Sorti le 22 mars dernier, Sekiro : Shadows Die Twice a beaucoup fait parler de lui. Parce qu’il est un excellent jeu, mais aussi parce qu’il a la particularité d’être très difficile. Ce n’est pas un hasard : issu des studios FromSoftware et sous la houlette du concepteur Hidetaka Miyazaki, le titre a le même ADN que ses prédécesseurs Demon’s Souls, la trilogie Dark Souls ou encore Bloodborne.
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Ces jeux sont pensés pour être difficiles, pour faire rager les joueur·euse·s. Ils ne tendent pas la main, ils vous l’agrippent avec véhémence pour vous faire plonger avec eux dans un océan d’échecs et de nouveaux essais infructueux, jusqu’à ce que, après moult efforts, vous atteigniez un premier objectif. Hidetaka Miyazaki a déclaré pour Le Monde en 2016 :
“On pense qu’il s’agit de jeux difficiles, mais ce n’est pas exactement ça. Ils s’adressent à ceux qui aiment le défi. Le message de Dark Souls, c’est de l’espoir : ‘N’abandonnez pas.’ Ceux qui y arriveront vont vivre une expérience unique.”
Du fait des morts extrêmement punitives, des conséquences (à long terme) qu’elles infligent, de la rapidité et/ou de la puissance de vos adversaires, vous n’êtes jamais serein dans un jeu FromSoftware. Même le moindre ennemi lambda (un bête soldat) peut vous mettre K.-O. si vous n’êtes pas attentif.
À titre de comparaison : imaginez que vous commenciez le premier niveau d’un classique Super Mario Bros. et que le tout premier ennemi, un bête champignon sur pattes (Goomba), vous fonce dessus à toute allure, vous faisant perdre au passage toutes vos pièces d’or. C’est ça, l’ADN FromSoftware.
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Sekiro : Shadows Die Twice a créé la surprise chez les non-initiés au studio japonais. Il est vrai que, de l’extérieur, il apparaissait comme un classique jeu d’action-aventure avec une histoire narrative plutôt linéaire (contrairement à la saga Souls par exemple).
De plus, du fait de sa campagne marketing fortement travaillée et, disons-le, assez “mainstream” (merci Activision, nouveau venu en tant qu’éditeur), rien n’indiquait qu’il s’agirait d’un jeu dont la difficulté serait bloquée à un palier minimum. On se demande alors : Sekiro doit-il avoir un mode facile et, de manière générale, la difficulté de certains jeux les rend-elle moins accessibles ?
Quand la difficulté était une facilité pour les créateurs
L’option de la difficulté n’a pas toujours été choisie par les éditeurs/développeurs pour proposer un véritable défi aux joueurs. À l’époque des bornes d’arcade, c’était un argument purement financier pour remettre des sous dans la machine. De même, jusqu’à la fin des années 1990, les capacités de stockage des cartouches de jeu n’étaient pas toujours optimales pour accueillir des aventures suffisamment longues, d’où le choix d’accroître la difficulté pour faire durer un peu le plaisir (ou pas).
Malheureusement, les abus ont été nombreux. Il n’y a qu’à observer les nombreux jeux du feu studio français Infogrames, spécialiste des adaptations de Disney ou de BD (Fantasia, Astérix, etc.) qui pouvaient atteindre des sommets de difficulté absurde – Joueur du grenier peut en témoigner.
<em>Fantasia</em> est tout aussi mignon qu’il est difficile (et sadique). (© Infogrames)
Avec l’arrivée de la sixième génération de consoles (PS2, Xbox, GameCube…) et l’augmentation de la consommation de jeux vidéo, on a commencé à voir apparaître un nouveau public, plus occasionnel, moins expert mais tout aussi enthousiaste. C’est en plein dans les années 2000 que les jeux commenceront à proposer des titres avec très peu de game over, beaucoup de checkpoints ou des mécaniques simplifiées pour se soigner par exemple (coucou Call of Duty).
Du côté des “hard-core gamers” habitués, on craint toujours une trop grande simplification des jeux, et surtout la disparition du facteur “risque” qui donne tout le piment aux aventures vidéoludiques.
La difficulté investit bien plus les joueurs…
You cheated not only the game, but yourself.
— Fetusberry 「Ass Bastard」 Crunch (@Fetusberry) 6 avril 2019
You didn't grow.
