Twitch est un lieu formidable. Une sorte d’immense festival international où se croisent chaque jour des millions de spectateur·ice·s (les viewer·euse·s) sur des milliers de chaînes (les streams) qui sont comme des scènes ouvertes accueillant de multiples talents.
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Mais si les streamer·euse·s sont des animateurs de communauté aux multiples facettes, ils ne peuvent rien sans leur équipe technique. Car lors d’un live Twitch, une effervescence populaire prend vie dans le tchat. Parfois apaisé comme une audience de concert classique, le tchat Twitch peut, en une minute, devenir aussi endiablé qu’un pogo du Hellfest.
C’est là qu’interviennent les modérateur·ice·s. Ils et elles parcourent les tchats Twitch de leurs yeux perçants, souris en main, prêt·e·s à dégainer les sanctions pour les perturbateurs qui ne respecteraient les règles de la discussion en direct entre viewers et streamers. On les reconnaît à l’épée à côté de leur pseudo, mais que sait-on vraiment d’elles et eux ? Nous les avons rencontré·e·s.
L’envie d’aider et d’être utile
Il n’y a pas de cursus prédéfini pour être modérateur et, d’ailleurs, dans la grande majorité des cas, ce sont des travailleurs bénévoles qui remplissent cette mission. Utsuru est développeur web et, malgré son jeune âge (24 ans), il est déjà un modérateur vétéran. Pour Antoine Daniel ou Mistermv, il assure la bonne tenue du tchat lors de nombreux streams.
Comment devient-on modérateur ? “Un peu par hasard, c’est assez mal vu de proposer. Souvent, on te le propose, nous dit-il. Je connaissais un peu Antoine Daniel, il m’a passé modérateur, j’étais un viewer assez actif sur son stream.”
Les modérateurs ne font pas ça pour la fame, mais pour se rendre utiles. Kyle, modérateur pour Jeel depuis deux ans, est arrivé durant un été où la streameuse manquait de bras pour tenir le tchat. “J’ai dit que j’étais disponible s’il y avait besoin d’aide et, très vite, je me suis retrouvé épée en main.” L’essentiel pour lui ? Se sentir utile. En ce qui concerne une supposée “popularité” due à son poste, il n’en a que faire : “On me voit comme un viewer comme les autres.”
Pour son collègue Chouki, c’est un peu différent. Lui suit la streameuse depuis sept ans déjà. “Je suis le bras droit, l’ombre de Jeel 24 heures/24, nous raconte celui qui est aussi graphiste pour ZT Production. Le stream de Jeel, c’est un peu mon stream aussi ! Ça me tenait à cœur que cet espace, ces lives que j’adore, soient des lieux de bienveillance où tout le monde est l’aise.”
Il n’y a pas d’obligations précises liées à la fonction de modo. Que ce soit chez mistermv, Jeel ou encore Locklear, toutes les équipes sont formelles : il n’y a pas de planning. Pour Chouki, cela n’a jamais été nécessaire :
“Les modos viennent s’ils peuvent. Il n’y a pas d’obligation. La communauté est plutôt calme dans l’ensemble et, au pire, Jeel peut s’en occuper. Les seules exceptions où on demandera un peu de renfort, ça sera sur des événements particuliers style Z Event ou des émissions par exemple.”
Utsuru partage aussi cette approche, lui qui admet être un peu tombé “dans le piège de se forcer à modérer” à ses débuts. “Il peut arriver qu’on ne profite même plus du live à un moment et que la fatigue s’accumule, précise-t-il. On donne de nous pour que le tchat et le live se passent au mieux, c’est éreintant parfois.”
Pour l’équipe de Locklear, il y a beaucoup de travail sur ce live qui réunit plusieurs milliers de personnes à chaque fois. Là encore, aucune obligation. Il y a bien un planning sur leur serveur Discord, mais chacun met ses disponibilités. “Ce n’est pas grave s’il n’y a personne de prévu, il y aura toujours des gens sur le moment”, explique sereinement Lidros, modérateur depuis trois ans.
Videur de boîte ou animateur Bafa ?
En quoi consiste le taf des modos ? Sur le principe, on pourrait penser qu’il ne s’agit que de supprimer les messages haineux, de calmer les spams ou de bannir les viewers malveillants. Utsuru n’hésite pas à comparer les missions à un travail “de videur dans une boîte de nuit”. Il faut gérer les relous, mais aussi faire en sorte que tout le monde se sente bien dans le live et le tchat.
Nibor est lui aussi un vétéran et est un viewer régulier depuis déjà dix ans et les débuts de Twitch. Cela fait maintenant six ans qu’il est dans l’équipe de modération du streamer Locklear – mais aucune hiérarchie pour autant. Étudiant en fin d’études d’ingénierie, il est aussi titulaire du Bafa et il ne manque pas de noter des similitudes :
“Il y a un côté un peu ‘animation en centre aéré’, et même beaucoup de similarités avec le groupe des 4-11 ans [rires]. Pour autant, on n’est pas la police, on n’est pas là pour punir. L’objectif est de guider le tchat dans la bonne direction, dans le mood du stream, sans aller à contre-courant.”
Lorsqu’on arrive sur le stream de Locklear, c’est la folie. Comme un stade en ébullition, le tchat est animé par des dizaines de messages à la seconde et, parfois, le même message est partagé en masse. Pour Lidros et Draakaan, modérateurs depuis respectivement trois ans et un an et demi, c’est totalement volontaire et appréciable :
“On aime bien quand ça spamme, parce que c’est un spam drôle et fun, mais surtout, c’est dans l’esprit recherché par Locklear. En revanche, le spam hors contexte est modéré.”
