Mais pourquoi tout le monde parle comme ça sur TikTok ?

On vit dans une simulation

Mais pourquoi tout le monde parle comme ça sur TikTok ?

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© Solen Feyissa,
Timothy Dykes/Unsplash

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Par Julie Morvan

Publié le

Si vous ne l’aviez pas remarqué, maintenant vous n’allez voir que ça.

Faisons un test ensemble : ouvrez TikTok, scrollez un peu et arrêtez-vous sur la première vidéo qui ressemble à peu près à un vlog – en évitant de vous laisser distraire, on sait, parfois c’est dur.

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De notre côté, on est tombés sur ça :

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Tendez l’oreille : la plupart du temps, la ou le narrateur·rice emploie le même ton très enjoué, presque chantant et assez aigu. C’est ce qu’on appelle “la voix d’influenceur·euse”, ou “voix TikTok”rien à voir avec l’option “text-to-speech” de l’appli.

Pourquoi tout le monde l’utilise ? Le média Dazed s’est intéressé au sujet et a interrogé un linguiste et un sociolinguiste pour tenter d’esquisser une petite topologie de cette fameuse voix. Leur verdict : la voix de TikTok est souvent “aiguë, sans bruit de respiration, jeune, insiste sur des mots ou des séries de mots, alterne des accélérations et ralentissements un peu étranges”. Elle se caractériserait aussi par une intonation montante en fin de phrase, comme quand on pose une question.

Ce ton ne date pas d’aujourd’hui ; dès l’époque de YouTube, les vidéastes employaient volontiers la même façon de parler, assez emphatique, presque caricaturale et forte. L’enthousiasme débordant de YouTube a donc progressivement laissé place à une version plus subtile, moins artificielle – ou du moins, qui cache mieux son artificialité. L’objectif étant de créer une voix “intime et conversationnelle, informative et engageante, mais qui revendique aussi secrètement l’autorité, l’expertise et la sincérité et cherche à la fois à impressionner et à persuader”, fait remarquer le linguiste et lexicographe Thorne à Dazed.

Mais la ressemblance entre toutes ces voix ne s’arrête pas là ; dans la construction même du discours, on trouve de sacrées similarités. En mettant en avant les vidéos qui attirent l’œil dès le début, l’algorithme de TikTok encourage une certaine économie de l’attention, et donc un style bien précis de phrases d’introduction. On salue l’auditoire au début, on contextualise en quelques mots puis on plonge aussitôt dans le cœur du sujet de la vidéo.

Le discours est souvent ponctué de remarques censées garder l’attention des viewers, fait remarquer le Dr Ilbury, sociolinguiste interrogé par Dazed :“Hein ?”, “vous êtes d’accord ?”, etc. Selon l’expert, toutes ces remarques ont le même sous-texte : “Est-ce que vous m’écoutez ?”. On pourrait même prolonger un peu cette théorie en mobilisant la théorie des six fonctions du langage de Jakobson. Selon lui, certains mots que nous prononçons ne servent qu’à maintenir la communication : on appelle ça la fonction phatique. Par exemple, le “allô ?” quand on passe un coup de fil qui, foncièrement, ne rien signifie rien du tout. Le discours des tiktokeur·euse·s est donc bourré de ces fonctions phatiques.

Les chercheurs interrogés par Dazed se penchent ensuite sur la voix anglophone de TikTok, qui semble osciller entre l’accent British et américain selon les contenus. Du côté du TikTok français, chaque accent régional semble au contraire trouver sa place sans trop de problèmes. On pourrait ajouter qu’en français, le ton est bien plus monotone – au premier sens du terme, ne nous faites pas dire que les Français sont ennuyeux sur Internet ! – et part parfois au contraire dans les graves, pour des vlogs au mood plus chill et apaisant. Tendez l’oreille la prochaine fois : vous n’écouterez plus jamais les story times – ou les tutos cuisine langoureux – de la même façon après tout ça, c’est certain.