Un peu plus d’un an après son EP Drone, Sinik s’apprête à revenir dans les bacs avec son septième album intitulé Invincible. Rencontre avec un éternel passionné.
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(© Adrien)
Sinik l’avoue sans détour : le titre de son nouvel album, Invincible, est une référence aux super-héros. Depuis ses débuts dans le rap à la fin des années 1990, l’artiste des Ulis en a vu de toutes les couleurs : il a subi des comparaisons inconvenantes, et flirté avec un statut de boss du game pendant de longues années. Et pourtant, il n’a rien lâché… ou presque. Après avoir raccroché le micro en 2015, Sinik est revenu dans le game fin 2017 avec son EP Drone. Aujourd’hui, celui qui gère un salon de tatouages en plein cœur de Paris depuis trois ans semble maître de son destin.
À en croire le rappeur qui vient de signer chez Believe, même le report de la sortie de son septième album studio pour le mois de mars n’est qu’un mal pour un bien. De l’avis de Seth Gueko, “ce qui tue chez Sinik, c’est sa qualité d’écriture intemporelle. Quand t’écoutes sa musique, tu sens que les jeunes artistes sont moins passionnés”. Quoi qu’il en soit, on a rencontré Sinik pour revenir sur sa longue carrière, parler d’Invincible et de psychologie dans le rap.
Konbini | Après ton come-back réussi avec l’EP Drone, tu enchaînes avec un nouvel album. Ce projet confirme-t-il ton retour aux affaires ?
Sinik | Quand tu reviens avec un album complet, c’est perçu comme un vrai retour dans le game. Mais sincèrement, dans la démarche, c’est la suite de Drone. C’est l’engouement des gens qui m’a poussé à faire ce projet. À la base, mon idée première pour Drone, c’était de faire seulement 5 morceaux et les mettre sur le Net, sans clip ni rien. Après, petit à petit, on m’a dit “il faut quand même faire un clip”. On l’a fait. De là, on m’a dit “t’as vu, ça marche pas mal, il faut faire une tournée”. Et lors de celle-ci, tout le monde me réclamait l’album. Du coup, le projet s’est fait naturellement. Alors oui, ça va être considéré comme un retour aux affaires, mais c’est toujours pour le plaisir.
Pourquoi le choix du titre Invincible ?
Parce que j’aime l’idée de force que ça représente. J’ai grandi avec des mangas et j’ai toujours aimé les personnages invincibles. Et au-delà de la musique, ça veut dire que rien ne peut m’atteindre, vu ce que j’ai déjà vécu.
À l’écoute des premiers extraits de ton album, on a l’impression que ton style est toujours aussi incisif…
Personnellement, je ne peux pas faire d’album s’il n’y a pas cette énergie, cette manière de poser, cette manière d’écrire. C’est ce que les gens attendent. Sans me comparer et sans me la raconter, quand tu vas voir un film de Tarantino, tu t’attends à quelque chose. Parce que tu connais l’identité du mec, et son style. C’est un peu pareil pour moi. Je sais ce que veulent mes auditeurs, et je suis obligé de leur donner ça. Mais j’ai fait l’album en me disant qu’il faut se renouveler, tout en conservant mon ADN.
Il t’a fallu combien de temps pour écrire Invincible ?
Quand je suis en période d’album, je fais des séances de 3 à 6 heures d’écriture tous les jours. Et tu sais, parfois, t’avances de quatre mesures et d’autres fois, tu peux écrire un bon morceau en deux jours. Invincible ? Je l’ai fait en un an. Dans ma tête, je n’avais pas d’objectif de sortie. Au départ, on s’était dit qu’on allait essayer de calibrer ça pour décembre puis, on a vu que ce serait chaud. Et on a décidé de le décaler pour janvier. Entre-temps, j’ai signé chez Believe et il y a des choses qui se sont accélérées…
Tu as pris l’habitude de rapper les aléas de la vie, c’est le cas sur ton nouveau projet ?
J’ai un peu moins calculé donc, il y a vraiment un peu de tout. Il y a un morceau très personnel, un autre moins thématique… Pour moi, c’est ça qui fait la force d’un album, c’est qu’au final, le truc est varié. Tu peux passer d’un morceau comme “Le Réveil” où c’est une analyse du monde à un morceau plus second degré, entre un titre clash et un autre avec plus de légèreté. Tout dépend de comment tu équilibres le projet.
Ce qui surprend, au niveau des premiers extraits de ton projet, ce sont les commentaires sur YouTube, on a l’impression qu’il y a beaucoup de personnes qui te découvrent pour la première fois…
Il y a eu une grosse période où il ne s’est pas passé vraiment grand-chose et il y a eu des albums qui n’ont pas super bien marché. Donc tout ça, tu le paies à un moment donné parce qu’il y a une autre génération d’auditeurs qui est arrivée et qui n’est pas montée dans le train. Ce qui fait que tu peux te retrouver devant un déficit de la sorte. Parfois, je lis même des trucs sur Internet qui me font sourire du genre “je lui souhaite de percer” comme si tu n’avais jamais rien fait de ta vie. Ils ne savent pas que t’as été numéro 1 des ventes durant plusieurs années. En vrai, ça me fait sourire mais ça en dit long sur le trou noir qu’il y a eu quelque part. Si aujourd’hui les gens découvrent pour la première fois, c’est tant mieux. Tous les artistes essaient, d’album en album, de renouveler leur public. C’est peut-être ce que je n’ai pas su faire à une époque.
