Depuis tout petit, j’ai toujours eu une certaine curiosité vis-à-vis de l’impact que pouvait avoir la nature sur notre métabolisme. J’étais nul en biologie (et en sciences en général) mais je me demandais toujours pourquoi on a le nez qui coule quand on a froid, pourquoi notre peau se fripe quand on reste trop longtemps sous l’eau, pourquoi nos poils se hérissent quand on se rapproche de quelque chose d’électrique. Des années plus tard, et toujours aussi nul en sciences, j’ai commencé, comme tout jeune qui voit la planète mourir à petit feu, à m’intéresser aux phénomènes météorologiques et à tout ce qu’on pourrait bien se prendre dans la gueule.
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Que l’on parle de grandes inondations, de sécheresses défiant toute logique ou de pluies de grêle démentielles, les différents phénomènes météorologiques présents sur Terre ont été mesurés tout au long de l’Histoire de manière scientifique et philosophique avec une précision plus ou moins observable selon les effets qu’ils produisaient sur leur environnement. Qu’ils soient dévastateurs à un instant T (exemples cités juste avant) ou progressifs (réchauffement climatique), on leur trouve souvent une explication scientifique. Cependant, certains événements liés à ces facteurs météorologiques font encore l’objet de conséquences troublantes, de facteurs méconnus et soulèvent des questions (souvent) laissées sans réponses. Pour moi, l’un des éléments les plus mystérieux de nos jours reste le vent. Dans le folklore comme dans certaines études scientifiques, le vent, qui est essentiellement dû au mouvement atmosphérique de gaz, au réchauffement provenant du rayonnement solaire et à la rotation de la Terre, reste source de mystères quant à son impact sur l’Homme.
Dans le Sud de la France, depuis ma tendre enfance, j’entendais souvent parler du vent comme étant un élément associé à la folie, un déclencheur de l’altération de notre état de santé (mentale). Que ce soient des expressions françaises comme “souffler un vent de folie” pour parler d’émotions collectives, “être vent dedans, vent dessus” pour dire qu’on est ivre mort ou encore, surtout dans le Sud, “le vent fou” pour parler du Mistral, le vent joue un rôle majeur sur notre état mental sans même qu’on s’en aperçoive. Et j’ai l’impression que les proverbes ancestraux sont encore justes et toujours d’actualité. En menant ma petite enquête, j’ai compris que dans la tradition comme dans les sciences, le vent (et plus particulièrement celui qui vient du Sud) peut avoir une influence néfaste sur notre santé mentale à plus ou moins long terme.
Espèce d’esventé, va !
Dans la culture populaire, nombreuses sont les allusions à cette corrélation. Dès le Moyen Âge, déjà, on faisait référence au vent comme un élément qui apporterait disgrâce et malheur dans l’âme bienveillante des esprits d’antan. L’historien Jean-Pierre Leguay s’est spécialisé sur la question et a sorti un livre à ce sujet, L’Air et le vent au Moyen Âge, dans lequel on trouve de nombreuses allégations autour de cette croyance. Autrefois, l’une des expressions qui permettait de qualifier l’état de folie était le mot “un·e esventé·e” qui tient directement sa racine du mot “vent” et signifiait “qui est exposé au vent”. Il justifie cette expression par les différentes croyances populaires autour de cet élément méconnu :
“Les vents sont coupables des débordements humains, écarts sexuels, de niais ou de drôlesses, s’associent aux sortilèges, aux maléfices, entraînent le bal des sorcières […]. Le vent perturbe aussi les esprits, est vecteur d’instabilité, de sauvagerie. On dit couramment que l’ouragan rend fou, détourne du droit chemin”
Quelques siècles plus tard dans l’Histoire, et dans un autre contexte, Georges Brassens, natif de Sète dans l’Hérault (Sud de la France), chantait le Sud à sa façon. Il reprenait un poème de Victor Hugo dans “Gastibelza” (L’homme à la carabine) énonçant la lente folie que le vent lui provoquait. Il reprend à sept reprises l’antépiphore de Victor Hugo en terminant toutes ses strophes par ces mêmes vers :
“Le vent qui vient à travers de la montagne
Me rendra fou”
En Occitanie, on retrouve l’expression : “Quand l’Autan souffle, les fous d’Albi dansent”. Ce vent du Sud-Ouest apporterait selon la légende une recrudescence des sensations de malaise et d’irritabilité. De plus, pour rester dans la région, dans les livres d’histoire médiévale, on rapporte que l’ancien Code pénal de Toulouse aurait été plus clément pour les crimes commis en périodes d’Autan, les responsables étaient soit graciés soit bénéficiaient de remises de peine ou de circonstances atténuantes liées à leurs délits/crimes.