You didn't improve.
You took a shortcut and gained nothing.
You experienced a hollow victory.
Nothing was risked and nothing was gained.
It's sad that you don't know the difference. https://t.co/upkhLSNQNO
“Vous trompez non seulement le jeu, mais également vous-même. Vous n’avez pas grandi. Vous ne vous êtes pas amélioré. Vous avez pris un raccourci et n’avez rien gagné. Vous avez remporté une victoire vide. Zéro risque, rien n’a été obtenu. C’est triste de voir que vous ne savez pas faire la différence.”
Le tweet cité ci-dessus répondait à l’article de PCGamer “J’ai battu le boss final de Sekiro en trichant, et ça me va très bien”. Comme tous les titres FromSoftware, Sekiro ne propose jamais d’abaisser la difficulté, à moins d’utiliser un mode de triche complémentaire qui permet de rendre le jeu plus lent (et donc plus facile). Pour une partie des joueurs, des jeux comme Sekiro, Dark Souls ou encore Cuphead ou Super Meat Boy sont des jeux où il faut échouer pour y prendre plaisir.
Il est vrai que la triche ou une trop grande facilité rajoute un filet de sécurité qui peut fortement nuire à certaines expériences, et que même si le choix de la difficulté (lorsque proposé) revient souvent au joueur, il y a la tentation de ne pas s’embêter et de faire le jeu le plus facilement possible.
Par ailleurs la difficulté poussée à son paroxysme a offert des choses incroyables comme les speedruns, qui imposent leur propre difficulté (et sur un jeu déjà difficile, c’est encore plus impressionnant). Ainsi, il devient presque plus jouissif de regarder un world record de Sekiro en “any %” (atteindre les crédits de fin par tous les moyens) que d’y passer personnellement une quinzaine d’heures à en chier.
…mais elle ne fait pas l’identité d’un jeu
Les antis modes de difficulté brandissent ce propos de Cory Balrog, l'homme derrière God Of War : https://t.co/V82YrmfnF6 …. C'est étrange, car son jeu propose justement 4 modes :
— Lâm HUA (@LamHua) 8 avril 2019
- Give Me A Story
- Give Me A Balanced Experience
- Give Me A Challenge
- Give Me God of War
Pourtant, si la difficulté rend des expériences vidéoludiques bien plus intéressantes, elle empêche aussi beaucoup de joueur·euse·s plus occasionnel·le·s (les “casus”) de s’y intéresser. En effet, si vous n’êtes pas de ces gamers hard-core, vous préférez sûrement que les jeux vous rappellent progressivement les règles, vous accompagnent et vous indiquent de manière plus évidente la marche à suivre. Alors que pour certains cela s’apparenterait à dénaturer certains jeux, il est clair que la difficulté ou même la complexité (par exemple un jeu de gestion sans tutoriel) d’un titre peut fermer ses portes à de nombreux “casus”.
Il y a les chez les développeurs une certaine responsabilité pour contenter tout le monde. Ce n’est pas pour rien que l’accroissement de la consommation de jeux vidéo s’est accompagné d’une arrivée massive de tutoriels dans les jeux. De plus, de nombreux titres proposent désormais des missions secondaires qui peuvent aider plus tard dans l’aventure, laissant les joueurs avides de sensations fortes foncer dans le tas. C’est la liberté d’action qui permet aussi de créer la difficulté.
Enfin, Nintendo, bien conscient de son public varié et familial, ajoute depuis quelques années de nombreuses fonctionnalités à ses classiques (Mario Bros., Mario Kart) qui facilitent grandement le gameplay pour les plus jeunes, les moins habitués, etc. (anti-chute des karts, objets d’invincibilité pour ne citer qu’eux).
Placer des curseurs de difficulté ne dénature pas un jeu, il ne s’agirait presque parfois que d’une question de lexique. De nombreux jeux ont délaissé les traditionnels “facile/normal/difficile” pour ne pas nécessairement définir un jugement de valeur à chaque degré de difficulté.
Désormais, un jeu ne se juge pas à la difficulté choisie. Il reste le même jeu avec ses expériences différentes selon les joueurs, que vous soyez en hard-core, en très facile, que vous trichiez ou non. Vous choisissez vos actions, et c’est bien là le propre du jeu vidéo.
<em>Diablo III.</em> (© Blizzard-Activision)