Moitié du duo franco-britannique Postaal, Hervé s’émancipe de son binôme des débuts après un album abouti pour mieux jouir d’une autonomie qu’il convoite tant. Repéré lors de premières parties brillantes d’Eddy de Pretto, le jeune artiste sort son premier EP solo, Mélancolie FC, ce vendredi 17 mai. Un effort sur lequel le chanteur narre son parcours singulier, qui l’a mené du terrain de foot au studio, en passant par de nombreux petits boulots.
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Désormais libre comme l’air, Hervé raconte les rêves brisés de tout une jeunesse délaissée. Véritable autodidacte de la musique, il s’affirme aujourd’hui comme une passerelle entre deux générations. Un artiste hybride et précurseur donc, qui entremêle avec brio la fureur de la musique électronique et un héritage torturé de la chanson française. Rencontre avec un jeune talent brut et prometteur de la scène hexagonale.
Konbini | Qui es-tu ?
Hervé | Je m’appelle Hervé, je suis auteur-compositeur-producteur. Je chante aussi.
D’où viens-tu ?
Je viens de banlieue parisienne, entre Versailles et Trappes. J’ai grandi dans une petite ville qui s’appelle Fontenay-le-Fleury.
Où et quand es-tu né ?
À Saint-Cyr-l’École le 19 février 1991. L’année de la mort de Serge Gainsbourg.
© Loreleï Buser Suero
Quand est-ce que tu as commencé la musique ?
J’ai pris des cours de musique quand j’avais une douzaine d’années. Il y avait une compil’ de piano à la maison, avec genre “les vingt plus grands chefs-d’œuvre du piano classique”. Pourtant ce n’est pas dans la culture familiale. Mais il y avait cette compil’-là, et quand je l’ai écoutée, ça m’a procuré des sensations dans mon corps qui me dépassaient un peu. Donc ma mère a commencé à regarder comment on pouvait choper un piano d’occas. J’ai commencé et j’étais extrêmement nul, j’ai eu un blocage. J’allais à l’école de musique de ma ville, avec un prof bulgare qui jouait à la Game Boy.
Ensuite, quand j’avais 15/16 ans, je me suis retrouvé seul chez oim comme je faisais du foot trois fois par semaine. C’est là que j’ai commencé à boucler. J’ai un pote geek qui m’a cracké un logiciel et je suis tombé dedans direct. Je suis un peu un autodidacte de la musique, issu de la “YouTube Academy” [rires]. J’apprends tout là-dessus. C’étaient les premières vidéos des Cainris en studio, genre The Neptunes, Kanye West, Timbaland.
Le foot a eu une place importante dans ta vie. À quel poste jouais-tu ?
J’étais défenseur. Avant je jouais à droite sur l’aile parce que je courais assez vite, mais dès que tu grimpes en niveau, il fallait vraiment être fort et très précis pour jouer à des postes offensifs. Comme j’étais un mort de faim qui ne lâchait rien et ne supportait pas la défaite, j’avais le numéro 9 adverse avec moi et je lui faisais vivre le pire match de sa vie. J’avais un rôle bien défini, celui de chien de garde. Ça allait bien avec ma personnalité.
Qu’est-ce que tu faisais avant la musique ?
J’ai taffé, hein. Mon pote avait une boîte de multiservice. On faisait de tout : remise en état, ménage, jardinage, bâtiment… Sinon beaucoup de ménage dans des chambres d’hôtel et de ménage tout court en fait, pendant 4 ou 5 ans. Mais ça m’allait bien, parce que j’étais seul et je pouvais penser à la musique. Je commençais tôt le matin, donc je finissais tôt la journée et je pouvais bosser la musique l’après-midi. J’étais complètement autonome et c’était mon but. J’aime bien être indépendant à 100 %.
© Loreleï Buser Suero
Est-ce que tu as eu différents projets auparavant ?