Vadinne, CM et modératrice depuis trois ans pour Locklear, est catégorique : “Si le streamer ne peut pas lire, c’est que ça ne spamme pas assez ! [Rires.]” Cette vision d’un tchat “à l’américaine” est ardemment défendue aussi bien par les modos que par le streamer. “Tout le monde a des délires communs. Quand c’est le soir, on a envie de se libérer un peu, de hurler, de spammer KEKW dans le tchat, ça fait du bien à tout le monde”, enchaîne Vadinne.
Il arrive que le tchat soit vraiment chaotique, notamment au début, lorsque Locklear doit choisir le jeu auquel jouer. Mais, dans l’ensemble, l’équipe est formelle : le tchat se modère de lui-même. Cette autogestion du tchat, on la retrouve aussi chez mistermv, bien que de nombreuses années séparent les deux streamers (et leurs audiences).
Utsuru nous explique que le travail est de plus en plus mâché. Entre les bots (aka Robotchiotte) et les blacklists de mots, les aides techniques sont nombreuses. Il remarque aussi que les règles sur le spoil ou le backseat (qui consiste à aider un streamer, lui gâchant l’expérience de découverte d’un jeu) sont de plus en plus comprises et appliquées par la communauté.
Gérer la haine pour le tchat et pour soi-même
Être modérateur, ce n’est pas que de la joie. Il faut toujours être à l’affût, car même lorsque le tchat “se tient”, on n’est jamais à l’abri de haters qui ont décidé que le tchat de ce soir serait leur défouloir.
Pour Chouki et Kyle, le fait que Jeel soit une femme a aussi amené des problèmes encore inhérents à Internet. Les remarques sexistes sont évidemment plus nombreuses, même si elles ne représentent toujours qu’une petite partie de la globalité des messages du tchat qui sont “pipous 24 heures/24”, pour reprendre les mots de Kyle.
“C’est rare, mais des fois, ils arrivent en bande. Même les ‘compliments’ sur le physique c’est relou, parce qu’ils ne diraient pas ça à un streamer. Heureusement, Jeel sait parfaitement leur répondre et les remettre à leur place.”
À de très rares occasions (“une fois l’an”), un énergumène part vraiment en vrille. Chouki nous explique qu’il y a eu un cas de “creep” qui spammait tous les réseaux de la streameuse et se filmait en train de la regarder. “C’est vraiment des cas isolés, mais on fait attention, on peut même parfois garder des traces pour d’éventuelles plaintes à déposer”, confirme le bras droit de Jeel.
Chez Locklear, c’est la modératrice Vadinne elle-même qui a reçu des messages privés “chiants” mais les équipes sont solidaires et font toujours en sorte qu’ils ne récidivent plus. Parfois, les modos coopèrent même entre équipes de différentes chaînes pour se coordonner sur des gros événements et identifier des éléments perturbateurs qui spamment tous les tchats.
La bienveillance est le mot qui ressort le plus chez tous ces modérateurs. “Il faut éduquer le tchat, c’est un peu relou des fois, mais c’est comme ça”, nous explique Nibor. Pour Utsuru, la bienveillance doit aussi s’appliquer à soi-même : “J’ai appris à prendre du recul, du détachement face aux quelques haters, à la fin on sait que c’est des cas isolés.”
Une passion avant tout
Ce qui ressort de tous les témoignages de ces héros du tchat, c’est la passion qui les unit. Tous apprécient la proximité que Twitch a su créer entre streamers et la communauté, mais aussi entre les streamers et les modérateurs. “Locklear, c’est un ami, pas un patron !”, nous glisse Lidros.
Évidemment, il y a des moments moins amusants. Parfois, les modérateurs ne comprennent même pas pourquoi les haters existent encore. “Il y a dix mille alternatives sur Twitch, mais il y en a qui ont décidé qu’ils allaient emmerder le live de ceux qu’ils n’aiment pas”, nous dit Kyle. Pour rien au monde pourtant, ces modérateurs ne perdent foi en l’humanité. “On est un peu des gardiens de zoo aussi, plaisante Vadinne. Des fois, on revient quelques années en arrière sur l’évolution humaine [rires].”
Pour conclure, je leur demande les qualités que se doit d’avoir un bon modérateur : la bienveillance ressort plusieurs fois, l’impartialité aussi. “La précision sur le clic aussi, des fois, on se goure [rires]”, admet Chouki. Heureusement, l’unban existe. Pour Draakaan, il faut faire preuve “d’humanisme”, pour Lidros de “pa$$ion” [sic], et pour Vadinne de “patience”.
À la fin, ce qui unit les modos, c’est cet amour qu’ils portent à leurs communautés. Ils aiment Twitch, ils aiment le tchat, ils aiment le live. Ils voient des amitiés, des couples se former, des anciens viewers discuter et jouer avec de nouveaux arrivants. Peu importe qu’ils doivent parfois supprimer une remarque sexiste, bannir un hater, punir un backseat ou mute un relou. Ils se coucheront toujours avec le sentiment d’avoir rendu meilleure une expérience dans un live qu’ils chérissent.
Merci à Utsuru, Chouki, Kyle, Draakaan, Lidros, Nibor et Vadinne pour leurs précieux témoignages. “Claquez vos primes !”
Pour nous écrire : hellokonbinitechno@konbini.com