Ultia face à ses cyberharceleurs, le procès de la responsabilité

Ultia face à ses cyberharceleurs, le procès de la responsabilité

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Par Pierre Bazin

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Depuis 2021, la streameuse subit un cyberharcèlement massif. Son procès est suivi de près par les internautes.

Avertissement : cet article comporte des messages cités durant le procès. Leur nature peut choquer la sensibilité de certain·e·s.

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C’est un procès exceptionnel qui se tient ce mardi 21 janvier 2025 à la 10e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris : celui d’un cyberharcèlement de masse qui a démarré en 2021 à l’encontre de la streameuse Ultia, créatrice de contenu bien connue sur Twitch, plateforme sur laquelle elle exerce son activité depuis 2017.

Des proches sont venus la soutenir comme les streamers Ponce et Rivenzi, amis de longue date d’Ultia. L’avocate Maître Tomasini, connue pour avoir défendu Jacqueline Sauvage en 2015, l’a expliqué sur les réseaux il y a quelques jours : c’est un procès “emblématique”.

Ce cyberharcèlement de masse, ce sont des dizaines de milliers de messages insultants, de propos dégradants et de menaces qui se sont déversés, vague après vague, sur Ultia. Le travail de la police a été faramineux, la streameuse évoque un dossier de “700 pages” contenant des captures d’écran, bien que, selon elle, cet épais dossier ne concerne qu’une période de six mois — de septembre 2022 à mars 2023.

Quatre accusés sont cités dans l’affaire, mais seuls trois se sont rendus à l’audience. Ils passent devant la barre pour entendre les faits qui leur sont reprochés. Ils sont tous entendus pour des faits de cyberharcèlement avec des circonstances aggravantes en raison du sexe de la victime. Trois d’entre eux, les plus jeunes nés entre 2000 et 2003, sont également accusés d’avoir proféré des menaces de mort et/ou de viol à l’encontre d’Ultia.

“T’aime les chibres c’est clair”; “Sale pute vas te faire violer, tu mérites de te faire violer” ; “J’espère que tu te fais violer en sortant de chez toi, […] je prie chaque jour pour que tu ne te réveilles pas […]”

La violence des propos lus à plusieurs reprises par le président ébranle quelque peu la salle.

“Je suis fatiguée, j’ai vu trois policiers, un gendarme, trois psychiatres”

Ultia s’avance à la barre, la mine grave. Elle l’a déjà confié à de multiples reprises et le répète devant la cour : “Je suis épuisée, cela dure depuis 2021.” Le président demande à la streameuse si elle peut se remémorer tous les faits et demande des précisions sur son métier de “streameuse”.

Les murs du Tribunal de Paris ont beau être récents, on perçoit tout de même un certain écart générationnel dans la salle. Le président et ses assesseurs ont fait leurs recherches mais il faut clarifier certains termes : “raid”, “stream”, “tchat”, “react”, etc.

Ultia raconte le “commencement” de l’affaire. En 2021, lors de sa participation au marathon caritatif du Z Event, la streameuse s’insurge contre une scène qui a lieu à une dizaine de mètres d’elle, mais qui est surtout retransmise devant des centaines de milliers de viewers.

Sur son live, le créateur de contenu Inoxtag tient des propos déplacés avec “la Sirène”, une créatrice de contenu mexicaine, amie du youtubeur et invitée en “surprise” pour le Z Event. “C’est quand j’ai reçu un message d’une proche amie, que je me suis dis qu’il fallait intervenir”, explique Ultia.

Sa réaction face à une scène misogyne va être l’étincelle qui va entraîner une série noire de cyberharcèlement massif qui va durer jusqu’à aujourd’hui. “L’année qui a suivi le Z Event 2021 c’était quotidien”, explique Ultia. Elle passe ses réseaux en privé un temps mais cela ne suffit pas, elle continue de recevoir des messages de haine, de lire des propos dégradants à son encontre.

Un an plus tard, à l’annonce de sa présence au Z Event 2022, la machine est relancée. Ultia et sa défense évoquent par exemple des centaines de comptes automatisés payés qui ont commenté des messages de haine sur Instagram.

 “À chaque nouvel événement sur Twitch, que j’ai un rapport direct ou non, le cyberharcèlement recommençait. […]”

Ultia évoque aussi les impacts sur sa vie personnelle.“J’ai essayé de cacher ça à ma famille mais ça a été médiatisé, ma grand-mère de 87 ans m’a appelée parce que sa voisine lui avait dit que j’étais harcelée” mais également sur sa vie professionnelle :  “J’ai été cataloguée comme la ‘féministe de Twitch’ alors que je n’avais rien demandé.”

“Je me suis fait influencer par les streamers qui lui envoyaient la haine”

Les trois accusés répondent aux questions du juge et de l’avocate d’Ultia. Le premier, Nazim H., est un cas un peu à part. Âgé de 39 ans, il est le seul des quatre prévenus de l’affaire à ne pas être accusé d’avoir proféré des menaces et il s’en défend : “Je l’entends et je le comprends sur le harcèlement, mais je n’ai jamais dit je vais la tuer, je vais la violer.” Ses messages, de nombreux emails envoyés régulièrement à l’intéressée sont toutefois clairement dénigrants (“T’aime les chibres, c’est clair”) et le juge tente de lui faire comprendre.

C’est également le seul prévenu à avoir une avocate. Cette dernière le décrit comme un individu profondément “isolé” et qui n’a qu’Internet comme passe-temps. Une expertise psychologique antérieure indique que l’accusé a notamment une forte “intolérance à la frustration”. Il a déjà été condamné pour faits similaires en 2018 mais sur le “cas” Ultia, il explique ne pas être au courant que d’autres personnes la harcelaient.

