Quelque part entre un gremlin et Pikachu, la sympathique Vtubeuse Amano Pikamee raccroche avec un stream d’adieu le 31 mars. Derrière elle, la Japonaise bilingue au rire de bouilloire laisse des centaines de milliers d’abonnés qui perdent un doudou virtuel.
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Si vous ne connaissiez pas le Virtual YouTubing, bienvenue dans la tanière du lapin blanc ! Cette discipline, qui consiste à incarner un modèle en deux ou trois dimensions pour streamer sur Twitch ou YouTube (imaginez Bill du Bigdil en plus moderne et kawaii), a particulièrement explosé avec le Covid-19 et ses confinements successifs. S’il y a déjà un bon lustre, le genre se cristallisait avec le personnage de Kizuna AI, cela fait plusieurs années que le Vtubing est une industrie internationale, dominée par plusieurs boîtes japonaises qui gèrent les deux principales écuries : Hololive et Nijisanji qui accueillent plusieurs centaines de profils, tous rangés dans une série d’archétypes.
Une majorité de femmes qui jouent, animent, dansent, bougent, font du rap, toutes derrière un masque au design folklorique et soigné… et tissent un immense réseau dont il est impossible de saisir l’exhaustivité. Généralement, on tombe sur des compilations d’extraits sur YouTube, on se trouve des talents favoris, puis l’on découvre ce qui sera un trou à temps infini sur plusieurs années.
Une, parfois deux identités secrètes
Amano Pikamee s’éloignait des canons du genre. Avec son look simpliste et un peu moins de 700 000 abonnés sur YouTube, elle aura connu un succès mondial, toujours éloignée des grandes stars du milieu qui en comptent plusieurs millions. Depuis trois ans, elle fait du let’s play, papote avec ses abonnés, organise des collaborations internes ou avec des personnages d’autres boîtes, une pratique assez rare. Sa genèse est amusante — Pikamee est une création de l’artiste GYARI, musicien japonais de free jazz dont le style, très rond et plaisant, irradie dans ses clips. Son agence, VOMS, cultive une hiérarchie bien plus horizontale avec ses talents, là où le reste de l’industrie a un contrôle parfois démesuré. Pensez-y : si un Vtuber s’arrête, emmener ailleurs son personnage et son audience sont deux problématiques bien différentes, surtout quand le modèle est possédé par le label. Il n’est, par exemple, pas difficile de tisser le lien entre Kiryu Coco et Kson, ou de reconnaître la même artiste derrière Calliope Mori et Demondice, qui bosse énormément sur ces deux personas à la fois.
Après trois ans à construire une communauté, la mauvaise nouvelle tombe le 1er mars. Pikamee, dans une vidéo policée et en keigo — mode de grammaire japonais honorifique — annonce sa future retraite (ou Sotsugyō, un euphémisme pour “remise de diplôme” quand les idoles partent ou se font jeter). Les fans sont prompts à faire le rapport entre cette surprise et le fait qu’elle ponctue la fin d’une pause ; Pikamee avait subi une vague de harcèlement après avoir exprimé l’envie de jouer à Hogwarts Legacy. Même si, par le passé, d’autres artistes ont été lâchés dans la nature après un souci de relations publiques, rien n’appuie le lien entre les deux. Son label et d’autres Vtubers ont d’ailleurs déclaré que le départ était acté depuis plus longtemps. Une situation un peu floue, dans une industrie où la communication est notoirement verrouillée, aura été récupérée par une poignée de transphobes qui auront terni ce bout de course.
Qu’est-ce qui distinguait Pikamee ?
Il faut comprendre que ce genre de couac cohabite à 0 % avec la manière de faire des Vtubers japonais qui ne sont pas indépendants. Leur objectif est de faire du divertissement. S’ils le font très souvent avec un talent inné, ils animent avec de bonnes pratiques éloignées de notre conception du streaming. Un Vtuber doit toujours rester dans son perso et sa mythologie improbable, ne pas parler d’autrui, ne pas évoquer le monde extérieur — le moindre propos politique sera poliment évaporé. Les majors de Vtubing ont bien compris que les fans — très nombreux autour du monde, il suffit au minimum de parler anglais pour s’ouvrir à des morceaux choisis en tous genres — ont parfois besoin d’une présence et de compagnie. Il n’est donc pas difficile de comprendre pourquoi le genre a explosé début 2020. Cette logique de réconfort, exploitée par d’aucuns, n’est pas aussi glauque qu’elle pourrait en avoir l’air.
Le personnage de Pikamee est ultra-positif et international compatible. Rare talent à mettre en valeur son bilinguisme anglais/japonais (elle a fait ses études au virtual Texas), son comportement tranchait avec ce qu’on attend d’un tallento. Il lui arrivait de parler de sa vie (!!) — de se confier sur ses maux passés, de parler sujets plus intimes comme son anxiété sociale, sa difficulté à se caser (comme la plupart de ses spectateurs, elle n’aime pas la Saint-Valentin)… ou plus futiles, comme son éternelle difficulté à faire vérifier son compte Twitter (c’est trop tard, désolé). Mais dans les grandes lignes, Pikamee est un personnage entier, hilare et, c’est l’ingrédient secret, elle a un tic de langage (da yo !) et possède un rire caractéristique, en l’occurrence un authentique bruit de bouilloire.
Pikamee a présenté des streams à l’identité visuelle très soignée, elle a toujours fait montre d’une grande réactivité pour changer son modèle au gré de ses émotions. Son chat sait plus se tenir que la moyenne, ne la bombardant pas de ses projections, dans une industrie où les plus populaires peuvent recevoir des milliers de dollars de dons en un instant, envoyés dans l’espoir d’un moment d’attention. Elle aura fait figure de sanctuaire pour internautes qui peuvent se rabattre sur une large batterie de personnages, pour résumer, ça aura été “la plus chill et gentille des Vtubeuses”, à un moment précis où les internautes en ont eu besoin.
Ses réseaux sociaux et ses contenus seront très bientôt verrouillés ; mais de nombreuses collaborations, extraits et best of resteront disponibles. Il faudra se trouver un nouveau doudou, le choix est exhaustif – mais je dis ça, je dis rien, elle a un équivalent encore plus célèbre.