Dimanche, 16 h 37. Vous aviez décidé de faire un “petit” tour chez un célèbre fournisseur de meubles suédois avec votre moitié. Trois crises de nerfs et autant d’allers-retours à travers le magasin plus tard, vous avez perdu patience. Alors qu’un bébé braille dans vos oreilles dans la file de derrière, vous contemplez vos sacs jaunes remplis de babioles inutiles. Et dire que vous étiez venus pour un tabouret… Ikea est un lieu redoutable où beaucoup se sont perdus. Il est devenu si emblématique qu’un jeu lui est même dédié : Chair Simulator, disponible gratuitement sur Steam.
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Avec sa typo conforme à celle de Farming Simulator, on se croirait face au petit dernier de la firme GIANTS Software. Toutefois, ne nous méprenons pas : il s’agit ni plus ni moins du dernier coup fomenté par MSCHF (mischief, “espièglerie” en français), les rois du trolling. Leur objectif est simple : tacler la célèbre enseigne suédoise aux couleurs bleu et jaune.
S’asseoir pour la victoire
Il faut commencer par choisir quel personnage incarner parmi le panel proposé. C’est gratiné : entre 24kGoldn, l’aspirant chanteur rappeur à l’ego surdimensionné, et FaZe Jarvis, le “créateur de contenus” banni de Fortnite, le choix est difficile. On opte finalement pour Neeko, aka Nicole Sanchez, une streameuse qui ne fait qu’asséner des : “OK, boomer.” Ça promet.
Nicole atterrit alors dans un salon vide tout tristounet. Côté déco, ce n’est vraiment pas la folie : une pauvre plante verte penche tristement dans un coin et une peau de zèbre de mauvais goût orne les murs grisâtres. Seul signe de vie, un petit poste de télévision et, en face, une chaise pliante. Nicole ne peut pas faire grand-chose avec la chaise, à part se déplacer, la transporter ou s’asseoir dessus. Surprise : une fois installée en face de la télé, elle se met à gagner des points.
© MSCHF
En quelques minutes, on comprend où Chair Simulator veut en venir. Tout au long du jeu, il faudra s’asseoir. Pour méditer ? Pour réfléchir au sens de la vie ? Pour prendre conscience du flot incessant d’informations qui nous envahissent au quotidien ?
Non, rien de tout cela. Le but, c’est juste de s’asseoir pour gagner des points. Pour acheter d’autres chaises plus performantes. Pour gagner des points encore plus rapidement. Pour acheter encore plus de chaises – et ainsi de suite. Attention, contrairement à ce que l’on pourrait penser, rester assis n’est pas de tout repos. Si vous laissez votre personnage installé trop longtemps, le “pain-in-the-ass-o-meter” augmente dangereusement… jusqu’à causer sa mort. Oui, c’est radical et complètement absurde. Vous avez compris le principe.
© MSCHF
Tiens, ce magasin de meubles m’est familier…
Mais où donc aller dépenser tous ces points gagnés à la sueur de son front, en étant resté assis plusieurs minutes à fixer le vide sur une chaise inconfortable ? On vous le donne en mille : chez Ikea. Le nom de l’enseigne a été transformé en “MSCHF”, mais on reconnaîtrait ces couleurs (jaune et bleu) entre mille.
© MSCHF
Vous quittez donc joyeusement votre logis, prêt à le meubler avec moult merveilles inutiles achetées au magasin. C’est là que le cauchemar commence : vous vous trouvez face à des rangées et des rangées de chaises, de toutes les formes, tous les designs et tous les prix. L’angoisse monte vite face au dédale labyrinthique de meubles sagement alignés. Vous passez de pièce en pièce, tournez à droite, à gauche et, malgré le plan – alambiqué – de l’entrée, vous voilà déjà perdu.
© MSCHF
Tout dans le jeu est “ikéa-isé”. Ça vous donnerait envie de fuir si vous n’aviez pas l’inexplicable envie de venir à bout de cette histoire pour en découvrir le dénouement. Sur le site, vous avez le bonheur de constater que votre curseur s’est transformé en petit crayon à papier, ce même crayon que vous avez pris l’habitude de récupérer et de garder au fond de vos poches. Les commandes aussi sont présentées de la même façon que les notices de montage de meuble, avec ce même petit bonhomme au sourire aussi figé que flippant.
© MSCHF
L’absurde pour l’absurde
En taclant Ikea, MSCHF pointe surtout du doigt l’absurdité de la surconsommation, le bête réflexe “acheter pour acheter” quasi compulsif chez certains. Achat après achat, vous faites l’acquisition du célèbre fauteuil “Le Corbusier”, d’autres chaises hyperdesign et ultra-inconfortables – comme une selle de vélo juchée sur une tige, signée Castiglioni, pour ceux que ça intéresse –, de poufs, de transats, du trône de Game of Thrones et même d’un siège de toilettes – 1 250 points, pas donné.
© MSCHF
Après avoir acquis toutes les chaises, si nombreuses que vous ne savez plus quoi faire pour toutes les caser dans votre salon étroit, vous tombez sur le message de fin. Il vous congratule : bravo, vous êtes venu, vous vous êtes assis et vous avez vaincu. Le veni, vidi, vici moderne.
À force d’être resté assis, vous avez changé. En passant autant de temps dans des sièges de toute forme, vous avez perdu tout intérêt pour votre enveloppe corporelle… À quoi bon être un humain, quand on peut être une chaise ? “Maintenant, vous devenez une chaise”, tranche le jeu. Vous avez tant consommé que vous êtes maintenant devenu le produit, prêt à être consommé avec autant d’excès par d’autres. “Ceci est votre but. Ce n’est pas une simulation. Soyez. Chaise”, pouvez-vous lire.
© MSCHF
Une fin dont l’absurdité est fidèle à tout le reste de Chair Simulator. C’est finalement pour ça qu’on l’aime bien, ce jeu : en se moquant d’Ikea et de ceux qui y passent (beaucoup) trop de temps, il a amusé pas mal de monde. Il est d’ailleurs très bien noté sur Steam et on trouve plusieurs commentaires dans la même veine que celui-là :
“Je sors de ce chef-d’œuvre, j’en ai les larmes aux yeux, ce jeu a changé ma vision du monde, les graphismes sont époustouflants. Les chaises que vous pourrez acheter sont vraiment spéciales, j’ai ressenti une énergie qui a décuplé des sens que je ne connaissais pas en moi, merci aux développeurs pour le temps qu’a dû leur prendre [la fabrication de] ce jeu.”
Tant d’émotions, il y a de quoi tomber de sa chaise.
Chair Simulator est disponible gratuitement sur Steam depuis le 14 mai 2021.
Si, pour vous aussi, Ikea est un véritable cauchemar, vous pouvez nous écrire à : hellokonbinitechno@konbini.com.