Se renouveler, ça rime avec s’américaniser ?
Pas forcément, quoique… En fait, ça dépend de comment tu perçois la musique. Si t’as envie de te renouveler comme les autres, tu vas faire comme tout le monde. De mon côté, j’ai essayé de me renouveler à ma manière, en mélangeant les flows d’aujourd’hui, les instrus et ce que je fais de mieux. C’est pour cela que ça m’a pris du temps car, un album, c’est une espèce de formule secrète à trouver. Donc, je ne me suis pas perdu. Invincible, c’est du moi en plus moderne.
(© Badr Kidiss/Konbini)
Tu as donc mis de l’auto-tune dans ton vin ?
Il y a de l’auto-tune mais ce n’est pas celui auquel on s’attend. Il faut vraiment faire attention avec le mot auto-tune et ne pas confondre avec vocoder. Mais au-delà de l’auto-tune, il y a la manière dont tu l’utilises avec le flow, les instrus, la manière de poser. Et sur les 14 morceaux de Invincible, je pense qu’il y a au minimum trois morceaux qui vont vraiment surprendre. Après, il y a de quoi contenter tout le monde ; il y a du rap, ça kicke, du thème… bref, tout ce que les gens aiment. Et j’ai essayé de garder ce qui fait ma force, c’est-à-dire l’écriture. Mais je me suis axée sur d’autres trucs pour une fois : le flow et d’autres choses que je ne mettais pas forcément en avant, tout en gardant mon ADN.
On retrouve le titre “L’Assassin 2” sur ton projet. Est-ce une suite de ton classique qui porte le même nom ?
Oui, c’est la suite de “L’Assassin” qui est sorti en 2003. Ce morceau m’a fait connaître et fait partie de mes classiques, les gens me demandaient la suite, alors j’ai eu envie de me faire plaisir et de leur faire plaisir.
Est-ce qu’il y a des artistes qui t’ont inspiré de nouvelles sonorités sur Invincible ?
Oui, il y en a un en particulier que j’ai beaucoup aimé. Et ça va sans doute surprendre des gens puisqu’il s’agit de The Weeknd. J’apprécie la mélancolie dans son grain de voix, sa manière de poser, d’utiliser l’auto-tune. Il a une façon de bosser que je kiffe et, toute comparaison gardée, j’ai essayé de m’inspirer de certains trucs dans la manière de traiter la musique et du choix des sonorités.
Tu écoutes toujours du rap français ?
Ma fille a dix ans et elle est à fond dedans. J’écoute par répercussion, et elle m’a fait découvrir des sons que je ne connaissais pas. Après, je suis toujours curieux et j’aime toujours écouter ce qui sort. D’ailleurs, j’aime bien Rémy, j’aime bien Kaaris, l’énergie de Fianso, j’aime beaucoup le dernier morceau de Lomepal, YL kicke bien aussi… il y a pas mal de choses que j’apprécie, et je trouve qu’il y a du talent.
Tu ne trouves pas que les lyrics de la plupart des artistes sont de moins en moins travaillés ?
Oui et non. Il y a toujours des MC qui savent écrire, mais il y en a beaucoup moins. Mais parce que maintenant ce qui marche, ce n’est pas ça. Si tu regardes bien, c’est le truc le plus difficile à faire et qui marche le moins alors, pourquoi les artistes le feraient ? Il ne faut pas se mentir. Écrire bien, ça prend du temps. Parfois, je peux rester deux semaines sur un 16 mesures parce que je l’écris avant de le recommencer. Mine de rien, ça prend du temps de prétendre “savoir écrire”. En plus de ça, ce n’est pas ça qui fait des résultats de ouf, et c’est ça qui a changé la musique. Maintenant, les gens se disent “il faut mettre du rythme, du gimmick, des refrains entêtants, il faut que ça bouge et que ça fasse 3 minutes, pas plus”.
Ta discographie regorge de gros classiques mais, au moment de revenir dans le game, l’as-tu considéré comme un poids par rapport aux attentes du public et la dictature des chiffres ?
