Témoignage : être une femme lesbienne, ce sentiment de différence qui colle à la peau

Témoignage : être une femme lesbienne, ce sentiment de différence qui colle à la peau

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Pour la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie ce 17 mai, cette lectrice a voulu nous parler de son homosexualité. Elle raconte la difficulté de vivre dans une société hétéronormée, et sa peur de tenir la main de sa copine dans la rue.

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J’avais 13 ans quand j’ai compris que j’aimais les filles. S’ensuivirent de longues années de déni car j’avais l’impression d’être un monstre : personne n’était comme moi dans mon entourage, et je ne voyais pas de gens comme moi à la télé, dans les films, dans les livres… J’avais l’impression d’être très seule et de ne pouvoir en parler à personne. Je l’ai donc caché pendant de très longues années. Le bon côté, c’est qu’on ne m’embêtait pas là-dessus au collège puis au lycée. Mais du coup, je ne suis sortie avec aucun garçon, car ils ne m’attiraient pas. J’ai tenté de me forcer, mais il m’était impossible de passer à l’acte. Cette image de fille seule, sans copain, a vraiment porté un coup à ma confiance en moi. À cela s’ajoutait le fait que je cachais qui j’étais vraiment. Ce furent des années très difficiles. J’ai finalement suivi une thérapie de plusieurs mois, à l’issue desquels je suis enfin sortie du placard, à 17 ans. Mes amis ont très bien réagi, et mes parents aussi. J’ai alors pu vivre ma vie sentimentale, et j’ai rencontré ma copine, avec qui je suis très bien.

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De l’homophobie ordinaire et blessante

Je pense donc être plutôt chanceuse en tant que lesbienne. J’ai des parents qui acceptent mon homosexualité, une copine merveilleuse, des amis tolérants… Mais tout n’est pas rose, même en étant bien acceptée, et ce même avec les personnes qui m’acceptent. La majorité de mes amis est hétérosexuelle, et ils ont beau m’aider, leur façon de penser et de voir les choses est si hétéronormée qu’ils sont maladroits sans s’en rendre compte. Quand ils me disent ces maladresses, je me vexe, je deviens agressive, et pourtant je sais qu’ils ne le font pas exprès. Ils sont juste conditionnés par la société hétéronormée.

Ça passe par des petites remarques comme “non, mais on ne peut pas comparer ton couple au mien” ou “vous avez déjà eu le mariage, pourquoi vous voulez en plus la GPA ?” ou encore “si le mariage gay n’avait pas été autorisé, tu es sûre que tu aurais voulu te marier ?” ou même “les couples entre femmes, c’est plus facile, vous vous ressemblez, il n’y a pas de challenge”.

Je pense que la situation qui m’exaspère le plus, c’est lorsque je suis en soirée avec des amies et que des hommes nous abordent, que l’un me parle et que mes copines lui répliquent en deux secondes : “Laisse tomber mec, elle est lesbienne.” Qui vous a donné la permission de m’outer comme cela ? Est-ce que je peux parler à un homme sans que ma sexualité n’entre en jeu au bout de deux secondes ? Je pense être autre chose que mon orientation sexuelle. Peut-on juste considérer que ce sont deux êtres humains qui se rencontrent et non un hétéro et une lesbienne ? J’aimerais, en général, qu’ils me voient avant tout comme une personne comme eux, sans me confronter régulièrement à leurs clichés sur ma sexualité, et à la façon différente dont ils me considèrent et me présentent. Parfois, mon homosexualité est comme un obstacle qu’ils dressent entre eux et moi, un rappel que je reste en quelque sorte “différente”, que ma relation amoureuse ne serait donc pas comme la leur, et que je n’ai pas complètement droit aux mêmes interactions humaines.

