Only Up, Beton Brutal, Alt-F4 : pourquoi aime-t-on voir les autres tomber (et souffrir) ?

Une chute et on recommence (ou on quitte)

Only Up, Beton Brutal, Alt-F4 : pourquoi aime-t-on voir les autres tomber (et souffrir) ?

photo de profil

Par Pierre Bazin

Publié le

Ça va parler Nietschze, vous êtes prévenus.

Si vous avez passé un peu de temps sur Twitch ces dernières semaines, vous êtes forcément tombés sur un live d’un streamer qui craque complètement sur Only Up !

À voir aussi sur Konbini

Le principe est simple : il faut monter le plus haut possible en escaladant des obstacles aussi absurdes les uns que les autres jusqu’à atteindre un sommet qui semble, au début, inatteignable. Si vous tombez, si vous manquez la moindre “marche”, c’est quasi-retour à la case départ pour vous, effaçant le moindre progrès in game, ne vous laissant qu’avec votre mémoire de progression personnelle pour sécher vos larmes.

Le jeu est sadique, on a l’impression qu’il sort d’un cerveau de développeur cruel et malsain. Tout y est fait pour vous faire craquer, pour tester votre patience, votre pugnacité. Et c’est exactement l’objectif recherché : que vous vous y essayiez OU que vous regardiez des gens, par exemple votre streamer favori, s’y essayer.

Depuis votre confortable position de viewer, il ne vous reste plus qu’à profiter du spectacle et à vous régaler de tous les échecs visibles, craquages mentaux et autres rage quits.

De quand ça date, cette mode ?

Ce type de jeux n’a pas de genre à proprement parler mais on pourrait le résumer comme ça : “si tu tombes, tu recommences tout“. Il ne s’agit pas de jeux réellement difficiles au sens littéral comme on peut en trouver dans les jeux de FromSoftware (Dark Souls, Elden Ring) ou dans les roguelikes qui incitent, dans leur gameplay même, à recommencer (The Binding of Isaac, Hades). On ne parle pas non plus des jeux multijoueurs connus pour faire rager (League of Legends, Counter Strike). Non, ici on parle d’un duel entre une personne et un jeu, avec parfois une audience sadique qui l’observe.

Dans ces jeux, la difficulté est volontairement absurde pour vous obliger à échouer et recommencer, peu importe votre skill, grâce à des pièges sournois. Ce sont des jeux conçus expressément pour faire “tilter” (= péter un câble).

Only Up ! n’est pas le premier du genre. Un des premiers titres à avoir initié le mouvement est probablement Getting Over It, sorti en 2016. Ici, vous incarniez un personnage nommé Diogène coincé dans une marmite de fonte qui devait se hisser à la force de ses bras et de son maillet. Le jeu a particulièrement retenu l’attention des créateurs de contenus (surtout youtubeurs à l’époque) grâce à la voix off du développeur Bennett Foddy – aussi connu pour l’excellent QWOP.

Calme et apaisée, cette voix off vous explique comment surmonter ces obstacles, et vous remettre des échecs, développant une sorte de parabole avec votre vie personnelle. Si on pouvait, on étriperait les cordes vocales derrière cette voix.

Les années qui ont suivi ont été riches en expériences du même genre. AltF4 en 2021 par exemple, qui tient son nom du raccourci pour quitter subitement un programme (comme un jeu rageant) ou sa suite récente AltF42. Le concept reste le même : du sadisme, des musiques qui rendent fou et une DA assez absurde – des chevaliers en armure et des poulets, pour résumer.

Tout récemment, on a également pu voir les streamers s’essayer à BETON BRUTAL qui pousse la notion de parkour au paroxysme de la précision (et de la rage).

Votre cerveau, ce gros sadique ?

Tous ces jeux ont en tout cas eu un énorme succès sur Twitch et YouTube. Manifestement, plutôt que de s’y essayer, les gens préfèrent se réunir pour regarder les autres échouer. Et vous savez quoi ? C’est en réalité un phénomène psychologique bien connu.

La Schadenfreude, expression allemande désignant la “joie maligne” à voir quelqu’un échouer, était déjà utilisée par Nietzsche. On aime voir les autres souffrir parce qu’ils mettent en dérision nos propres échecs. Il ne s’agit pas de sadisme à proprement parler puisque la personne n’est pas, pour autant, activement à l’origine de la souffrance d’autrui.

Des études ont même prouvé que ce sentiment activait les zones du cerveau liées au système de récompenses, délivrant de la dopamine à la vue de l’échec. On aime voir les streamers échouer, on l’attend même.

Heureusement, il existe tout de même des jeux qui, quoique très difficiles aussi, récompensent également la bienveillance comme l’incroyable Celeste.