Sur YouTube, on connaît Félix Dupuis sous le pseudo de Feldup, et si l’on doit doit théoriquement prononcer “Feldupe” (\fel.dyp\) à la française, le vidéaste adhère aujourd’hui à la prononciation anglaise “Feldeup” (\fel.dəp\), “bien plus stylée”, selon ses termes.
À voir aussi sur Konbini
Cumulant 1,15 million d’abonnés sur la plateforme, Feldup s’est toujours imposé comme un individu aussi étrange que passionnant, et ce n’est pas notre rencontre qui viendra le contredire. À la terrasse d’un bistrot, le vidéaste, barbe de trois jours et les cheveux presque en pétard, commande machinalement un café noir et un coca zéro qu’il avale simultanément. Oui, les deux ensemble et vous n’allez rien faire.
À son image, sa chaîne s’apparente à un iceberg dont les contenus se font de plus en plus intrigants à mesure qu’on y plonge profondément. Narration en voix off, compositions musicales élégiaques, vidéos brutes facecam, série de mises en scène angoissantes, la chaîne de Feldup est restée très longtemps un lieu d’expérimentation pour le jeune homme qui l’a ouverte alors qu’il n’avait que 12 ans.
“Je tombais sur les contenus les plus bizarres possible”
C’est surtout grâce à sa série de vidéos des Findings que Félix s’est construit une notoriété sur YouTube. Des true crimes morbides aux easter egg étranges (éléments camouflés dans des programmes informatiques ou des vidéos), les Findings font le récit d’histoires glauques ou mystérieuses qui fascinent Internet par leur caractère inexplicable ou le traumatisme qu’elles ont pu générer sur des utilisateurs parfois très jeunes.
Pour autant, le vidéaste qui s’est imposé dans le domaine de l’horreur et de l’étrange sur la plateforme n’est pas franchement à l’aise avec le fait d’être surnommé “le roi de l’horreur”. Il reste très attaché à ses productions musicales, qu’il crée en simultané des vidéos : “J’ai une communauté très hétéroclite mais, globalement, je sais que les gens écoutent beaucoup moins mes musiques qu’ils ne regardent mes vidéos. Ce n’est pas un problème”. Le confort matériel que lui apportent ses vidéos lui permet d’explorer plus librement d’autres de ses passions sans chercher à plaire à tout prix – si ce n’est à lui-même.
“Je tombais sur les contenus les plus bizarres possible. […] Je n’avais aucun recul sur ce que je voyais mais c’était fascinant.”
Cette quête de liberté rejoint d’ailleurs de nombreux autres aspects de son travail. De nature très anxieux, celui qui se définit comme un “pur produit d’Internet” s’est forgé sa culture en ligne en se réfugiant très jeune dans Internet, et en particulier sur YouTube : “Je tombais sur les contenus les plus bizarres possible. C’est là où j’ai notamment vu les premiers trucs qui m’ont terrifié sur Internet. Je n’avais aucun recul sur ce que je voyais mais c’était fascinant.”
En racontant des histoires avec passion dans un univers sombre parfois angoissant, le vidéaste a su franciser un format issu de la culture web anglo-saxonne en incarnant complètement la narration de ses vidéos par sa présence en facecam : “Je me suis rendu compte que c’était très pratique pour donner plus l’impression que je m’adresse à quelqu’un.”
Feldup est conscient qu’il fascine son public en touchant à sa curiosité morbide. Chacune de ses vidéos suscite des réactions qui ont pu le dépasser par le passé. Ce fut notamment le cas autour de sa trilogie La Face cachée de YouTube qu’il considère aujourd’hui comme un point culminant de l’escalade du gore sur sa chaîne.
Face aux critiques de son audience lui reprochant de “capitaliser sur le traumatisme des gens”, il finit par retirer certains détails sordides de la vidéo. “Je me suis rendu compte que c’était contre-productif comme information car ça n’apportait rien au contenu et les gens commençaient à associer ma chaîne à du contenu hardcore”. Depuis, le jeune homme a décidé d’entamer une désescalade de la violence sur sa chaîne et fait plus attention aux sujets qu’il choisit de traiter.
Chargement du twitt...
Le roi de l’esthétique DIY
“J’ai envie que les gens qui regardent mes vidéos se disent qu’ils peuvent également le faire avec leurs moyens.”
À seulement 22 ans, Félix, qui cumule plus d’un million d’abonnés sur sa chaîne, se démarque de ses confrères vidéastes par l’aspect artisanal de ses productions. Cette esthétique DIY – Do It Yourself – lui vient aussi de son ancrage depuis tout jeune dans la bulle d’Internet : “Au début, YouTube c’était très, très galérien. Il y avait quand même un charme que j’aimais bien”.
Feldup confie avoir désormais les moyens de proposer des vidéos beaucoup plus produites. Pour autant, il a à cœur de maintenir cet aspect “fait maison” : “J’ai envie que les gens qui regardent mes vidéos se disent qu’ils peuvent également le faire avec leurs propres moyens”.
