Ce mois-ci, le champion de la controverse et des dilemmes moraux est Gary Keery (l’un des jumeaux à l’origine du Cereal Killer Cafe de Londres). Il a écrit un article pour Gay Times Magazine où il se raconte en tant qu’entrepreneur et en tant qu’homosexuel. Mais il y explique aussi pourquoi il est homophobe.
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Gary Keery est le créateur, avec son frère Alan, du bar à céréales Cereal Killer Cafe, lancé à Londres en 2014. Dans une tribune publiée dans Gay Times Magazine, Gary déclare que bien qu’il soit ouvertement gay, il peut avoir des tendances et des pensées homophobes. Et ce, malgré son “petit ami merveilleux dont [il] est amoureux” et avec qui il vit. Le jeune homme explique que l’homophobie qu’il a subie durant son adolescence pourrait avoir “laissé des traces à long terme”.
Il écrit ainsi que, même s’il a fait son coming out à l’âge de 16 ans, il ne supporte pas de voir deux hommes s’embrasser dans la rue ou à l’écran et qu’il préfère une “accolade macho” en public avec son copain. Il considère également que les boîtes gays sont des “marchés à viande” où il s’agit surtout de “voir avec qui on va rentrer”.
Même s’il reconnaît lui-même que le concept de l’homosexuel homophobe est “plutôt perturbant”, il écrit qu’il “ne [se] considère pas comme un mec gay” :
“Je suis juste un mec qui s’avère être gay.”
Ses remarques (en particulier celle-ci) ont divisé l’avis des lecteurs et suscité des controverses.
D’aucuns ont traité Keery d”idiot”, de mec “plus bas que terre”, d'”escroc, égoïste salaud de capitaliste” qui devrait se “limiter à verser des céréales dans un bol”, mais son point de vue a touché certaines personnes, qui ressentent la même chose. Un lecteur du Gay Times a trouvé “rafraîchissant” de lire une “critique de l’homophobie avec un point de vue différent”.
Alors peut-on être homosexuel et homophobe ?
Homophobie intériorisée
Il est probable que les pensées de Gary Keery ne soient pas complètement homophobes. Il est possible qu’il soit simplement allergique aux démonstrations publiques d’affection et à l’acceptation de soi. Cependant, s’il ne ressent pas la même gêne devant un couple hétéro ou envers l’hétérosexualité en général, c’est plutôt homophobe.
C’est aussi triste et frappant que Gary ne se sentent pas complètement libre avec sa sexualité, mais est-ce vraiment sa faute ? De la même manière, nombre de femmes ont intériorisé des points de vue misogynes (le slut-shaming est de plus en plus répandu dans les esprits féminins autant que masculins) en ayant été élevées dans une société patriarcale, il ne semble donc pas improbable que les hommes gays puissent avoir des pensées homophobes en ayant grandi dans un monde qui l’est tant.
L’homophobie intériorisée n’est pas une idée nouvelle, ni peu commune. Selon le site pour les droits LGBT Revel & Riot, la vision négative et intolérante de la société, les stigmatisations peuvent donner à certaines personnes LGBT l’envie de rester dans le placard de se “fondre dans la masse” et/ou de “surpasser” leur sexualité. Cette façon de penser peut avoir des conséquences graves comme le “stress de la minorité” ou des tentatives de suicide.
Aussi néfaste et préjudiciable qu’elle soit, on comprend pourquoi l’homophobie intériorisée est aussi répandue. Cela tient au simple fait de vivre dans une société hétérosexuelle définie comme “la norme” vers laquelle tendre et à laquelle adhérer : la pub est remplie de familles hétéros, les couples dans les films sont de manière alarmante à grande majorité hétéros, les clips s’emploient à “hétérosexualiser” les histoires d’amour et la mode donne la priorité à l’hétérosexualité.
Les progrès sont lents. La première campagne de pub à mettre en scène un couple gay pour Calvin Klein a été applaudie comme une avancée, et pourtant le communiqué de presse l’a qualifiée “d’expérience sociologique” tandis que le directeur marketing de la marque a employé le terme de “provocation”. Les attaques contre les hommes et les femmes gays finissent par donner lieu à des crimes liés à l’orientation sexuelle de la victime.
Gary conclut son article en disant que tant qu’une égalité parfaite n’est pas atteinte, il “préfère se la jouer facile” en attendant que “le jeu de la vie accepte que toutes les sexualités existent et qu’elle doivent être égales”. En gros, il dit que tant que l’homophobie n’a pas disparu il préfère être un homosexuel homophobe .
Mais est-il acceptable de cautionner l’homophobie sous toutes ses formes pour “se la jouer facile” ?
La bataille contre la honte
D’une certaine manière, c’est super que Gary ait pu faire ce choix. Mais ce ne serait pas génial si toutes les personnes LGBT décidaient de dissimuler leur sexualité en public et d’encourager les comportements hétérosexuels et cisgenres. Et pourtant, l’homophobie intériorisée est un sujet dont l’on ne discute pas suffisamment et qui mériterait pourtant qu’on en parle. Particulièrement dans la presse LGBT.
Poser des questions honnêtes à propos de sujets difficiles est impératif dans une société où le politiquement correct semble boosté à la coke. Alors que le moindre questionnement sur l’identité donne lieu à des attaques sur le Web, au nom de la justice sociale, nous devrions nous réjouir que l’on puisse exprimer ses opinions, aussi peu conventionnelles soient-elles.
Un article en réaction à cette tribune a également été publié dans Gay Times. Son auteur décrit le choc et les angoisses que le témoignage de Gary a déclenchés dans la communauté LGBT. Cependant, beaucoup ont conscience que l’homophobie intériorisée existe, et qu’elle fait des dégâts.
Dans un article intitulé “Comment répondre à un ‘homosexuel homophobe'”, le journaliste Ross Semple estime que si les jugements de Gary sont “malavisés et inacceptables“, ils sont en réalité “un simple exemple d’un problème plus vaste de honte toxique chez les hommes gays“.
Lire le point de vue de Gary sur sa propre sexualité ne fait que mettre en évidence l’urgence d’éradiquer l’homophobie, pour que nous puissions vivre dans un monde d’égalité et de compassion. La misogynie serait encore aussi répandue que dans le passé s’il n’y avait pas eu l’éclosion du féminisme, et “le jeu de la vie” dont parle Gary n’acceptera pas miraculeusement toutes les sexualités. C’est un combat que nous devrions tous mener, et Gary Keery aussi.
Pour plus d’informations et pour trouver du soutien si vous en avez besoin, vous pouvez aller sur le site de Revel & Riot’s consulter des documents traitant du sujet de l’homophobie intériorisée.