En 2018, un tableau nommé La Baronne de Belamy, créé grâce à une intelligence artificielle par le collectif Obvious, se vendait 432 500 dollars chez Christie’s. Un événement inédit sur le marché de l’art qui a intrigué quelques spécialistes, notamment Harsha Gangadharbatla, un professeur agrégé en publicité et conception des médias. Il s’est demandé ce que ce micro-événement pouvait nous apprendre sur la façon dont le public percevait l’art à l’ère du numérique et des intelligences artificielles.
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Pour ce faire, Gangadharbatla a mis en place une enquête en ligne, qui demandait aux gens de faire la distinction entre les œuvres d’art générées à l’aide d’une intelligence artificielle et celles créées par l’humain. Il y présentait des images artistiques, aux touches impressionnistes, réalisées par les mains de deux artistes, Tom Bailey et Steve Johnson, aux côtés d’œuvres d’art créées via des algorithmes par un jeune artiste.
211 observateur·rice·s ont participé à son défi et l’enquête a prouvé qu’une majorité n’avait pas su distinguer l’une des cinq œuvres présentées comme étant issue d’une intelligence artificielle. 75 % à 85 % des répondant·e·s se sont également trompé·e·s sur les quatre autres œuvres. Lorsque ces dernier·ère·s attribuaient correctement une œuvre d’art à l’IA, il s’agissait toujours d’une œuvre abstraite.
Un débat philosophique
Pour Harsha Gangadharbatla, le résultat de cette étude est assez perturbant et inquiétant. En effet, il vient remettre en cause plus d’une pensée philosophique sur l’art. Désormais, l’intelligence artificielle devient un outil de création et peut être confondue avec un·e artiste, ce qui pose question sur l’acte créateur et sur l’œuvre d’art en tant que telle.
Lorsqu’un être humain crée de ses propres mains, il fait usage de sa technique et de sa créativité, mais lorsque c’est une machine, peut-on vraiment parler d’œuvre d’art ? On a tendance à penser que l’œuvre d’art est libérée de toutes contraintes, comme si elle était une fin en soi et qu’elle possédait une autonomie propre. Néanmoins, c’est souvent son auteur·rice et le contexte culturel qui font qu’elle est perçue comme “artistique”.
Une œuvre d’art est souvent le fruit d’un travail de longue haleine. L’artiste y appose sa marque, sa signature et, comme l’explique Gangadharbatla au média Artnet, c’est presque toute son “âme qu’il déverse sur l’œuvre”. “J’ai toujours pensé qu’il y avait une âme que l’humain déversait dans son œuvre. Quand une machine crée l’œuvre, comment les gens l’interprètent-ils ? Sont-ils toujours émus ? Quel rôle la connaissance de l’auteur de l’œuvre d’art joue-t-elle dans la manière dont elle est perçue ?”
À l’ère numérique, l’intelligence artificielle gagne du terrain au sein du marché de l’art. Le chercheur redoute que les ordinateurs dépassent toujours plus les frontières de l’art, emboîtant le pas à la création humaine, et qu’à terme, il devienne impossible de différencier l’œuvre d’un ordinateur d’une œuvre réalisée par une personne réelle. “Pour l’instant, vous savez exactement comment l’intelligence a fait une œuvre d’art, mais ce ne sera peut-être pas le cas à l’avenir…”, conclut-il.