“Pas de scroll, pas de drama, pas de like”, c’est comme ça que Léna présentait l’aventure folle dans laquelle elle se lançait pendant un mois. A priori, on peut penser qu’en lançant ces 40 minutes de vidéo, on s’apprête à s’engouffrer dans un storytelling de privilégiée qui considère la vie de monsieur et madame tout le monde comme un challenge et transforme chaque idée en vidéo performative, mais ce serait passer à côté d’un vrai sujet et continuer à mal considérer Léna Mahfouf et toute une génération qu’elle représente.
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Sevrage numérique
Si vous n’aviez pas suivi, Lena Situations, suivi par 2,9 millions d’abonnés sur YouTube, a sorti ce lundi 18 novembre une vidéo dans laquelle on la suit sous forme de vlog dans l’épopée de la déconnexion numérique. Progressivement, entre plusieurs phases, elle va se délester de tous les écrans qui rythment son quotidien. L’iPhone est remplacé par un téléphone fonctionnel à clapet, un téléphone qui sert à téléphoner en somme, l’usage de l’ordinateur est rationné et dédié uniquement à des fins professionnelles, la musique et le cinéma disparaissent, et ça, c’est un drame, mais on y reviendra.
Après un dernier tournage à honorer avec Squeezie, place à la vie calme. Lecture, coloriage, balade, brocante, la vie d’un bambin ou d’une personne âgée peut-être, mais une vie libre de stress. C’est peut-être un point à retenir, le stress de nos vies c’est beaucoup la faute au capitalisme. Quand, à ces deux âges éloignés de la vie, nous ne sommes pas des pions utiles à l’économie d’un pays, on a vachement de temps pour apprécier la vie et ses plaisirs simples.
Dans la suite de ces pérégrinations, on la voit galérer dans des moments tout simples du quotidien. Certains pourraient considérer les embûches de son aventure purement superficielles, comme le fait de ne pas pouvoir géolocaliser et ainsi reconnaître le chauffeur taxi qu’elle a commandé au téléphone, mais ça nous ramène aussi à une réalité à laquelle Léna n’échappe pas : les femmes ne sont pas en sécurité dans l’espace public. Monter par erreur dans la mauvaise voiture, mieux vaut ne pas tenter l’expérience et la technologie de nos smartphones n’est pas de trop quand il s’agit de se protéger. On pense également à des applications comme Sorority qui permet d’émettre une alerte si vous subissez une agression dans la rue et de prévenir les femmes autour de nous grâce à la géolocalisation. Oui, en arriver là, c’est triste, mais bienvenue dans la vraie vie.
Vivre et mourir sur Instagram
Tout documenter, vivre à travers les caméras, c’est un modèle que suivent beaucoup des jeunes générations nées avec les réseaux sociaux à l’instar de Léna. Pour se dessiner une carrière d’influenceur ou par mimétisme, tout se filme, se raconte et se partage à nos amis mais aussi à l’Internet mondial. Même lorsque l’on est une des personnalités les plus suivies et aimées, personne n’échappe au dark side du web. Alors, en plus d’y voir une déconnexion pratique qui empêche une acharnée du travail de s’épuiser, c’est aussi le dernier recours de Léna pour se protéger du cyberharcèlement. Face au déferlement de posts haineux, pervers, misogynes, toutes les femmes ont perdu d’avance. Dans sa vidéo, elle en parle peu mais c’est ce qu’il faut retenir. En scrollant aléatoirement, il lui arrive de tomber sur des deep fakes pornographiques utilisant son visage, des montages où des utilisateurs créent des fausses images d’elle nue, en position dégradante et dans un réalisme effrayant. Comment ne pas avoir la gerbe. Est-ce que les femmes doivent pour autant déserter l’espace numérique ? Non, mais elles doivent apprendre à vivre avec ces images en tête.
Retour dans le dur
Au réveil du 31e jour, la reconnexion. Dix mille abonnés en moins sur Instagram, dure loi des plateformes qui ont besoin de leurs flux et ne vont surtout pas vous encourager à disparaître à nouveau. Un article du Parisien et un de BFM TV reprennent les propos de son post de la veille annonçant l’expérience qu’elle venait d’achever. “Si BFMTV me tag je sais que je vais passer une mauvaise journée.” Bon retour parmi nous, Léna. Alors que garder de cette expérience, pour nous, simples spectateurs ? Lorsqu’une amie lui dit que depuis qu’elle n’a plus son téléphone, elle est enfin complètement présente et que son père lui confie “oui, tu es différente en ce moment, je vais en profiter”, ça nous fout un peu une boule au ventre et c’est dur de ne pas s’identifier. Soyons honnêtes, à des degrés et pour des raisons différentes, nous sommes tous accros à nos téléphones. La vidéo de Léna est un vlog de plus à son actif, une expérience qui peut inspirer les plus jeunes qui la suivent avec admiration et pourquoi pas un rappel pour nous tous de ne pas vivre à moitié les moments du réel avec ceux qu’on aime.
Ne pas tout foutre au feu, la culture va nous sauver
On peut tous se mettre d’accord pour dire que la vie avant les smartphones n’était pas si nulle, mais quid de la vie sans musique, sans cinéma ? On est OK pour se remettre à toucher de l’herbe, mais ne nous enlevez pas les outils premiums de l’élévation des âmes (là je m’emballe). Plus sérieusement, s’il y a bien un moment où on est concentrés sur une œuvre, dédiés à l’observation des tableaux qui défilent sous nos yeux créés pour nous faire ressentir des émotions, c’est dans une salle de cinéma. De même pour la musique, revenons un peu au temps du baladeur CD, asseyons-nous sur le banc du quartier en faisant tenir le discman dans le parfait équilibre qui propulse le son dans chaque écouteur et faisons ces rêves lucides où l’on est le personnage principal d’un clip de R&B. Tout devient morose mais la culture, il nous reste plus que ça.