La “médiatisation” du cyberharcèlement a en effet été une notion rappelée à de nombreuses reprises lors du procès. Dans l’affaire, cette question est essentielle, car si les prévenus étaient bien au fait de la situation d’Ultia, ils auraient donc participé sciemment aux “vagues” de cyberharcèlement.

Nathan F., né en 2003, comparaît lui pour des messages envoyés sur Twitter en 2022 : “Sale pute vas te faire violer, tu mérites de te faire violer” ou encore “fais gaffe quand tu rentres toute seule la nuit”. Accusé de cyberharcèlement et de menace de crime en raison du sexe de la victime, il se défend du dernier message : “J’avais vu que d’autres gens l’insultaient donc je voulais l’avertir de faire attention”, explique-t-il au juge.

En revanche, il admet bien avoir été au courant qu’il n’était pas le seul à envoyer des messages. “Je ne voulais pas qu’elle se fasse autant harceler […] Je tenais à m’excuser pour les messages et j’espère que rien d’autre n’est arrivé”, dit-il. Il explique avoir réagi à chaud après avoir vu un live du streamer PFUT :

“J’étais sur le stream de PFUT et il avait dit ‘elle me casse les couilles celle-là’,  j’étais jeune et influençable,  j’avais banalisé la haine, je me suis fait influencer par les streamers qui lui envoyaient la haine.”

Le troisième prévenu, Edis M., né en 2001, comparaît lui aussi pour des menaces de mort proférées durant la même période, fin 2022. Son message : “T’es gentil, moi je les aurais finis à la kalash ces fdp”. Selon la partie civile et les enquêteurs, ce message a été publié sur le stream de PFUT  alors que ce dernier évoquait Ultia et le streamer Ponce. L’accusé explique, lui, ne plus se rappeler à qui faisait référence son message. “J’ai mis un commentaire dans la vague” admet-il néanmoins en exprimant sa honte et présentant ses excuses à Ultia.

“Je pense pouvoir dire que je suis la streameuse la plus harcelée de tout le Twitch francophone”

Maître Tomasini commence sa plaidoirie. Elle évoque le “sexisme exacerbé” sur les réseaux et l’importance de ce procès qui peut faire date. “Cet univers particulier, parallèle, virtuel, c’est aussi celui de nos enfants.” La portée sociétale de l’affaire est au cœur de l’argumentaire de l’avocate qui défend Ultia en soulignant son comportement “noble” lors du Z Event 2021. Comportement pour lequel elle s’est fait cyberharceler pendant plus de trois ans, avec des “dizaines de milliers de messages” au moins.

La procureur présente ses réquisitions. Elle évoque une affaire plus que jamais d’actualité alors que le sujet de la “lutte contre la haine en ligne” est au cœur d’un bras de fer entre l’Union européenne et les grandes plateformes comme Twitch — mais aussi X/Twitter, Meta, etc. “Il faut apprécier toute la situation et la responsabilité individuelle dans cette campagne de haine” déclare-t-elle. “Un signal fort est attendu à l’extérieur.” Néanmoins la notion de menace de mort n’est pas retenue contre la plupart des messages à l’exception de celui de la “kalash”.

Les peines requises sont annoncées : 12 mois d’emprisonnement avec sursis probatoire, interdiction de rentrer en contact avec la victime pendant une durée de cinq ans et obligation de suivre un stage de sensibilisation à l’usage des réseaux sociaux et aux discours en ligne. Nazim A., encourt lui une peine de sept mois avec sursis ainsi que d’une obligation de soins.

Son avocate s’exprime. “Ce qu’a vécu Ultia, ce n’est pas normal” admet-elle en regardant l’intéressée. Défendant uniquement son client, elle demande qu’il effectue des travaux d’intérêt général pour le sortir de son “isolement”, même si de manière générale, elle pointe du doigt la présence d’un faible nombre d’accusés. “On nous parle de centaines de profils, de douze profils violents repérés [par l’enquête, ndlr.] on essaie de les faire payer pour tout le monde.” L’argument est repris par Nathan F. “Nous ne sommes que quatre, je ne comprends pas pourquoi on doit prendre pour tout le monde.”

Les enquêtes pour les faits en ligne sont en effet très complexes. Et si seulement quatre profils ont été “retenus”, c’est qu’il est difficile d’identifier tous ceux qui profitent très bien de l’anonymat d’Internet. Plusieurs facteurs expliquent ce “coup de filet” réduit : d’abord le manque de moyens technologique et humain investis dans les enquêtes. “J’ai dû amener une clé USB à la police mais j’avais un fichier Drive qui se mettait à jour quotidiennement”, explique Ultia.

C’est aussi la responsabilité des plateformes qui est pointée du doigt. Twitch, où s’est déroulée une bonne partie du cyberharcèlement, se repose principalement sur la modération bénévole de ses membres et quelques jours plus tôt, Ultia nous faisait part de la difficile coopération de la plateforme d’Amazon avec les forces de l’ordre. Tout autant de facteurs qui expliquent le faible nombre de prévenus mais également les nombreux classements sans suite dans ces affaires de cyberharcèlement.

Ultia aura attendu presque deux ans d’enquête, subissant pendant de nombreuses années (et encore aujourd’hui) un harcèlement aussi virulent que constant. Au-delà de son épuisement général, la streameuse souhaite que son cas fasse jurisprudence :

“J’aimerais qu’à la hauteur de ce que j’ai subi, cela serve pour toutes les femmes et pour toutes les collègues qui n’ont pas pu arriver jusqu’ici.”

Le verdict sera prononcé le 12 février 2025.