Non, parce que j’ai toujours gardé la ligne directrice que j’avais à 16/17 ans, lorsque je rappais avec mes potes et que je n’avais aucun objectif. J’ai toujours considéré le rap comme un plaisir avant d’être un métier. Et même lorsque j’étais chez Warner et que les albums faisaient des scores de ouf, quand je m’apprêtais à rentrer au studio, il n’y a absolument rien qui changeait. J’étais tout seul dans mon petit studio, avec mon PC, mes instrus et la même manière de travailler. Et c’est un truc qui me protège quelque part, c’est une espèce de bouclier par rapport à toute cette pression. Parce que c’est sûr qu’il y en a. Tu sais qu’il y a des chiffres mais le tout, c’est de savoir comment toi tu es, et comment tu perçois la musique d’aujourd’hui. Encore une fois, c’est un équilibre qu’il faut trouver.
De l’album La Main sur le cœur à Invincible, qu’est-ce qui a changé ?
Quand tu réécoutes le projet, tu te rends compte que parfois, je ne rappais pas. Je criais. Aujourd’hui, je comprends mieux pourquoi je finissais les séances studio avec la voix cassée. J’avais 24 piges, j’avais une autre vie, je n’avais pas encore ma fille. Ce qui change, c’est la sérénité, c’est la sagesse. Aujourd’hui, je ne peux pas écrire des phrases que j’ai écrites pour l’album La Main sur le cœur. Mais j’ai toujours la même rage. J’ai toujours l’impression d’avoir plein de choses à dire, qu’il y a beaucoup de thèmes intéressants. Et tant que j’ai toujours cette gouache, il faut continuer.
Beaucoup de tes morceaux sont mélancoliques. Tu n’as pas peur de plonger dans un gros spleen ?
Non, c’est comme un acteur qui joue que des rôles tristes, il faut savoir faire la part des choses. Mais j’estime qu’il n’y a rien de plus beau que la nostalgie dans la musique. C’est ce qui m’a toujours fait kiffer. Je préfère la mélancolie, la tristesse et la nostalgie au fait de s’ambiancer et danser. Il y en a qui ont tout à fait le droit de penser le contraire mais, moi je suis de cette vague d’artistes qui aime écouter des sons pour avoir des frissons en se disant “oh le truc de ouf qu’il a sorti”. Et c’est un truc qui te marque, qui fait ton ADN. J’ai essayé de faire autre chose sur des compil’, des morceaux plus festifs comme “Raï’n’b Fever”, mais je me fais mal quand je fais des morceaux comme ça.
D’ailleurs, ton rap semble être une sorte d’art thérapeutique, c’est le cas ?
C’est peut-être un peu cliché de dire ça, mais c’est vrai. Je faisais des allers et retours en prison et j’étais fait pour être comme ça. Ce qui m’a canalisé, ce n’est ni leurs éducateurs, ni la prison, ni les coups de pression, ni les juges pour enfants ; c’est la musique. C’est avec ça que je me suis dit qu’il y a mieux à faire dans la vie. J’y voyais la possibilité de gagner ma vie honnêtement. En plus, c’est quelque chose de mortel car tu te libères pendant tes séances d’écriture.
Mais tu n’as pas l’impression qu’on ne peut pas trop parler de santé mentale dans le rap ou dans les médias spécialisés ?
Oui car t’es vite placé dans une catégorie. Un artiste ne peut pas dire à son public qu’il est en dépression. Il faut toujours avoir cette image d’artiste à la française, souriant et poli. Regarde, en Amérique, il y a beaucoup plus d’émissions, de talk-shows où la parole est libre pour les artistes. En France, c’est : “reste dans ton délire.” Même les artistes hésitent à parler de leurs problèmes. Ils se disent, par exemple, que s’ils parlent de leurs problèmes avec leurs gamins, ça va vieillir leurs discours. Ils raisonnent comme ça.
J’imagine que tu as passé des soirées entières à prendre du recul vis-à-vis de ta carrière. Tu en tires quelle conclusion ?
Il y a eu des hauts et des bas. Mais sincèrement, je suis fier d’un truc, c’est que j’ai toujours été intègre et honnête dans ce que j’ai fait, en donnant le meilleur de moi-même. Et quand tu finis ta carrière, tu peux te regarder fièrement dans une glace. Personnellement, j’ai connu des années où j’étais le jeune qui passait tout le temps à la radio, qui était critiqué comme JuL et tous les mecs qui sont numéros 1 aujourd’hui. J’ai connu ces périodes difficiles où tu es attaqué de partout parce que t’es celui qui fait 50 000 ventes la première semaine. J’ai traversé ce truc-là, et j’ai eu une période où je ne faisais rien. Maintenant, je découvre une autre phase de ma carrière : tu deviens un ancien, et t’as l’impression que les gens font une sorte de bilan global pour se dire “lui quand même, il a fait des bons sons et franchement, il n’a pas donné son c**”. Donc, les gens te rendent beaucoup de choses, mais ça prend grave du temps. Comme je l’ai dit, on a tout traversé.
Mais après toutes ces années, Booba tente toujours de te titiller…
Quand j’ai vu son commentaire, je me suis dit c’est une galère. Il y avait un esprit CM2 dans son message, malgré ses 43 piges. Il est tombé si bas pour venir nous casser les c******* à nous. C’est qu’on n’est pas si morts que ça…