Afin d’ajouter un dernier élément culturel, et histoire d’internationaliser ces théories, le fameux William Shakespeare faisait déclamer dans Hamlet, Acte II, scène II ceci :
“Je ne suis fou que Nord-Nord-Ouest, quand le vent est au Sud, je sais distinguer l’épervier du héron (I am but mad north-north-west, when the wind is southerly, I know a hawk from a handsaw).”
La météropa-quoi ???
Malgré cet aspect folklorique, traditionnel et légendaire de certaines croyances, la réalité scientifique ne contredit pas ce qui, à une époque d’obscurantisme scientifique, était hypothétiquement établi. Trois chercheurs du CHU de Rangueil (au sud de Toulouse) ont démontré dans une étude datant de 1983 que “le vent d’Autan a une action défavorable sur les gens à antécédents psychiatriques qui sont d’une plus grande météosensibilité”. Ce phénomène a un nom, la météoropathologie. On parle souvent de malaises, d’irritabilités, de céphalées. Ces syndromes, toujours dans la même étude, sont directement imputés aux vents du Sud. La météoropathologie est observable également chez d’autres êtres vivants : les insectes deviennent plus agressifs qu’à l’accoutumée, les chevaux bien plus agités et les chiens irrationnellement plus nerveux.
Plusieurs pays d’Europe de l’Ouest et d’Europe centrale ont ce qu’on appelle des Foehn, des vents secs provenant du sud et soufflant sur les Alpes. Depuis des années, les recherches liées à ces vents aux caractéristiques particulières sont associées à des Föhnkrankheit (maladie liée au Foehn en allemand) et à une augmentation du nombre de suicides. En effet, une étude réalisée par des chercheurs de l’Hôpital Rechts der Isar affirme que sur une moyenne de 16 jours de Foehn par an, 14 patients subissent un traumatisme en lien avec le vent de Foehn, indépendamment de la saison et du jour de la semaine.
Ces hypothèses sont partagées au sein de la communauté scientifique travaillant sur l’influence de la météo sur les comportements humains. L’étude Wind direction and mental health: a time-series analysis of weather influences in a patient with anxiety disorder de Elisabeth Henriette Bos, Rogier Hoenders et Peter de Jonge pour l’Université de médecine de Groningen, aux Pays-Bas, retrace l’évolution d’un patient souffrant d’anxiété récurrente. Cette étude a pour but de montrer les effets des changements de vents sur sa santé mentale. Les recherches menées suggèrent que les vents chauds abaissent les niveaux d’énergie du patient et que la direction dans laquelle le vent souffle peut affecter sa stabilité émotionnelle. Selon l’étude, cette même détresse psychologique serait liée particulièrement à des vents du Sud, et pas uniquement provenant d’Europe, tels que le Santa Ana (Californie), le Hamsin (Moyen-Orient), le Mistral (Sud de la France) et le Sirocco (Italie).
L’anxiété, les changements d’humeurs, la dépression ainsi que les troubles affectifs saisonniers peuvent donc être dus à un changement climatique soudain. Dans cette même étude réalisée pour l’Université de médecine de Groningen, on peut lire que la raison de ces altérations psychologiques est liée à la composition de ces vents secs du Sud. En effet, la direction du vent (360 ° = nord, 90 ° = est, 180 ° = sud, 270 ° = ouest), sa vitesse, la température apportée, les heures de soleil et de précipitation, la pression dans l’air, l’humidité relative ainsi que la couverture de nuage dans le ciel sont des variables qui, mises bout à bout, font la particularité des Foehn.
Une altération de l’hormone du bonheur
Pour rentrer plus dans le détail, ces vents étudiés produisent une forte quantité d’ions tantôt positifs, tantôt négatifs. Une trop forte exposition à ces hauts niveaux ioniques entraîne une altération anormale et significative des niveaux de sérotonine dans le sang, aussi communément appelée “hormone du bonheur”. Cette publication scientifique avance que les vents du Sud apportent une charge artificielle des deux types d’ions qui finit par épuiser les niveaux de sérotonine présents dans le cerveau. Les niveaux réduits de l’hormone, comme du liquide céphalo-rachidien, sont alors comparables à ceux de personnes déprimées. En conclusion de cette étude, les chercheurs affirment que, sur le plan médical, une trop longue exposition à ces ions, produits artificiellement par le vent, peut donc être nocive pour les êtres vivants qui y font face et provoquer ainsi une évolution non négligeable de caractéristiques pouvant altérer la santé mentale.
Le vent a toujours suscité la curiosité et attisé les fantasmes dans le domaine des arts, de l’histoire et de la science. Nombreux sont les phénomènes que je n’arrive toujours pas à comprendre mais je suis bien content d’avoir pu élucider cette vieille énigme historico-scientifique. Dans tous les cas, qu’il soit redouté, admiré, utilisé ou combattu, le vent a et aura des conséquences sur celles et ceux qui croiseront son chemin. Malheur aux pauvres âmes qui s’y exposent trop longtemps, au risque de ne devenir qu’un esventé de plus sur son passage.