Avoir peur de se tenir la main dans la rue

Ce sentiment de différence, il reste présent au quotidien. Beaucoup disent que vu notre condition en France en tant que gays et lesbiennes, nous n’avons pas à nous plaindre. Certes, nous sommes bien lotis par rapport à d’autres pays, mais le combat n’est clairement pas fini pour autant. Il y a tous les regards dans la rue, les gens qui nous fixent lorsque nous nous tenons la main, les parents qui évitent les questions de leurs enfants comme “maman, pourquoi les deux filles se font des bisous ?”, les inconnus rencontrés en soirée qui nous jettent “en fait, t’es devenue lesbienne car aucun mec ne s’intéressait à toi ?”, les amis des parents qui répètent que “c’est sans doute juste une phase”. Tout cela est fatigant, et j’ai l’impression de devoir sans cesse justifier ma sexualité. Et ce d’autant plus en étant une lesbienne “féminine” : je porte des robes, des talons, mes cheveux sont longs, je suis très coquette… Bref, je suis une lesbienne qui ressemble en apparence à une hétéro selon la définition de la société qui voudrait que les homosexuelles soient “masculines”. Les gens semblent encore plus surpris, comme si j’étais encore plus différente.

Ever heard this one before?

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Traduction : en haut : “Tu es trop jolie pour aimer les filles. Moi : …”
En bas : “Vous l’avez déjà entendue, celle-là ?”

En dehors de mon entourage, cela signifie aussi que je ne me sens pas toujours en sécurité. Selon les quartiers de la ville où nous sommes, selon les groupes de personnes que nous croisons, ma copine et moi nous lâchons la main de peur qu’on vienne nous emmerder. En effet, les hommes ne se gênent pas pour nous lancer des allusions sexuelles dégueulasses. Nous savons que ce ne sont généralement que des paroles, mais ça fait quand même peur. Et je pense que c’est encore pire pour les hommes homosexuels, qu’ils sont confrontés à des réactions encore plus violentes et agressives. Si les lesbiennes reçoivent beaucoup de paroles blessantes dans la rue ou dans les bars, d’allusions sexuelles, de regards et réflexions, je crois que les gays sont confrontés à la peur de se faire tabasser. Les hommes hétéros peuvent être beaucoup plus virulents avec eux.

Nous devrions pouvoir nous montrer

Puisque j’évoque les hommes gays, j’ai remarqué quelque chose au sujet de mes amis homos. Beaucoup disent d’eux : “Pourquoi faut-il qu’il montre AUTANT qu’il est gay ? On a compris, pas besoin d’en faire des caisses.” Eh bien, si, il peut et il a le droit d’en faire des caisses. Vous montrez bien aux yeux de tout le monde votre hétérosexualité dans des statuts Facebook, dans les films, dans les séries télé, vous parlez tout le temps de mecs (ou de filles pour les hommes), alors pourquoi pas eux ? J’aimerais que l’on puisse choisir de mettre en avant ou non notre orientation sexuelle, avec les mêmes droits que les hétéros.
Et puis montrer son orientation sexuelle, c’est aussi la rendre visible et donc aider à la faire accepter. Quelque chose qui reste nécessaire, notamment sur le plan professionnel. Pour moi, il y a un vrai risque à se dire lesbienne au travail. Je cache donc mon homosexualité, de peur que cela ne me porte préjudice, et c’est un enfer. Mes collègues savent que je suis en couple, mais lorsqu’ils me posent des questions, je m’arrange pour ne pas utiliser de pronom. Ça donne des phrases à rallonge et des moments gênants… Mais m’exposer à des représailles professionnelles n’est pas un risque que j’ai envie de prendre.

Il faut changer les mentalités sur TOUTES les minorités

Pour conclure, il y a encore tellement de travail au niveau de la mentalité et des préjugés… Je pense que pour le futur gouvernement, sans même parler de PMA, le travail est là : il faut changer les mentalités, en profondeur. Je ne remercierai jamais assez le gouvernement précédent pour les droits qu’il nous a accordés, nous rapprochant toujours plus de l’égalité avec les hétérosexuels. Mais la société doit changer sa façon de percevoir les minorités, TOUTES les minorités. Il faut développer l’empathie et la bienveillance pour que les gens comprennent ce que les minorités vivent et adopte un comportement moins égocentrique, qui ne se base pas uniquement sur qui ils sont eux. Il n’y a que comme ça que l’on finira peut-être enfin par obtenir une vraie égalité, et par se libérer de ce sentiment de différence qui nous colle à la peau au quotidien.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau