déguiser pour pouvoir courir. Il y avait un machisme énorme à l’époque, et c’était il n’y a pas si longtemps.”
© Barbara Humbert
Après 40 années de pratique de la course, Barbara Humbert peut se réjouir de voir de plus en plus de femmes s’essayer aux compétitions. Hier, elles représentaient 37 % du peloton total à battre le pavé parisien. La première femme à avoir franchi la ligne d’arrivée est la Kényane Sheila Chepkirui, qui a bouclé les 21, 1 kilomètres en 1 heure 6 minutes et 1 seconde.
De son côté, Barbara Humbert n’a peut-être pas battu son propre record mais elle se fait une raison. “J’ai l’impression de courir aussi vite que les autres et pourtant, ils me dépassent”, note-t-elle en soulignant qu’il peut être “difficile d’accepter le ralentissement dû à l’âge, mais tant pis, c’est comme ça, il faut l’accepter.” Rien ne viendra, quoi qu’il en soit, assombrir sa joie de participer à un événement collectif :
“En vieillissant, on a plus d’assurance, l’approche aux autres est plus facile, même si c’est seulement un petit regard, un petit encouragement. Je participe avec les autres et ça fait plaisir. C’est une satisfaction que je voudrais transmettre aux autres de pouvoir ressentir ça, de pouvoir continuer à vivre sans avoir ces aléas du vieillissement du corps.”
© Barbara Humbert
Enthousiaste, et convaincue que sa pratique de la course à son âge n’est pas si exceptionnelle (“Ça m’étonne qu’il n’y ait pas plus de personnes de mon âge, 21 kilomètres, ce n’est pas si long”), Barbara Humbert affirme qu’il n’est “jamais trop tard pour commencer” et qu’il suffit d’“oser” : “Ça procure toujours une satisfaction quand on a réussi, les difficultés sont beaucoup moins grandes que la satisfaction d’après la course.” Cette satisfaction semble insuffler des points de vie à la coureuse qui glisse, avant de raccrocher : “J’aime l’effort. Dès que je vois une montagne, j’ai envie de grimper, dès que je vois une étendue de champ j’ai envie de courir.” On a beau être au téléphone, son sourire est si grand que je crois le voir se dessiner face à moi – et que je repartirais bien à la recherche de mes baskets.
Konbini, partenaire du semi-marathon de Paris.