En Chine, la cigarette joue un rôle étonnant dans le rituel des mariages. On en offre, on en fume et on fait des jeux stupides où des bouteilles vides font office de pipes géantes. Intrigué, le collectionneur français Thomas Sauvin a publié un petit bouquin, Until Death Do Us Part, sur cette drôle de coutume. On lui a posé quelques questions.
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Les mariages en Chine sont hauts en couleur. D’abord, il y a le rouge, couleur du bonheur et de la Qipao (robe traditionnelle), que porte la mariée − même si la robe blanche et les froufrous occidentaux ont été largement adoptés. Puis, il y a le caractère du double bonheur, considéré comme un talisman à l’énergie bénéfique. On le placarde sur la porte du domicile des mariés et en haut des faire-part.
Après la cérémonie de mariage suit un grand banquet, où l’on mange et l’on boit beaucoup. Mais pas seulement, car sur chaque table, entre les traditionnels bouquets de fleurs et les bouteilles d’alcool de riz, on dispose un tas de paquets de cigarettes, véritable incitation à la tabagie. Thomas Sauvin nous explique un peu plus cette curieuse coutume.
Konbini | Pourquoi avoir publié un livre sur la place de la cigarette dans les mariages chinois ?
Thomas Sauvin | J’ai longtemps été basé à Pékin, où j’ai fini mes études et commencé à travailler dans la photographie. Je collectionnais notamment de la photo contemporaine pour un fonds photographique anglais. En 2009, je suis tombé par hasard sur un mec dont le boulot consistait à récupérer le nitrate d’argent contenu dans les négatifs afin de pouvoir le revendre. Quand j’ai vu ces tonnes de négatifs poisseux, je me suis dit qu’il devait forcément y avoir des choses drôles, et je lui ai proposé de racheter ses ordures à un prix raisonnable. Au début, je ne savais pas vraiment ce que j’allais faire de toutes ces images.
C’est en les parcourant que j’ai identifié une thématique récurrente des cigarettes et des mariages. Je me suis dit que ce serait drôle d’en faire quelque chose. Ces photos de mariage insolites ne sont qu’une petite parcelle de Beijing Silvermine, la collection que j’ai constituée à partir de ces négatifs trouvés. Avec pas moins de 850 000 images, cette collection dresse une véritable saga de la société chinoise dans les années 1990, à l’heure de l’ouverture et des débuts heureux de la société de consommation.
Comment avez-vous sélectionné ces images ?
Au début de mes recherches, je mettais systématiquement de côté les photos de mariage et d’enfants, et elles étaient très nombreuses. Je trouvais ça trop évident. J’étais plutôt à la recherche de choses inattendues, exceptionnelles. J’ai d’abord créé des séries avec des femmes posant devant leur frigidaire ou leur poste de télé, des couples qui portent les mêmes fringues ou des intérieurs “modernes” avec des posters de Marilyn Monroe.
Ce n’est qu’en 2014 que j’ai ressorti ces images de mariage et que je suis tombé sur la photo de cette femme au bang. Je l’ai trouvé surprenante. Je ne m’attendais pas du tout à ça parce que le bang, en France, est plus associé à des dérives adolescentes qu’à une coutume matrimoniale. À partir de ce moment-là, j’ai remarqué qu’il existait clairement une association mariage-cigarettes, et j’y ai été plus attentif.
Quelle est votre expérience des mariages chinois ?
Ceux auxquels j’ai assisté étaient relativement sobres, mais la salle du banquet était toujours, malgré tout, un véritable aquarium de fumée. Tout le monde fume, avant, pendant, après les plats. Chaque toast porté est l’occasion de s’en rallumer une. Cette omniprésence du tabac durant les mariages peut paraître surprenante, et c’est plutôt mal vu en Occident de nos jours, mais je me dis que dans la France du début des années 1990, la clope devait aussi être plus largement associée à la fête et aux bons moments entre amis qu’à une mort certaine.
Dans votre livre, on voit des jeux tout à fait insolites organisés autour de la clope ou des gens dans des postures plutôt spéciales. Savez-vous d’où cela vient ?
Franchement, c’est dur à expliquer. C’est vrai que la coutume dans les mariages chinois veut que l’on offre des cigarettes aux convives. Cela fait partie d’une certaine représentation de l’abondance. Pendant tout le repas, les jeunes mariés doivent faire le tour de chaque table ; la mariée allume une cigarette à chacun des hommes, tandis que le marié boit cul sec un verre d’alcool de riz. Quand ils arrivent à la table des vieux potes, c’est là que ça peut se gâter et qu’il y a bizutage. On oblige alors les mariés à tirer sur des bouteilles de Coca de deux litres remplies de nicotine ou à grimper en haut d’une chaise ou d’une table pour allumer la clope d’un invité.
Et comment vous est venue l’idée de présenter votre livre dans un paquet de cigarettes ?
Étant donné que le contenu était entièrement lié à la clope dans les mariages, j’ai naturellement pensé à utiliser un paquet de cigarettes comme contenant. J’ai vite abandonné l’idée d’en faire desssiner un exprès pour le livre, et j’ai finalement décidé d’utiliser un modèle existant, non seulement parce que le paquet rouge des Double Happiness est magnifique mais aussi parce que c’était très cohérent par rapport à tout le projet Beijing Silvermine, qui est entièrement basé sur le recyclage. Je trouvais ça cool que le contenant du livre puisse aussi faire partie de cette démarche.
Avec quel éditeur avez-vous collaboré ?
Avec l’éditeur chinois Jiazazhi (la référence pour les livres de photos en Chine). Pour réaliser la production, on a acheté des centaines de paquets de clopes que l’on a dû vider. On a fait trois éditions du livre et on a donné environ 100 000 cigarettes à l’imprimeur et ses ouvriers. Moi-même, j’avais arrêté de fumer à cette époque, et je m’y suis remis !
Pour se procurer le livre, direction le site de Jiazazhi. Pour suivre l’Instagram : @beijing_silvermine.
Attention, fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage.