Des faux chiffres sur les morts du Covid, des récits glorifiant les nazis et une prépondérance des pages consacrées aux hommes : voici le lot quotidien de l’armée de volontaires qui modère les dizaines de millions d’articles de Wikipédia. La plus grande encyclopédie numérique du monde est souvent le premier résultat qui s’affiche lors d’une recherche sur Internet, et représente une source d’information gratuite d’une valeur inestimable.
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Mais elle révèle aussi certains travers humains, car les articles du site peuvent en théorie être rédigés, dans plus de 300 langues, par n’importe quelle personne disposant d’une connexion Internet. Le rôle des modérateurs, qui sont pour la plupart des volontaires anonymes, s’avère donc déterminant.
“J’ai toujours mon ordinateur portable avec moi pour éditer Wikipédia”, assure Alaa Najjar, qui vit au Moyen-Orient, mais préfère garder confidentiels des détails permettant de l’identifier, afin de protéger sa vie privée. “Mes amis disent que c’est une addiction, mais je préfère dire que c’est ma passion”, explique-t-il par courriel à l’AFP.
M. Najjar assure contribuer à près de 500 articles par semaine. Médecin de profession, il a dû affronter un flot de fausses informations sanitaires avec la pandémie. Il a notamment relevé des articles affirmant à tort que le Covid avait tué des célébrités ou des pages exagérant le nombre de décès et de cas dans certains pays. “J’ai relu des centaines d’articles pendant la pandémie et j’ai rejeté de nombreuses modifications trompeuses ou erronées”, indique M. Najjar, qui a été récompensé en 2021 du plus prestigieux prix de l’encyclopédie pour son travail.
Web nazi hunters
Wikipédia, qui a célébré son vingtième anniversaire en janvier, a reçu des critiques élogieuses ces dernières années pour ses méthodes de vérification des faits. Bien qu’il s’agisse d’une gigantesque plateforme, le site ne cherche pas à gagner de l’argent pour ne pas être accusé de faire passer les profits avant la sécurité des utilisateurs, une critique formulée contre Facebook par de nombreuses ONG et élus politiques.
Wikipédia compte sur des volontaires dont la mission est de faire le tri dans la masse de contributions, une tâche qui peut se révéler ingrate. “Un relecteur m’a qualifiée de vandale pour avoir retiré une information non sourcée”, raconte Ksenia Coffman, qui bataille contre des articles sur la Seconde Guerre mondiale qui idéalisent le rôle des nazis et des généraux allemands.
Un genre de récit minimisant le contexte historique des atrocités commises par l’Allemagne nazie, dont la Shoah, et exaltant ses faits d’armes a influencé une culture alternative sur Internet qui s’est immiscée sur Wikipédia. “Comment se fait-il que je sois attaquée lorsque j’essaie de corriger cela et d’enlever des pavés non sourcés qui ne font que glorifier de soi-disant héros de guerre nazis ?”, s’étonne Mme Coffman, qui vit en Californie mais a grandi en Union soviétique.
Ces insultes constituent une “erreur tactique” pour Mme Coffman, qui se sent encore plus motivée face à ces attaques. Elle contribue à environ 200 relectures par mois.
Des disparités sexistes
Les articles de Wikipédia sont étayés par des sources écrites et fiables issues de la presse ou de publications académiques. À cet égard, ils révèlent certaines disparités dans le champ intellectuel, dont l’inégale représentation des femmes par rapport aux hommes. “Wikipédia est un miroir gênant qui reflète les inégalités systémiques dans le domaine du savoir”, décrit Rebecca O’Neill, une modératrice basée à Dublin qui dit consacrer à la plateforme environ 40 minutes de travail par jour.
En 2015, seules 15 % des biographies en anglais étaient consacrées à des femmes. Après des efforts de rééquilibrage, le chiffre est passé à 19 % en 2021, indique Mme O’Neill. L’an dernier, elle a écrit en moyenne un article par jour sur Wikipédia avec un ratio de 19 biographies de femmes pour chaque biographie d’homme. “En tant qu’individu, j’ai un rôle à jouer”, estime Mme O’Neill. “Il faut juste que je prenne le temps et que je n’y réfléchisse pas trop longuement […]. C’est une chose dont je me sens capable”, assure-t-elle.
Konbini techno avec AFP
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