Des courses-poursuites, beaucoup d’ultra-violence et quelques touches de bons sentiments. La recette du Dernier train pour Busan correspond en tout point aux codes traditionnels du film de zombies, depuis les créations pionnières de George Andrew Romero à World War Z, en passant par la déclinaison comique de ce sous-genre horrifique dans Zombieland.
Pour son premier film en live action, le sud-coréen Sang-ho Yeon a fait un usage particulièrement efficace de la (grosse) artillerie propre à ce registre. Tout en offrant à son œuvre, par-delà son caractère divertissant, une dimension politique en multipliant les références aux fantômes passés et présents qui hantent son pays natal.
“Accident voyageur” pas comme les autres
Un courtier en instance de divorce, Seok-woo, prend un train avec sa fille depuis la gare de Séoul direction Busan, pour que celle-ci puisse y retrouver sa mère. Cette “sortie familiale” entre un père accaparé par son téléphone et une enfant délaissée ne s’annonce pas spécialement fun. Manque de pot pour nos protagonistes, elle sera même tragique.
Le train part in extremis alors qu’une vague de zombies déferle sur la capitale sud-coréenne, et l’une des passagères se révèle être contaminée par un mal dont les contours demeurent mystérieux. Transformée en goule grimaçante, elle s’attaque à d’autres voyageurs et transmet ainsi sa “maladie” à des dizaines d’individus qui n’en demandaient certes pas tant.
Afin d’échapper à l’appétit de ces enragés au teint maladif, Seok-woo doit rejoindre Busan, l’une des seules villes à ne pas avoir été envahie. Reste à survivre pendant la durée du trajet. Course, ruse, attaque à la batte de baseball… Tous les moyens sont bons.
Mais c’est qui, l’ennemi ?
Le péril fictif des zombie movies peut souvent être interprété comme la métaphore d’un conflit passé, d’une tension contemporaine ou d’un péril idéologique. Dans Dawn of the Dead de George Andrew Romero par exemple, l’état décérébré des zombies déambulant sans but dans un centre commercial est une critique à peine voilée de la propagation du consumérisme.
Concernant Dernier train pour Busan, l’arrivée de forces hostiles rappelle l’occupation nippone de la Corée, entre 1905 et 1945, mais surtout la guerre civile ayant déchiré la péninsule de 1950 à 1953. Le choix de la ville de Busan comme bastion de l’humanité n’est d’ailleurs pas un fruit du hasard. C’est précisément aux abords de cette ville portuaire que s’est déroulée, au début du conflit, une bataille qui a permis aux troupes de l’ONU d’empêcher un débarquement nord-coréen.
Dans les wagons infestés de Sang-ho Yeon, le monstre est la figure méconnaissable du voisin devenu un ennemi mortel durant le siècle passé. Mais c’est aussi l’illustration des conséquences de la propagande menée en Corée du Nord sur des citoyens “zombifiés”, à force d’avoir le cerveau lavé.
Poing levé contre la censure
Si la figure du “zombie” renvoie à l’adversaire japonais d’antan, ou au rival limitrophe d’aujourd’hui, la réaction des autorités dans Dernier train pour Busan fait référence, quant à elle, aux propos tenus par le gouvernement sud-coréen lors du naufrage du ferry Sewol en 2014.
Après que le ferry a coulé, des représentants de l’État ont nié la catastrophe en assurant que chaque passager était en vie, alors que plusieurs centaines d’entre eux étaient décédés. De la même manière, les interventions publiques dans Dernier train pour Busan laissent entendre que tout est sous contrôle, tandis que le pays est à feu et à sang.
Autre lien entre ce naufrage historique et le film : Busan. La ville accueille chaque année l’un des plus importants festivals de cinéma d’Asie. Lors de l’édition 2014 de cet événement, la mairie avait interdit la diffusion d’un documentaire qui comportait d’importantes images d’archives sur le sinistre, et pointait les manquements du gouvernement pour éviter ce désastre. Face à la résistance opiniâtre de plusieurs personnalités, le festival a finalement pu se dérouler comme prévu.
Seok-woo ne pouvait pas ne pas être au courant de ce bras de fer entre monde de l’art et autorités locales lorsqu’il a écrit le scénario de son film. Dès lors, la lutte de Seok-woo pour survivre en filant à toute berzingue vers Busan, devenue après 2016 un sanctuaire de la liberté d’expression, peut être lue comme un combat contre la censure. Et ce, face à des zombies incarnant une autorité aveuglément répressive.
Malgré un sous-texte spécifiquement coréen, Dernier train pour Busan, présenté en 2016 “hors compétition” au festival de Cannes, a rencontré un succès international retentissant à sa sortie. À tel point que, flairant la bonne affaire, la puissante société américaine New Line Cinema a acquis les droits pour en produire un remake. Le film aura-t-il la même saveur, à la sauce US ? Difficile à dire.
Quoi qu’il en soit, les fans de l’œuvre originale ont pu profiter d’une autre plongée dans son univers postapocalyptique avec Peninsula, la suite directe de Dernier train pour Busan réalisée par Sang-ho Yeon lui-même. Une œuvre aussi survitaminée que la précédente dont le récit dystopique pourrait bien, là encore, faire écho au climat électrique de la péninsule coréenne.