Yes, Postaal. C’était un duo avec un Anglais qui s’appelle Dennis. On a beaucoup tourné en Angleterre et en Europe. On a sorti l’album il y a pile un an. C’était super. On avait ce rêve-là de faire un truc franco-anglais, de mélanger les voix. Moi, ça m’a permis de produire mon premier projet, d’être compositeur et producteur des titres. Je samplais, je faisais l’image, les clips, les montages… Ça me fait bizarre maintenant de devoir déléguer certaines choses. [Rires] C’était une énorme bromance, Postaal !
Quelles sont tes influences musicales ?
J’ai grandi dans un triangle. Il y avait beaucoup de rap français : Salif était très fort, il y avait Sniper, Tandem. Dans ma ville, il y avait un groupe qui s’appelle L’Skadrille. Il y avait également le 113 qui a tout niqué. On a grandi avec ça. À la maison, c’était davantage de la chanson, type Jacques Higelin, Léo Ferré, Alain Bashung. Et de l’autre côté, il y a Versailles. Au lycée, dans l’inconscient, la rumeur était qu’il y avait des mecs qui avaient fait une tournée aux États-Unis. On ne savait pas ce que c’était à ce moment, au tout début de YouTube. On était là : “ça s’appelle comment ?” – “Phoenix”. On trouvait ça chanmé. Puis il y avait Air, et les Daft Punk aussi qui venaient d’ici. Et j’ai plongé là-dedans et j’ai pété un câble. Quand Wolfgang Amadeus Phoenix sort en 2009, je prends une tarte monstrueuse. Je trouve ça fabuleux, grandiose. Et finalement j’écoute tout aujourd’hui, autant des podcasts de rap que tous les nouveaux trucs.
Tu t’es forgé une belle réputation, notamment lors des premières parties d’Eddy de Pretto. Quel rapport entretiens-tu avec la scène ?
C’est le ring. Le moment où tout prend sens. Il y a un truc physique, frontal et brut. Comme le sport, je suis avec ma serviette et ma bouteille d’eau, et je suis prêt pour en découdre. Je fais ma première date lundi au Point Éphémère, c’est la première fois que des spectateurs vont venir pour me voir. Mais j’ai conscience que les gens viennent voir un concert.
Par exemple, s’ils sont venus à trois, ils ont peut-être mis 100 balles dans la soirée. Le petit veut un McDo, il y a la place de parking… Ça représente beaucoup de sous, il y a des gens qui mettent un dixième de leur salaire pour trois heures. Je sais que c’est impossible d’être à 100 % tout le temps, que sur scène on n’y pense pas forcément, mais on se doit de tout donner quoi. Si des gens n’ont pas kiffé, c’est sain. Il faut des mauvais commentaires pour avancer.
Tu sors ton premier EP solo ce vendredi. Comment le définirais-tu ?
C’est de la chanson électronique. J’ai voulu que ça tape et que ça danse. Le but étant de faire taper un kick le plus fort possible avec ma voix dessus. J’ai toujours voulu l’appeler Mélancolie F.C.. Je suis parti cinq jours en Bretagne chez mon daron, et je me suis dit que j’allais l’appeler comme ça et que j’allais faire tout un truc autour du foot.
C’est ce que j’ai fait de plus sincère, c’est comme une photographie de l’adolescence. À 16 ans, on te dit qu’il va falloir choisir un taff, une formation. C’est le moment des rêves brisés, quand tu te prends la réalité en pleine face. Il y a des gens qui se retrouvent à faire des boulots à des années-lumière de leur propension.
La réalité est bien différente du rêve qu’on a projeté avant, alors que c’est con : à 16 ans, c’est normal de ne pas savoir ce que tu veux faire. On est conditionné très, très jeune. Si ça se trouve, tu es un architecte de ouf mais personne ne fait ça dans ta famille… C’est ce que j’ai voulu dire dans cet EP à travers le parallèle avec le football.
La mélancolie caractérise les gens hypersensibles.
Ouais, carrément. J’ai toujours été comme ça. Je vais passer très vite d’une émotion à une autre, sans que cela se voie forcément. Mais s’il y a une scène dans la rue, genre une bagarre ou un geste amical, ça va me toucher de malade. Tout comme quelque chose qui me semble injuste. Mais j’ai trouvé une forme d’expression qui me plaît avec la musique. Peut-être que demain je ferai autre chose.
