À la base, c’est une vidéo anglophone qui a mis le feu aux poudres : “Plagiarism and (You)Tube”. Cette vidéo documentaire de près de quatre heures publiée par le youtubeur Hbomberguy s’attaque à l’épineux sujet du plagiat sur YouTube et plus généralement sur Internet. Des concepts volés aux histoires reprises sans crédit en passant par des plagiats purs et simples ou des simples “inspirations”, l’ambitieuse vidéo de Hbomberguy dresse un panorama non exhaustif de ce qui s’est fait sur le YouTube anglophone – et international.
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La vidéo a été également massivement vue en France et par un effet de rebond, elle a commencé à éveiller un autre débat en ce qui concerne la sphère YouTube française. Enfin, quand on dit “débat” mais que cela part de X/Twitter, il est d’usage courant d’appeler ça un “drama”.
Père YouTube, raconte-moi une histoire
Pour résumer très rapidement “l’affaire”, le créateur de contenu TheGreatReview (TGR) a publié début novembre une vidéo de 1 h 30, mini-documentaire sur la création et les coulisses de la populaire franchise vidéoludique Call of Duty.
Début décembre, TGR est accusé par un twittos d’avoir plagié ou, du moins, volontairement omis de citer ce qui serait sa source principale, à savoir le livre de Sébastien Delahaye, Call of Duty : les coulisses d’une usine à succès. Au final, TGR a bien cité le livre en description de sa vidéo mais environ dix jours après la publication de cette dernière – avant le “drama”. Mais passons car ce n’est pas tant ces batailles par tweets et screenshots interposés qui nous intéressent ici.
La vidéo de TGR a fait 1,8 million de vues en un mois et demi. Son auteur a été grandement salué pour son travail de recherches mais aussi (et surtout) pour sa manière de raconter l’histoire. En effet, cette vidéo s’inscrit dans une nouvelle tendance sur YouTube : celle du storytelling. Depuis quelques années, ces vidéos plutôt “longues” rencontrent un succès retentissant sur la plateforme.
Parfois, ce sont des mini-documentaires plus ou moins étoffés, d’autres fois, ce sont plutôt des sortes d’enquêtes. Ces vidéos partagent toutes comme point commun le fait de raconter des histoires, des parcours, des coulisses ou encore des faits incroyables qui se sont déroulés dans la vraie vie véritable, et le tout incarné par le créateur de contenu – en vidéo et/ou avec une voix off audio.
On peut citer pêle-mêle de nombreux créateurs connus : Seb, Sofyan, Sylvqin ou Simon Puech sont des exemples parmi tant d’autres mais il y a également le youtubeur numéro 1 Squeezie avec ses vidéos “Histoires”. Ce type de vidéo n’est pas si récent, mais elles rencontrent un nouveau regain d’attention depuis quelques années avec l’arrivée d’autres créateurs comme Feldup, ou encore côté histoires liées aux jeux vidéo comme avec EGO ou Kombo.
En substance, personne ne peut assurer la primauté de la narration d’une histoire vraie. La question du plagiat sur Internet pourrait ainsi se résumer le plus souvent à deux questions : qui en a parlé le premier sur Internet ? Et qui a fait le plus de travail de recherches sur ce sujet ?
La question du primo-créateur face à “l’inspiration”
Revenons à la vidéo de Hbomberguy et à sa conclusion dans laquelle il explique que la question de l'”inspiration” sur YouTube est là depuis les tout débuts de la plateforme, même quand il n’y était pas question d’argent, de sponsoring ou de professionnalisation du métier de youtubeur.
Si Hbomberguy cite logiquement des créateurs de contenu anglophones, on peut se rappeler que dès 2009, le Joueur du Grenier (JDG) subissait des critiques qui l’accusaient de trop copier le travail de la chaîne américaine The Angry Video Game Nerd (AVGN). Revenant sur ses anciennes vidéos, le JDG a souvent expliqué qu’à l’époque, lui et son associé Seb faisaient expressément attention à ne pas traiter les mêmes sujets (jeux) que l’AVGN, pourtant une source d’inspiration assumée. La question du “plagiat/inspiration” est donc là depuis les tout débuts.
Aujourd’hui, il n’est pas difficile de vérifier, en quelques recherches, les précédentes apparitions d’un sujet sur Internet. On s’aperçoit bien vite que le sujet d’une populaire vidéo storytelling à succès a souvent été déjà traité sur YouTube, au moins dans une autre langue. Et si le travail de base n’est pas forcément une vidéo YouTube, il pourra s’agir d’un article de presse, d’une page Wikipédia ou encore d’un témoignage sur un autre réseau social comme Twitter ou Reddit.
Cela n’enlève pas nécessairement le talent de ceux qui arrivent après. Il y a beaucoup de travail pour celui qui veut expliquer, avec ses mots et son style (de montage par exemple), une histoire particulière. Mais cela ne doit pas empêcher les créateurs de contenu de citer correctement ceux qui ont déjà travaillé le sujet et qui les ont nécessairement mis sur la voie.
Le youtubeur, nouvelle source de (dés)information ?
Est-ce que les youtubeurs doivent sourcer ? Ce ne sont pas des journalistes ou des académiciens, après tout. Néanmoins, leur influence est aujourd’hui trop importante pour qu’ils prennent du recul avec cette notion de sourcing mais aussi de vérification de ces dernières – et c’est surtout là que ça bloque.
Quand Internet a explosé au début des années 2000, nos professeurs et les documentalistes de tous les CDI de France étaient les premiers à nous dire de se méfier de “ce que raconte Internet”, de ne pas croire tout ce qu’on lisait sur Wikipédia, de ne pas copier-coller le moindre contenu du Web pour nos exposés. Sauf qu’à l’époque, ces figures d’autorité n’étaient pas plus formées que nous à l’information sur le Web : ils ont appris en même temps.