Du premier au dernier épisode des Findings, les vidéos de Feldup sont plongées dans le noir, pour recréer le charme inquiétant d’un visage éclairé par la seule lumière d’un écran d’ordinateur. De même pour ses textes qui sont loin d’être écrits à la ligne près : “C’est une forme d’improvisation très guidée. C’est pour ça d’ailleurs que certaines phrases sont dites avec un français catastrophique”, en rigole-t-il.
Au fil des années, l’esthétique “fait maison” des vidéos de Feldup reste la même | © Youtube – Feldup
Le faux “fainéant” qui ne joue pas le jeu des algos
Pas de sponsors, ni d’équipes de production, studio rudimentaire dans sa chambre, vidéos volontairement épurées, rythme de publication relativement faible comparé à ses collègues, le youtubeur ne délègue jamais son travail, si ce n’est à son associée Rebecca qui l’aide parfois dans la recherche et l’écriture.
Il considère qu’il est essentiel que son public puisse s’identifier facilement à lui : “Même si c’est agréable pour les abonnés, le risque de produire autant de vidéos ultra dépendantes de thunes investies, c’est de créer une attente que les vidéastes n’auront pas toujours les moyens de combler”, regrette le youtubeur. C’est alors une véritable prouesse de réussir à s’imposer quand on sait à quel point les algorithmes de la plateforme sont friands de productivité et de rentabilité.
Cette position assumée lui a tout de même valu quelques critiques : “On m’a par exemple reproché d’être fainéant parce que je ne sortais qu’une vidéo par mois et que c’était de l’irrespect envers mes abonnés. Je ne veux pas rentrer dans ce jeu même si j’ai quand même envie à l’avenir d’offrir du contenu plus produit, mais je veux que l’argent vienne de moi et pas d’une sponso car je n’aime pas le message que cela envoie.”
Félix est conscient que la possibilité de s’affranchir des insatiables algorithmes est un luxe. Validée par ses pairs, en particulier par des mastodontes de Twitch comme Aminematue et RebeuDeter, chaque nouvelle vidéo de Feldup est aussi devenue l’occasion de savourer un react ensemble autour d’un live. Chaque sortie vidéo crée l’évènement, grâce à sa qualité, à tel point qu’une partie de son audience attend que le streamer la regarde. Un gage de qualité qui a permis au vidéaste d’imposer une certaine légitimité dans le YouTube game.
Chargement du twitt...
“J’aime beaucoup cette idée d’aller chez tout le monde mais que personne n’aille chez moi”
En parlant de Twitch, la plateforme s’est d’ailleurs imposée comme une évidence pour permettre à Feldup de continuer à exploiter l’aspect DIY de sa direction artistique. En choisissant d’utiliser la caméra en 340 p intégrée à son ordinateur, de ne soigner ni son fond, ni les éléments visibles sur son stream, Feldup veut mettre au cœur de la création de son contenu un rapport d’égal à égal avec les personnes qui le suivent.
La notoriété du jeune vidéaste a rapidement explosé et il n’a pas toujours mis de frontière entre sa vie privée et son image publique. Twitch devient pour lui un moyen de discuter plus frontalement avec sa communauté et “de le rappeler à l’ordre sur les relations parasociales” qui le mettent très mal à l’aise, en témoignent les inconnus qui le considèrent comme un véritable ami.
Extrait d’un live stream sur la chaîne de Feldup / © Twitch – Feldupstream
Si l’on parle sociabilité, Feldup n’est pas le plus à l’aise, “mais pas pour autant fermé”, tient-t-il à préciser. Ce n’est d’ailleurs pas franchement pour cette raison qu’il n’a jamais invité personne sur sa chaîne. Si la mode est au featuring chez de nombreux vidéastes, le youtubeur s’engage à contre-courant : “J’aime beaucoup cette idée d’aller chez tout le monde mais que personne n’aille chez moi. C’est mon monde, c’est chez moi”.
Escape game chez Gotaga, partie de pétanque chez Ponce sur Twitch, caméo récurrent sur la chaîne de TheoBabac ou encore participation à un concours de cringe chez KronoMuzik sur YouTube… Celui qui a l’habitude de se mettre en scène dans des ambiances angoissantes sur sa propre chaîne répond avec joie à des invitations moins sérieuses : “J’aime profondément le fait que les gens ne m’attendent pas sur ce créneau-là. Comme les gens ne m’attendent pas et surtout ne s’attendent pas à ce que j’aie de l’énergie, il y a un vrai potentiel comique là-dedans !”
Extrait d’un live Twitch où Feldup apparaît aux côtés des autres vidéastes Riadhofg et TheoBabac dans une mise en scène improbable / © Twitch – Riadhofg
Après bientôt 100 épisodes de sa série des Findings, le youtubeur qui a su imposer son style et sa vision des choses sur la plateforme semble inépuisable. Des gros sujets de niche autour du jeu My House.wad et le show This House Has People in It devraient voir le jour rapidement.
Feldup confie également vouloir ouvrir sa chaîne aux formats plus spectaculaires, débutant ainsi un numéro d’équilibriste auquel beaucoup de ses confrères se sont essayé : celui de conserver son authenticité malgré des moyens et des audiences qui augmentent.