Tu as sorti ton premier clip “Mélancolie FC” en 2017. Pourquoi autant de temps entre ce support visuel et la parution du projet éponyme ?
J’ai commencé à faire des titres assez tôt, puis il y a eu l’album de Postaal. J’avais pas mal de trucs sur le feu. Par exemple, mon premier concert, je l’ai fait il y a un an et demi. C’est la démo de “Mélancolie FC” qui est sur YouTube, parce que j’avais prévu de faire une série de clips. Donc j’en ai fait un, puis on s’est dit que c’était mieux de faire des sessions live. Si je pouvais, je garderais l’image et je changerais l’audio [rires].
Pour l’occasion, tu sors un nouveau clip “Cœur poids plume”.
C’est mon premier vrai clip. Il y avait des figurants et tout. Tout était basé sur mon énergie, l’attitude, la danse, les gens, le club. On dirait la scène de club dans Trainspotting. Il y avait cette envie-là, que ça ne fasse pas trop français ni trop british à fond. Puis les réal sont géniaux, ils ont déjà bossé avec Her ou encore The Shoes [Antoine Poulet et Giorgio Martinoli, ndlr]. J’étais impressionné d’avoir une telle équipe autour de oim, avec un make-up, un “action”… J’ai kiffé. Ça va permettre de montrer une autre facette de oim. Je ne suis pas toujours énervé. [Rires]
Comment est-ce que tu composes ? Décris-nous le processus.
J’ai mon dictaphone et mes notes. Dans mon téléphone, j’ai genre… [Il regarde son téléphone] plus de 1 000 notes ! J’écris toutes les idées. Soit j’y rajoute une petite mélodie ou un flow avec le dictaphone, soit je mets de côté et je commence par un beat. Généralement, on dit qu’il faut commencer par les accords. Mais comme je suis à l’aise avec le format chanson et que je ne fais pas des sons techno de 10 minutes ni des freestyles de trap, je commence par le beat. C’est carré : couplets et refrain. Je boucle, et ensuite je commence les accords.
Par contre, je ne suis pas un mec de l’analogique. Comme je n’avais pas de thune, mon truc c’était d’imiter ces synthés-là. C’était plus facile de cracker un VST que d’économiser 2 000 balles. Comme ça, je suis autonome et dès que j’ai une idée je peux la faire. Après je fais des yaourts, où il y a des mots qui ressortent et 90 % du temps je ne peux pas les enlever. Donc si je dis “sirène” ou “extincteur” par exemple, il faut que je les place. C’est complètement instinctif, mais je fais ça depuis toujours. J’aime trop garder ce truc rythmique.
© Loreleï Buser Suero
Tu es signé sur quel label ?
Sur le label Initial. C’est le même qu’Eddy de Pretto, Clara Luciani, Angèle ou Columbine.
Selon toi, quels sont tes axes de progression ?
La voix. J’ai grave envie de progresser, de chanter des trucs dont je ne m’imaginais pas capable. J’ai envie de pouvoir faire des trucs calmes, des ballades, pour faire passer l’émotion autrement.
Quelles seraient les meilleures conditions pour écouter ta musique ?
La voiture ! Je les teste là-dedans. Je n’ai pas le permis, mais j’appelle un pote, mini-jack, et c’est le test ultime. Le train, ça tue de ouf aussi, mais la voiture c’est mieux parce que tu peux mettre fort et tu es tranquille. [Rires.]
Tes futurs projets ?
Il y a un album qui arrive, je suis en plein dedans. Tu vois les gens qui font un enfant, et dès que l’enfant a trois mois, ils en font un autre. Ça m’a fait pareil. Dès que j’ai fini l’EP, je me suis mis à l’album. Je pense que ça va être dans la même veine, avec quelques trucs un peu plus solaires.
Le mot de la fin ?
Je vais citer Belmondo dans À bout de souffle : “Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville, allez vous faire foutre !”
Hervé sera en concert à Paris lundi 20 mai au Point éphémère.