Aujourd’hui, à l’heure de la recrudescence des fake news et sans parler de l’avènement des contenus générés via l’intelligence artificielle, la vérification de l’information est d’autant plus d’actualité.
On en a d’ailleurs déjà vu des exemples. En 2018, Squeezie avait été épinglé pour avoir partagé, en vidéo, une théorie du complot sur les pyramides d’Égypte. La chaîne Les Revues du monde lui avait d’ailleurs répondu pour corriger le tir, permettant au passage à sa créatrice Charlie Danger d’acquérir un tout nouveau public – et ça c’est chouette. Squeezie avait ensuite supprimé sa vidéo en s’excusant.
Cet été, c’est le vidéaste Seb qui avait été piégé par une fake news sur Wikipédia, il s’en était excusé par la suite… mais sur son TikTok pas sur YouTube, le média d’origine sur lequel l’info (fausse donc) a été divulguée. Et ces exemples ne manquent pas.
@seb petit bonus à ma vidéo « QUE SONT-ILS DEVENUS ? 🇫🇷 »
♬ son original - seb
Une partie de l’audience des créateurs de contenu peut prendre pour argent comptant ce que lui dit un youtubeur et c’est là que leur responsabilité est en jeu. Cité notamment par l’ADN, le streamer Cass Andre pointe du doigt l’image que les communautés se font, à tort, de leur youtubeur préféré. Le mythe du “self-made”, celui du créateur seul face à sa webcam est encore tenace.
Si c’est bien le cas de TheGreatReview qui fait tout son travail seul (et qui évoque d’ailleurs l’importante charge de travail que représente la recherche en amont d’une vidéo), on oublierait que les plus gros youtubeurs ont des équipes autour d’eux, des coauteurs. Parfois, ce sont même des journalistes qui travaillent avec les créateurs de contenu, c’est notamment le cas de Seb qui cite désormais leur travail en description.
Sourcer c’est bien, bien sourcer c’est mieux (et les bons exemples existent déjà)
Le “drama” autour de TheGreatReview aura donné une certaine impulsion de sourcing dans le milieu. Les toutes dernières vidéos storytelling sorties il y a quelques jours sur YouTube se voient désormais étoffées de sources dans leurs descriptions alors que les vidéos précédentes ne l’étaient quasiment pas.
Squeezie avait sourcé sa dernière vidéo “Histoires” qui parlait du dictateur turkmène Niazov. Toutefois, un rapide tour sur WayBack Machine (Internet Archive) montre aussi que l’équipe du premier youtubeur de France n’a attendu que ces derniers jours pour rajouter les sources des nombreuses autres vidéos précédentes de la catégorie “Histoires” :
Chargement du twitt...
Mieux vaut tard que jamais, c’est vrai. Mais il reste encore un autre travail pour légitimer le travail de ces storytellers : bien mettre en avant le travail en amont. C’est évidemment extrêmement compliqué et les malheureux qui ont dû un jour composer avec un travail de type mémoire ou thèse savent que la mise en page d’une bibliographie académique est tout au mieux fastidieuse et au pire complètement inadaptée à la lecture “profane”.
Car mettre des liens Wikipédia (même en ajoutant les références de ladite page Wikipédia), ce n’est pas suffisant. Sourcer, ce n’est pas mettre pêle-mêle des liens hypertextes en enfilade comme pour se débarrasser d’une corvée. Cela ne donne envie à personne d’aller voir tout ce qu’il retourne d’un sujet abordé, surtout si celui-ci est survolé en seulement 20 minutes de vidéo YouTube.
Seb a récemment reçu des critiques comme quoi ses vidéos storytelling consistaient en de simples “exposés d’anglais”, ce n’est pas le cas et quand bien même ce le serait : ce n’est pas grave. Ouvrir son public à un sujet, même en surface, est bénéfique mais c’est encore mieux quand on donne envie à son audience, même une infime partie, d’aller plus loin.
Dans sa dernière vidéo (à droite), Seb et son équipe ont mieux mis en valeur ses sources qu’auparavant (à gauche, vidéo sur “Baby Shark”)
C’est là que les youtubeurs ont leur carte à jouer : à mieux sourcer et à leur façon, tout le monde y gagne. Les bons exemples existent déjà et on les trouve d’ailleurs souvent chez des vidéastes qui ont été en lien (ou le sont encore) avec le travail académique : Nota Bene ou encore Manon Bril sont des vulgarisateurs qui sourcent extrêmement bien leurs vidéos.
Une autre méthode (souvent complémentaire) consiste à créer un hub dédié à toutes les sources consultées dans la fabrication d’une vidéo. Exemple récent : le vidéaste Sylvqin a créé toute une page HTML qui compile toutes les sources que lui et son coauteur ont consultées pour écrire leur (excellente) vidéo documentaire sur l’histoire des studios Valve. Ce n’est pas le seul, on peut aussi citer Charlie Danger qui a recours à ce genre de compilation de sources sur GDocs.
Enfin, la meilleure façon de rendre le crédit à ses sources, de saluer tous les travaux effectués en amont, c’est encore d’en parler directement dans la vidéo, soit là où elle sera le plus visible. Les gens ne vont, en effet, pas toujours voir les descriptions et se contentent de la vidéo seule.
À l’heure où TikTok s’appuie justement sur la copie avec le phénomène de tendances, les créateurs originaux ont leurs cartes à jouer sur YouTube pour proposer des vidéos complètes et sourcées. Paradoxalement, c’est parce que l’on sait d’où vient une information que le travail de celui qui la transmet n’en est que plus pertinent.