J’aime le sport. J’aime bien le regarder, mais j’adore avant tout le pratiquer. En 34 ans de carrière dans le jeu qu’est la vie, j’ai fait du football, du tennis, du basket, du tennis de table, de la randonnée, un peu de boxe, de natation, quelques runs de 10 km par-ci, par-là, et actuellement, je suis sur de l’escalade et du futsal. Je me déplace aussi uniquement à vélo. Donc, je peux sans aucun doute avancer que l’activité physique, ça me connaît. Alors, quand quelques mois avant les Jeux olympiques ma rédactrice en chef est venue me voir à mon bureau pour me demander si je souhaitais courir 42 bornes de nuit pendant les JO, j’ai évidemment accepté le défi. Sans savoir que j’allais insulter mes ancêtres pendant cinq heures.
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Objectifs avant marathon et entraînement
J’ai trois mois pour me préparer et, évidemment, je me blesse aux lombaires. Après réparation, il me reste deux mois. Ça commence bien, tout ça. Aussi, c’est mon premier marathon. Je n’ai jamais couru de longues distances par le passé à part un 15 km dans les bois une fois, car je m’étais perdu. Je cours trois fois par semaine, fractionné, séance longue et récupération. Je trouve ce que je pense être mon allure marathon. Le mois de juin se passe bien. Le mois de juillet un peu moins car soit il pleut, soit il fait trop chaud. Mais le soir du 10 août, je me sens prêt avec mes glucides dans le bidou.
Une première heure magique dans Paris
Le départ est dingo. Honnêtement, on ne peut espérer plus belle ambiance. Le public est incroyable, Paris est magnifique, et je passe les dix premiers kilomètres à taper dans les mains des supporters qui crient mon prénom sur fond de Louvre éclairé, de tour Eiffel scintillante et de vasque olympique flottant dans le ciel étoilé. C’est beau, je suis ému, et je profite des ravitaillements pour féliciter les bénévoles et leurs bananes bien coupées. Quand je replonge dans ma course, on a quitté Paris, et ça fait déjà un peu plus d’une heure que je cours.
Un dénivelé un tantinet saugrenu
Mais c’est quoi, cette montée de l’enfer ? Et je ne parle pas de la côte arc-en-ciel Mario Kart du kilomètre 28, non. Ici, j’aborde la première difficulté qui s’étend du kilomètre 15 au kilomètre 21. La pente abîme mes mollets et mes cuisses, et vient taper dans mes réserves. Et comme apparemment j’ai laissé mon cerveau dans les Toilettes Pour Tous qui sentent le pipi, je continue de courir à une allure classique, sans m’économiser. Pourtant, je sais très bien économiser, mon livret A en est témoin. Résultat, je termine le semi-marathon en 2 h 28 min. Plutôt pas mal si la course s’arrêtait là et que j’avais le droit de rentrer chez moi manger de la Ben & Jerry’s Cookie Dough. Sauf que je suis qu’à la moitié du parcours et que je viens d’exploser.
Envie de caner
Du kilomètre 21 au kilomètre 32, c’est le calvaire. Je suis clairement dans le rouge, je n’ai plus de jambes, le château de Versailles est très beau de nuit, et le retour vers Paris s’annonce apocalyptique. Je commence à voir des gens s’arrêter sur le côté. J’ai mal partout. À chaque kilomètre, mon corps trouve l’idée ingénieuse de m’ajouter une douleur au compteur. Mon moral en prend un coup. Heureusement, mon amoureuse ainsi que quelques copines suivent mon parcours sur le site du Marathon Pour Tous et m’encouragent par message.
Alors que je m’accommode de mon corps cassé, voici qu’apparaît au kilomètre 28 la côte des Gardes. Quelques coureurs autour de moi sont ébahis. De mon côté, je réagis de deux manières : d’abord j’insulte secrètement les organisateurs en serrant le poing et en fronçant les sourcils, puis je signale à l’adulte le plus proche le danger qui court afin qu’il me prescrive quelques mots rassurants et pourquoi pas un brancard.
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Cette côte n’est pas difficile, elle est humiliante. La première moitié du marathon avait rendu le sportif en moi plus qu’humble. Mais là, c’est Anne Hidalgo en combinaison de plongée qui piétine ce qui me reste de dignité. Un mec à vélo électrique grimpe à côté de moi et me nargue. Je le chope par le colback et lui paie son abonnement Vélib’, car ça coûte cher, ces choses-là. C’est l’hécatombe. Des gens reculent tellement ils n’avancent plus. Des gens appellent leur mère pour leur dire qu’ils ne rentreront pas. Des gens autour de moi vomissent. Je ramasse leur vomi et le lance sur mes adversaires.
Parfois je cours. Parfois je trottine. Souvent je marche. Jamais je ne m’arrête.
Ce que je n’ai pas dit, c’est que je suis parti du sas 8. Le dernier. Mon marathon a débuté à 22 h 15. Et je suis dans les derniers du dernier sas. Plus personne ne me double car il n’y a plus personne de plus rapide que moi. On est tous dans le même bateau, celui qui coule, sans Rose et sa planche. Il est plus de 3 heures du matin, et après une descente de deux kilomètres loin d’être salvatrice, il me reste dix kilomètres, les plus longs de mon mandat de coureur olympique.
Honnêtement, je n’ai pas l’œil du tigre et un mental qui me fait dire : “Allez, tiens le coup, va jusqu’au bout, t’es un champion, François.” Je n’ai pas non plus la capacité de déconnecter mon esprit pour penser à autre chose. Hélas pour moi, je suis dans le réel. Mon corps n’est que souffrance, et mon esprit demeure dans le présent. Je ne me rends pas compte que j’ai les cuisses irritées car les douleurs au quadriceps gauche et à la cheville droite prennent le dessus. Je suis crispé donc j’ai la nuque et les trapèzes défoncés. Je suis déshydraté mais je ne parviens plus à boire ni à manger. Alors je me verse des verres d’eau sur la tête à chaque ravitaillement pour me relancer, même si c’est sur 200 mètres. Je remercie les bénévoles qui me donnent ces petits bouts de graal.
La fatigue et la douleur laissent place à la colère
J’arrive à Paris, j’ai trop la haine. La haine de tout. La haine du parcours, la haine des gens qui crient alors qu’au début ça me motivait. La haine du goudron chaud. La haine des tunnels où la sono tape dans les oreilles. La haine des coureurs aux chaussures qui couinent. Pas d’esprit vaillant, pas d’esprit déconnecté, juste de la colère. Mais c’est tout ce que j’ai pour avancer.
5 h 51 min de course. Le retour aura duré 3 h 23 min. Je récupère ma médaille sans lâcher un sourire, je quitte les lieux et retrouve ma copine. Les nerfs lâchent, je pleure dans ses bras. J’aurais tant aimé moins subir ma course, faire une meilleure performance et garder une certaine fierté à finir ces 42,195 kilomètres. Mais rien. Il est 4 heures du matin, une douche et au dodo. Zéro plaisir, mais au moins, je me dis que j’ai survécu. Je suis marathonien.