Wagner et ses dangers
Selon le compositeur, l’exemple le plus clair de la distorsion du temps opérée par la musique est celui-ci : en 2004, le Royal Automobile Club Foundation for Motoring épinglait la Chevauchée des Valkyries de Richard Wagner comme étant le morceau le plus dangereux à écouter tout en conduisant – Apocalypse Now en atteste. Son tempo “frénétique” défie l’appréciation de la vitesse du pilote et l’amène à accélérer, sans même qu’il s’en rende compte.
Tempo, reconnaissance des morceaux… La perception du temps en musique est aussi soumise à des contraintes technologiques. Lorsque Thomas Edison a inventé ses premiers cylindres pour écouter des enregistrements chez soi, ceux-ci ne pouvaient contenir que quatre minutes de musique. Ce qui amène Jonathan Berger à commenter :
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Cette contrainte technologique a établi un standard qui dicte la durée des chansons de musique populaire longtemps après qu’elle soit surpassée. En fait, cette durée moyenne persiste dans la musique populaire comme un modus operandi répandu aujourd’hui. À son tour, ce standard a influencé la façon dont la musique de plus longue durée est perçue. L’effet implicite sur l’industrie de la musique classique a été désastreux.
Un métronome ? Pour quoi faire ?
Mais les compositeurs eux-mêmes ne sont pas les derniers lorsqu’il s’agit de rendre plus floue la perception temporelle. Il rappelle qu’avant que l’inventeur allemand Johann Maelzel n’invente le métronome en 1815, on indiquait aux musiciens le tempo d’un morceau avec une description en en-tête de la partition. A Jonathan Berger alors de moquer les indications de tempo écrites par les auteurs de morceaux classiques en énumérant les “Adagietto” (plutôt lent), “Lentissimo” (plus lent que lent) ou l’encore plus ambigu “Allegro ma non troppo” (rapide, mais pas trop rapide). Des dénominations que n’aurait pas refuser Terence Fletcher, le chef d’orchestre tyrannique du film Whiplash.
Il faut également compter sur des termes qui mélangent vitesse et émotion, comme “Allegro appassionato”, “Bravura”, ou encore “Agitato”. Il témoigne de la complexité de ces termes de par ses propres goûts :
Mon marqueur temporel favori est le terme “Tempo rubato”, littéralement “temps dérobé”, dans lequel la durée est ajoutée à un événement au détriment d’un autre.
Il n’hésite d’ailleurs pas à faire remarquer que les compositeurs ont eu bien du mal à abandonner ces drôles de descriptions adjectivales, même longtemps après l’invention du métronome.
Jonathan Berger termine sa démonstration avec une pièce de Schubert, son fameux quintette en ut majeur, composé deux mois avant sa mort en 1828. Selon l’auteur, c’est l’exemple le plus brillant de distorsion subjective du temps opérée grâce à la musique :
Après la mélodie d’ouverture du premier mouvement Allegro ma non troppo, le second mouvement Adagio semble se déplacer lentement, beaucoup plus qu’il ne l’est vraiment, puis s’empresse avant que l’auditeur ne revienne à une perception de longueur et de lenteur.
Le Scherzo qui suit opère un modèle inverse, créant la perception de brièveté et de vitesse, suivie d’une section qu’on sent de plus en plus lente, avant de revenir à une perception courte et rapide. Le conflit de perception du temps objectif et subjectif se sent si fort dans ce travail qu’il semble alors organisé structurellement.